tweetart, 2016
tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.
vendredi, novembre 25, 2016
dimanche, novembre 20, 2016
mythanalyse de la forêt
La forêt a toujours été et demeure un lieu singulier, hétérotope, intensément
chargé d’imaginaire. Un lieu de rupture avec l’ordinaire civilisationnel, où
dominent les arbres et non les hommes, propice à l’étrange et dans lequel on ne
pénètre pas sans un sentiment d’aventure. Quittant la lumière, lorsqu’on entre
dans l’ombre des forêts, tous les sens s’activent, les yeux et les oreilles
guettant dans le silence les puissances mystérieuses qui semblent l’habiter.
Je vis dans un pays
d’immenses forêts, le Canada, dont le drapeau, les billets de banque, les
timbres postes affichent les symboles vivants : l’érable, l’orignal, le
castor, le canard tout autant que Sa Gracieuseté la reine d’Angleterre. Et nous
avons gardé la tradition autochtone des « coureurs des bois ». On
peut y lire l’enracinement identitaire de la société québécoise et canadienne. La
forêt européenne était le domaine des Celtes, des Gaulois (Astérix) ; elle
est devenue le monde enchanté des Schtrumpfs. Le Liban consacre son drapeau à son
cèdre emblématique, Belize à l’acajou, la Guinée orientale au kapokier, Haïti au
cocotier.
La
nature a beaucoup changé
Elle était d’abord
la forêt omniprésente, primaire, dont le symbole demeure donc aujourd’hui lié à
notre origine archaïque. Primates parmi les singes, nous sommes descendus non
pas du ciel, mais des arbres ; nous avons cueilli, puis défriché, nous
avons vécu dans les clairières puis nous sommes sortis de la forêt. Pour
l’Occident, la déforestation était la condition de la civilisation : dessoucher
pour cultiver, couper les arbres pour se protéger des animaux, pour construire
sa maison, sa « cabane au Canada », pour se chauffer, pour cuire.
La forêt a d’abord
été magique, peuplée d’esprits ; puis christianisée, elle est devenue
divine, mystique et providentielle, un espace originaire, primaire, qu’on
oppose à l’agitation urbaine, elle est demeurée un havre de paix, de retraite,
de méditation, de sagesse. Sa puissance surhumaine nous en impose. Ses arbres
géants inspirent le respect ; ses immenses feux naturels sèment
la frayeur, mais ils assurent aussi son rajeunissement. Le mythe est ambivalent, protecteur autant que
menaçant. Refuge de l’ermite, refuge contre les ennemis, mais aussi antre du
magicien, elle éveille la crainte des esprits, des
animaux, des brigands, des hors-la-loi qui s’y cachent. Ainsi, la forêt d'Aokigahara au pied du Mont
Fuji a la réputation d'être le lieu le plus hanté du Japon.
Là où la civilisation en vient à bout, déboisée,
elle s’est désacralisée. Elle est devenue une ressource naturelle exploitable à
merci, jusqu’à ce que les poètes nostalgiques ne lui confèrent à nouveau une magie
romantique. Aujourd’hui elle garde le souvenir profondément ancré de toutes ces
métamorphoses, mais elle a pris de nouvelles valeurs : patrimoniales, touristiques,
écologiques. On l’a isolée, comme les populations autochtones ; on l’a promue
dans le tabernacle de la nature au rang de parcs nationaux et réserves
naturelles qu’il faut protéger sous peine de sanction. Poumon amazonien de
l’humanité, réservoir de biomasse, modèle d’écosystème équilibré, elle a acquis
de nouvelles fonctions vitales : la protection contre l’érosion, la
résorption du CO2, la lutte contre le réchauffement climatique. Elle est
désormais un enjeu politique mondial, une revendication des partis Verts. En
témoigne la fable qu’évoque le célèbre film de science-fiction en 3D Imax Avatar réalisé par James Cameron en 2009,
et son remake prévu pour 2018. Les méchants soldats américains en quête d’un
minerai rare susceptible de résoudre la crise énergétique qui sévit sur la
planète Terre, menacent de destruction une population innocente qui habite un
arbre cosmique aux extraordinaires frondaisons sur une très lointaine planète. Et
avec l’écologie, elle accède aussi à un statut numérique supérieur : on scrute
son état de santé par satellite, on géolocalise ses essences précieuses dont on
suit à la trace les coupes sauvages pour les réprimer, on étudie les
déplacements de ses espèces vivantes. Lorsque c’est possible, on reboise. Et
encore mieux, encore plus : l’idée de la création originelle qu’elle symbolise bascule aujourd’hui dans
l’utopie de la création humaine à venir, celle d’une nouvelle nature,
numérique, sous dôme sur une Terre dévastée ou sur une autre planète que nous
coloniserions pour survivre ou pour conquérir le monde. Mieux que le bois
synthétique, la forêt asservie dans la main de l’homme apparaît à l’horizon du
futur comme un artefact. Elle rejoindra les espèces en voie de disparition dans
les zoos des métropoles.
À travers ces scénarios
successifs et contradictoires dont la mémoire feuilletée s’est accumulée dans
nos inconscients collectifs, la forêt est demeurée un mythe immense, et la
violence qu’elle subit, son étiolement voire sa disparition même dans les pays
en développement, en Amazonie, au Mexique, en Afrique, sur les grands territoires
d’exploitation forestière du Canada et d’Europe du Nord, résonne dans nos
imaginaires comme une menace directe contre la vie humaine. Les forêts, ce sont
les lieux des origines, des poches primitives qui subsistent sur la surface de
plus en plus chauve de la planète Terre, alors qu’émerge l’anthropocène, aussi fier
et transformateur que dévastateur. La forêt et devenue objet de culte.
La forêt demeure un symbole de la nature. Nous l’interprétons selon une opposition
binaire entre l’irrationnel et le rationalisé, entre l’obscurité et la lumière,
entre la peur et la domination humaine. Nombreux sont les récits mythiques qui
mettent en scène les hommes et les filles des arbres (les nymphes). Dans
plusieurs cultures il est de tradition de planter un arbre lors de chaque
naissance (en Amérique latine, notamment au Panama, mais aussi encore en
Europe). Les Papous de Nouvelle Guinée qui vivent dans des cabanes accrochées
aux cimes des arbres appellent la forêt “leur maison”, la respectent et la
célèbrent comme telle dans leur foi animiste.
Nous avons toujours mytifié la forêt. Elle a
été et demeure le bois sacré, le sanctuaire des origines. Elle a été la forêt
enchantée, celle de Brocéliande, celle des druides, celle du cycle arthurien, la
foret magique, la forêt hantée, telle la forêt hercynienne de l’ancienne
Germanie, la forêt des contes de fée, du Petit Poucet, de Blanche Neige et les
sept nains, du Chaperon rouge.
Et comme dans beaucoup de mythes, la partie
vaut pour le tout. L’arbre est symbole de la vie, de puissance, de généalogie,
de liberté. S’il est vivant, et même mort, on ne le coupe pas sans angoisse,
fût-ce légère. La tronçonneuse moderne est associée à la torture, au cauchemar.
On honore le cèdre du Liban, le baobab africain, l’arbre cosmique des Sumériens
antiques, dont les racines plongent jusqu’aux eaux primordiales, dans
« l’abime chaotique du commencement ». Et tous les arbres sacrés, l’arbre
de la révélation du Bouddha, le chêne de Saint-Louis, l’arbre de la sagesse,
l’arbre aux pommes d’or, l’arbre de la connaissance, l’arbre à palabres, le
pommier de Newton, incarnent nos racines telluriques, identitaires, autant que
nos aspirations à nous élever dans le ciel des divinités. Dans ces forêts
gothiques qu’évoque Chateaubriand comme des cathédrales, avec ses rayons de
lumière qui percent le feuillage comme à travers des vitraux religieux, nous
saisit la peur de nous perdre et d’être épiés par les esprits qui se cachent dans
les arbres, de subir la magie qui envoûta la Belle au bois dormant, de tomber
nez-à-nez avec des loups, des ours, ou avec Robin des Bois. Ou encore avec un
cerf immense portant une croix lumineuse entre ses bois, comme ce chasseur infatigable
qui, bouleversé par cette apparition divine devint Saint-Hubert. Cette vision
de Saint Hubert, bien des images religieuses et des tableaux célèbres l’ont
inscrite dans notre imaginaire occidental.
Dans
toutes les cultures la forêt est propice à ces apparitions de saints, de malins
génies, de monstres, d’ombres mouvantes, de bruits insolites, de gnomes, lutins,
farfadets, de faunes, d’elfes (une tradition nordique et anglosaxone), de liéchis
slaves, esprits gardiens de la forêt, sans ombre, qui peuvent se faire aussi
petits qu’une souris ou aussi grands qu’un arbre, de dryades (mythologie
grecque), de djinns (tradition maghrébine), d’ogres, de sorcières, de dragons
cracheurs de feu. Nous entendons les chuchotements d’arbres aux branches
tordues qui se parlent entre eux à notre passage. Goethe a évoqué ainsi le « Roi
des aulnes » (der Erlkönig) de
la tradition germanique, qui fait peur à l’enfant chevauchant dans la forêt
avec son père :
Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht?
Siehst Vater, du den Erlkönig nicht?
Den Erlenkönig mit Kron und Schweif?
Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.
Siehst Vater, du den Erlkönig nicht?
Den Erlenkönig mit Kron und Schweif?
Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.
Mon fils, pourquoi caches-tu ton
visage effrayé ?
-Mon père, ne vois-tu pas le roi des aulnes,
le roi des aulnes avec sa couronne et sa queue.
- Mon fils, c'est un nuage qui passe.
-Mon père, ne vois-tu pas le roi des aulnes,
le roi des aulnes avec sa couronne et sa queue.
- Mon fils, c'est un nuage qui passe.
Aujourd’hui,
les soldats romains de César ne s’y aventurent pas sans trembler à la pensée
d’y rencontrer Astérix et Obélix musclés par la potion magique du druide Panoramix.
L’infans au sein du couple mère-père
Je dis bien « mère-père », car l’habitude langagière
qui place le père avant la mère dans nombre de locutions courantes reflète certes
le machisme de nos sociétés, mais aucunement l’expérience de l’infans qui a vécu neuf mois en osmose
avec le corps de la mère avant de voir naître à lui un homme – un inconnu, un autre
-, qui prétend lui donner certes de l’amour, mais aussi exercer sur lui une
autorité étrangère.
Les
traditions mythologiques identifient souvent la terre à la mère, Gaïa, et le
ciel au père (là ou résident les dieux de l’Olympe, mais aussi le dieu
biblique). Ce lien qu’établit l’arbre par ses racines avec la terre et par ses
cimes avec le ciel a donc pris force de symbole cosmique. Et l’être humain immergé
dans la forêt réactualise ainsi la mémoire inconsciente de son impuissance
infantile (passivité) au sein du couple mère-père : un stade de la
gestation de l’homo fabulator que
nous avons nommé « le carré parental » dans notre théorie de la
mythanalyse. Nous l’avons décrit comme le stade qui suit la naissance (le
chaos) et crée les premières organisations synaptiques du cerveau fabulatoire (*).
L’infans n’est pas encore capable de
distinguer ses organes du monde qui naît à lui. D’où son impuissance émotive
entre le désir de la mère nourricière et protectrice et la peur de la puissance
étrangère du père. Ce sont les émotions mêmes de l’homme au milieu de la forêt qui
fait corps avec lui entre la terre-mère et le ciel-père. C’est la même
passivité hypersensible à toutes les imaginations biologiques qui peuvent
s’emparer de l’infans, comme de
l’homme démuni, pris d’anxiété, infans
sans parole, sans défense dans la forêt, livré à la seule imagination de ses
émotions.
La richesse des mythologies, celle des contes et légendes
en témoigne puissamment. On y retrouve ce schéma biologique universel, certes
diversement décliné selon la variété des civilisations et des cultures, mais
toujours fortement actif dans toutes sortes de situations de l’adulte, et
jusque dans nos rapports les plus actuels à la forêt. La forêt ne cessera
jamais d’être un imaginaire mythique ambivalent : celui des origines, tissées
d’ombres et de lumières, celui de nos racines, celui de nos utopies de l’âge
adulte : la forêt mythique de notre enfance, la forêt numérique entièrement
sous notre contrôle, ou plutôt sous le contrôle du grand ordinateur central, qu’évoque
La Matrice, ou Le soleil vert, le film d'anticipation américain réalisé par Richard
Fleischer, sorti en 1973 et inspiré du roman Make room! Make room! d'Harry Harrison.
La dynamique des stades de la
gestation fabulatoire
Il ne faut pas considérer les stades de la gestation
fabulatoire comme des périodes séparées qui apparaissent les unes après les
autres, se succèdent selon des ruptures, des discontinuités et se remplacent.
Il faut plutôt les voire dans leur continuité accumulatrice, comme des
séquences qui correspondent au développement biologique de l’infans et se renforcent ou s’opposent en
se liant. Ainsi, le stade du pingouin
élargit le monde de l’ourson, qui
lui-même dynamise celui de la tortue sur
le dos, tandis que le stade du homard
s’oppose à l’impuissance des stades précédents. Et tous ces stades successifs
se maintiendront comme un réseau associatif dans la mémoire inconsciente au
stade papillon adulte.
Qui n’a jamais été pris d’angoisse en se perdant dans
la forêt ? Cela m’est arrivé en raquette à la tombée du jour, ayant perdu
mon chemin, ne reconnaissant plus ni arbres ni vallon à la seule lumière de la
neige de plus en plus noire, dans le silence total d’un froid de plus en plus
menaçant.
La mythanalyse, en associant la forêt par ses racines
et ses cimes à la mère et au père, réactive chez l’adulte le stade du carré parental. Resurgit alors de sa mémoire
inconsciente la frayeur de l’infans qui
se souvient intensément du chaos du
stade précédent lié à l’accouchement. La crainte de mourir s’empare alors de
nous dans ce monde étranger de la forêt qui nous impose ses lumières et ses
ténèbres mêlées, son immensité infinie et ses menaces. Nous sommes submergés
par une conscience hyperactive qui avance devant nous à la cherche des chemins
et de la lumière. Un univers devant nos pas inconnu, que nous avons transgressé
en sortant du sentier. Pour le mythanalyse qui se croyait perdu, désarmé par le
mythe obscur de la forêt, tout s’éclaire alors. Nous avons associé la forêt au
carré parental. Est-ce crédible ? Peut-être allons-nous trop loin.
Peut-être faut-il s’interroger encore. Rien ne peut être plus erroné que la
généralisation de ce genre d’association. On a trop vu l’abus caricatural dans
la théorie freudienne de ces incessantes identifications de tout objet aux deux
sexes, le phallus ou le vagin, pour ne pas vouloir tomber à notre tour dans ce
travers.
#
Le paramètre sociologique de la
mythanalyse
Il ne faut jamais universaliser la mythanalyse dans
ses interprétations des stades de gestation de l’imaginaire, fussent-ils
biologiques et donc à cet égard susceptibles de généralisation. D’une part en
raison des contextes géographiques de la naissance et d’autre part en raison
des interprétations culturelles diverses, voire divergentes qui peuvent
résulter de ces déterminants géographiques et sociaux.
Et
en effet, qu’en est-il de ceux qui naissent dans les déserts de glace ou de
sable, les autochtones qui ne connaissent que la toundra ou les oasis? Leur
réactualisation du stade du carré parental est certainement déclenchée par
d’autres figures de la nature que celle de la forêt primordiale. Je ne saurais
dire lesquelles. À moins qu’elle ne demeure absente ou très limitée dans leur
imaginaire adulte. C’est bien possible, mais je n’en connais pas les effets
éventuels. D’autres que moi, qui connaissent mieux ces cultures, pourront se pencher très
utilement sur cette question.
Hervé Fischer
(*)Mythe art: La dynamique du carré
parental, peinture acrylique
sur toile, 92 x 153 cm, 2014. Le souvenir du chaos est ici marqué par ces gesticulations
noires qui emplissent encore l’espace fabulatoire – exception faite du corps de
la mère.
samedi, novembre 12, 2016
lundi, octobre 10, 2016
L'esprit
arbre (dessin Vero Béné pour les Arts
ForeZtiers 2015)
Le 19 octobre, Sylvie Dallet présente la séance "La Forêt Imaginée", dans le cadre de son séminaire Éthiques & Mythes de
la Création sur le campus de la Fonderie-École
de l'Image, 80 rue Jules
Ferry, 93170 Bagnolet. (Métro Gallieni,
ligne 3). Le séminaire se tient SALLE 307 de 14 à 17 heures. Dans le cadre des actions de vigilance, une pièce
d'identité sera demandée à l'accueil.
Thème :
La Forêt est source
inépuisable d’inspiration et de mythes qui vont de la forêt traversée du Petit
Poucet et du Chaperon Rouge au domaine des arbres en majesté. La forêt, réservoir du vivant et de la
biodiversité, naguère redoutée pour sa
sauvagerie obscure, alimente de plus en plus la nostalgie occidentale d’une
Nature primitive. Au travers la confrontation des exposés et des interventions,
cette Forêt devient un personnage conté, dessiné, traduit, qui révèle les
chemins secrets de la connaissance occidentale.
Intervenants :
- Sylvie DALLET, ouverture
du séminaire et introduction forestière
- Hervé FISCHER, « Mythanalyse de la forêt »
Hervé Fischer est sociologue, essayiste et prospectiviste, fondateur de la Société
Internationale de Mythanalyse, peintre, vidéaste, théoricien du cybermonde
et d’une mythanalyse du Futur (www.hervefischer.net). Il vit à Montréal (Canada).
- Véro BÉNÉ, « La Forêt merveilleuse »
Graphiste indépendante, dessinatrice et
peintre, Véro Béné vit et travaille à Chanteuges (Auvergne). Elle a conçu et
anime le blog du Festival de Création des
Arts Foreztiers (www.lesartsforeztiers.eu) et du Blog du Lézard (verobeneblogsport.fr). Elle
a imaginé et édité un livre de contes illustrés : "La forêt
merveilleuse" et participe de la création de revues et d’ouvrages.
- Célio PAILLARD, « À propos de Phytophilia :
esthétique et heuristique du transcript »
Célio Paillard est graphiste
indépendant, musicien et éditeur. Docteur en esthétique sur les arts
numériques en juin 2010 (Paris I - Sorbonne), il enseigne les arts plastiques
dans l’École d’architecture Paris Val-de-Seine. Depuis les années 2000, il
développe une démarche artistique et de recherche, notamment à travers des installations et des
performances, en utilisant principalement les médias sonores et textuels. Il
conçoit des œuvres ouvertes à de multiples interprétations exposées et diffusées
en France (dont les Arts Foreztiers en
2016) et à l'étranger. En 2015, il
participe à deux ouvrages collectifs de fiction (Le Monde d’Lo et Les Mondes de
Mithra) aux éditions CMDE (auxquelles il participe). Il codirige avec
Frédéric Mathevet la revue en ligne L’Autre musique (www.lautremusique.net).
- Monika SIEJKA, « L’imaginaire de la forêt dans la série Desperate Housewives : un monde menaçant du secret et de la mort »
Diplômée de Sciences
Politiques et docteur des universités (Paris Saclay), Monika Siejka a dirigé
l’Institut International du Multimédia (Paris La Défense). Elle intervient
aujourd’hui comme enseignante et conférencière internationale, spécialiste des
réseaux sociaux, du multimédia et des séries américaines.
---Le séminaire EMC
associe depuis 2008 l'Institut Charles Cros (programme de recherche
"Éthiques de la Création"), le Centre d'Histoire Culturelle des
Sociétés Contemporaines (Paris Saclay) et Innovaxiom. L'Institut Charles Cros entre en 2016 en
partenariat avec la Fonderie École de l'Image, qui regroupe 600 étudiants
en CFA Ile de France.
Le Campus Fonderie de l’Image (80 rue Jules Ferry, 93170 Bagnolet) forme aux métiers de la communication numérique, du design
graphique et du management de projets multimédia. Lieu ouvert et créatif, le
Campus Fonderie de l’Image ouvre au public ses conférences, rencontres
professionnelles et événements de la culture visuelle.
Entrée libre dans la mesure
des places disponibles (inscriptions : sylvie.dallet@uvsq.fr).
mercredi, mai 04, 2016
Déclaration mythique
À la recherche d'autres documents, j'ai retrouvé par hasard cette déclaration très officielle à l'administration française de mon projet de fonder en 1981 une revue intitulée "MYTHE ART". J'avoue que j'avais totalement oublié, si non l'association de ces deux mots, qui demeure pour moi plus actuelle que jamais, du moins cette intention, Je n'ai de fait jamais publié cette revue, pas même le premier numéro. Mais il a sans doute fallu que cette pratique soit fortement ancrée dans mon esprit dès cette époque, pour que j'entreprenne une telle démarche, dont l'aspect bureaucratique ne pouvait manquer de me rebuter. Et je lis sur le récépissé que j'avais donc l'intention non seulement de la coordonner, d'y publier des textes, mais aussi de l'imprimer moi-même. Il est vrai que j'avais installé dans mon sous-sol du boulevard de Charonne, une petite ronéo bon marché, qui me donnait du souci et me noircissait les mains, mais que j'arrivais à faire fonctionner a minima, sans compter une petite machine à relier (avec des baguettes de colle chauffées).
mercredi, mars 16, 2016
Je déteste les rêves
Chaque soir, lorsque le sommeil m'approche, vient aussi l'angoisse des rêves que je vais devoir encore subir pendant la nuit. Ce ne sont pas nécessairement des cauchemars, mais simplement des rêves où je me perds dans de grandes villes sans retrouver mon chemin qui change constamment de lieu, des situations absurdes et décousues qui m'occupent l'esprit sans mon consentement et sans que je puisse décider aucunement de leur issue ni y mettre fin.
Les connexions neuronales de mon cerveau et ma psyché se jouent manifestement à leur guise de mes émotions et de mes situations, qu'à l'état de veille je ne tolérerais pas, dont je n'aurais pas même l'idée. Ces rêves n'ont pas vraiment d'autonomie; je les reconnais, ils sont miens. Mais ils me soumettent à une sorte de petite torture psychique ordinaire, terriblement médiocre, annoncée et répétée chaque nuit qui me fait craindre le sommeil. Qui est le bourreau? Ce ne peut être que moi-même. Et la mémoire inconsciente mais terriblement tenace des situations d'insécurité que j'ai manifestement endurées dans mon enfance.
Je ne suis aucunement masochiste. Je crois même que j'aime la vie. Alors pourquoi ne puis-je pas faire aussi des rêves joyeux? Je n'ai jamais vécu de situation extrême, ni même inacceptable, seulement des souffrances ou de la violence quelconques, de la névrose familiale certes grave, mais guère plus que de la morbidité banale. Faut-il donc admettre que les traumatismes quotidiens de l'enfance aient une telle puissance d'incrustation dans la mémoire inconsciente? Et quelle dynamique détestable de la psyché veut-elle qu'ils aient plein pouvoir de se réanimer chaque nuit, d'envahir l'espace et le temps de mon sommeil ? Je voudrais rencontrer quelqu'un qui se vante de faire des rêves agréables, qu'il me parle de sa vie, de son enfance et qu'il me raconte ses rêves.
Comment pourrais-je mettre fin à cette aliénation nocturne? Les événements joyeux de ma vie ne comptent-ils pas? Ont-ils si peu d'influence sur la psyché?
je n'ose pas même penser à ce que doivent endurer la nuit dans leur sommeil ceux qui ont vécu directement la guerre, la violence armée, le viol, la torture organisée.
C'est pour cela que j'ai cherché recours dans la mythanalyse. Il n'y a aucune autre raison. Si ce n'est ma certitude que mon cas est banal, comme l'inconscient collectif auquel j'appartiens, celui de la Seconde guerre mondiale (je suis né à Paris en 1941) et celui de la névrose familiale française, que beaucoup d'écrivains ont si bien décrite, tels Bazin, Mauriac, Gide, Sartre.
mardi, février 16, 2016
Fabrique-nous un Dieu!
Dans son deuxième
roman mythique (Fabrique-nous un dieu!,
Éditions François Bourin, Paris, 2016), Georges Lewi nous entraîne dans des péripéties aussi
bibliques qu’actuelles. Moïse, son
personnage principal, découvert abandonné comme
son alter ego de l’ancien Testament, dans un panier d’osier, cette fois
non sur la rive du Nil, mais dans une piscine de quartier, est habité par une
voix qui lui impose de découvrir une pilule d’éternité qui n’aura l’effet promis
à ceux qui y croient que dans le respect d’une éthique évoquant les dix
commandements de Dieu. Comment concilier l’imaginaire d’un tel algorithme avec
les contraintes réalistes d’une entreprise que doit fonder ce nouveau prophète
pour répondre à la demande impatiente de ses fidèles? Et dès lors, comment s’accommoder
des promesses chimériques inhérentes au marketing
sans lequel tout succès commercial est exclu? Le lecteur est aspiré dans le rythme
de ce roman sans pouvoir lâcher prise, car les disciples de cette possible
réincarnation de Moïse plongée dans le monde le plus actuel et trivial, eux-mêmes
confrontés à leurs passions humaines autant qu’aux logiques du marché, attendent
tout de lui, oscillant entre la foi et le doute, créant un imbroglio à
rebondissements incessants.
En mythologue expert
du marketing, ce nouveau Veau d’or où il sait retrouver l’écho actuel des vieux
récits humains, ceux du désir et de la peur qui fondent notre besoin de croire
contre toute évidence, Georges Lewi fait
résonner ce même imaginaire collectif qui fondait jadis les mythes et demeure aujourd’hui
le ferment de toute démarche de branding et de marketing. On se saurait mieux actualiser l’histoire du
grand Moïse et l’archaïsme de l’âme humaine. A ceux qui croient dans la
puissance de la divergence le mythologue Georges Lewi montre la puissance de la
répétition au cœur même du changement. Et comme tout imaginaire, Moïse confronté
finalement au principe de réalité, s’évanouira dans le vide, laissant ceux qui
ont cru en lui face à eux-mêmes et à l’impossible rédemption.
dimanche, février 07, 2016
L'éthique planétaire est un mythe porteur
Tweet Art : le terrorisme QR, 2016
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scan it and decide :
Le fatalisme de Daesh ? Ou le Progrès humain ?
Daesh’s Fatalism? Or the human Progress?
Der Fatalismus von Daesh? Oder der menschliche Fortschritt?
El fatalismo de Daesh? O el Progreso humano?
O fatalismo de Daesh? Ou o Progresso humano?
Il fatalismo di Daesh? O il Progresso umano?
mercredi, février 03, 2016
Les jeux d'échec
Tweet Art : Fatalisme ou liberté?
Les codes Quick Response ne sont pas une fatalité. Plutôt des damiers, comme ceux d'échec, dont la contrainte appelle au jeu pour gagner.
mardi, février 02, 2016
Mythanalyse du patrimoine immatériel
Pourquoi donnons-nous désormais le titre un peu grandiloquent de patrimoine de l’humanité à ce qui n’est ni monument, ni paysage, ni objet dur et durable, mais léger, variable, oral, simple connaissance, pratique artisanale, coutume, chanson, danse, fête, rituel, gastronomie, faune ou flore locales? Pourquoi désormais donnons-nous valeur universelle à ce qui est si souvent si marginal? Et d’où nous vient cette peur d’en perdre la mémoire? D’où nous vient cet attachement à ces fragiles pratiques humaines et ce désir de les préserver dans un monde soudain si global? La mythanalyse déchiffre dans cette quête par l’UNESCO de patrimoine immatériel menacé d’extinction, qu’elle veut sauver, arracher à l’accélération inédite du temps social, une institution aussi émotive que planétaire, qui lutte contre la vulnérabilité de l’existence humaine, qui oppose une immense dépense d’énergie à la disparition de l'éphémérité. Les émotions, peurs et désirs, nous indiquent toujours la présence d’un mythe actif dans notre sensibilité et notre inconscient collectifs. La mythanalyse demande donc quel est ce mythe qui donne tant de prix à notre patrimoine immatériel. Ne serait-ce pas la mort? La bataille sera dure. Désespérée?
lundi, février 01, 2016
Croire au Progrès
Tweet Art : le terrorisme QR, 2016
Quick Response:
scan it and decide :
Le fatalisme de Daesh ? Ou le Progrès humain ?
Daesh’s Fatalism? Or the human Progress?
Der Fatalismus von Daesh? Oder der menschliche Fortschritt?
El fatalismo de Daesh? O el Progreso humano?
O fatalismo de Daesh? Ou o Progresso humano?
Il fatalismo di Daesh? O il Progresso umano?
dimanche, janvier 31, 2016
La nécessité de la mythanalyse
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mardi, janvier 19, 2016
Le mythe de l'Homme
Tweet philosophie, Le mythe de l'Homme, 2014
Si nous ne croyons pas en Dieu, il nous faut croire en l'Homme. Ne croire en rien enlèverait tout sens à notre vie, qui serait réduite, selon notre chance d'être privilégié ou notre malchance d'être démuni, au cynisme jouissif ou à un état misérable.
Nous pourrions dire que croire en Dieu ou croire en l'Homme ne sont que des croyances illusoires l'une et l'autre. L'une est une fabulation, l'autre est contredite par la réalité chroniquement scandaleuse que nous observons.
Croire à la grandeur de l'Homme est un mythe porteur. Croire en Dieu est un mythe aliénant. Mais rien ne viendra contredire le second en prouvant l'inexistence de Dieu, tandis que le premier nous apparaît tous les jours dénié par la réalité.
Y-a-t-il une tierce proposition mythique pour laquelle nous pourrions opter ? Je n'en vois assurément aucune. Car la croyance dans les esprits ou dans le polythéisme demeure tout aussi négative que de croire en un seul Dieu.
La mythanalyse postule que notre rapport au monde demeure toujours mythique. Nous ne pouvons échapper, même dans le rationalisme le plus lucide, le plus critique, à la fabulation inhérente à notre condition humaine.Nous ne pouvons jamais accéder à ce qui serait une interprétation "objective" du réel. La mythanalyse nous invite donc à choisir entre Dieu et l'Homme, à choisir le mythe bénéfique de l'Homme et écarter le mythe toxique de Dieu.
Dans les limites - ce que j'appelle les limythes - de notre rapport au monde, incluant notre rapport à nous-mêmes subjectivement et socialement, la croyance dans l'Homme constitue évidemment une pétition de principe d'un étonnant optimisme. Je peux croire en effet que l'Homme et possédé par le mal - cela s'observe couramment -, ou qu'il aspire au progrès individuel - cela est toujours relatif et plus rare, mais concevable -, voire qu'il évolue vers un progrès collectif, ce qui demeure incertain dans le chaos de notre histoire, mais s'observe à bien des égards. C'est cette dernière option qu'implique la croyance en l'Homme, que je pourrais nommer la croyance dans le progrès de l'Humanité.
Nous observons que la croyance en Dieu s'est instituée en diverses religions, avec tous les effets pervers qui en sont résultés. Croire en l'Homme n'implique aucune pratique ou institution religieuse. Nous ne tomberons évidemment pas dans l'idée d'une religion de l'Humanité, telle que l'avait conçue Auguste Comte, qui voulait établir un sacerdoce et des Temples positivistes. D'une part, la mythanalyse se situe à l'opposé frontal du positivisme, puisqu'elle considère le culte de la Raison comme un mythe et relativise toutes nos connaissances, toutes nos théories, qu'elle considère comme des constructions fabulatrices. Et d'autre part dans sa recherche de lucidité critique la mythanalyse s'oppose à toute idée de religion, qui impliquerait des credos, des rites, des symboles aliénants.
La mythanalyse prend la croyance en l'Homme pour ce qu'elle est: une utopie, un mythe, une fabulation, mais qu'elle considère comme bénéfiques et porteurs de progrès collectif.
La mythanalyse n'ira pas plus loin dans la définition, ni davantage dans l'institutionnalisation du concept, voulant précisément éviter les travers de la religion promue par Auguste Comte.
Mais elle recherche comment cette croyance peut se traduire dans la pratique.
La mythanalyse s'appuie dans sa vision utopique de la croyance en l'Homme sur plusieurs éléments qui sont:
- la conscience augmentée (grâce aux hyperliens numériques)
- l'éthique planétaire constituée par la Déclaration universelle des Droits de l'homme
- l'hyperhumanisme (plus d'humanisme par plus d'hyperliens)
- la divergence (l'évolution par sauts et ruptures, par projets et non par adaptation et sélection naturelle)
On le voit, ces éléments sont liés entre eux et soutenus par l'émergence de l'âge du numérique, dont la mythanalyse souligne qu'elle est susceptible d'accélérer le développement du progrès humain collectif, tel qu'il peut s'instituer dans l'exigence collective, dans le renforcement des Nations Unies et des Cours internationales de justice telles que celle de La Haye. La mythanalyse est championne de la diversité culturelle, mais seulement dans les limites du respect des droits universels de l'homme, qui constitue le seul absolu sur lequel elle fonde sa pratique.
Suis-je en train de rêver, de décliner une utopie illusoire. Oui, c'est bien une utopie au jour d'aujourd'hui. Mais c'est celle qui a le plus de sens, celle qui est la plus porteuse d'espoir collectif. Voilà ce que veut dire croire en l'Homme pour l'accomplissement de son évolution collective sur Terre. Et c'est beaucoup plus lucide, inspirant et utile que de croire en Dieu en cultivant son salut individuel pour aller égoïstement au paradis. L'au-delà n'existe pas. S'il-vous-plaît, restons ici-bas. La mythanalyse est athée et enracinée ici-bas. Il n'y a de pire illusion que l'ailleurs.
lundi, janvier 18, 2016
Mythanalyse de la mort
Hervé Fischer danse avec la mort au Museo de Arte Moderno de Mexico, lors de l'événement La calle. Adonde llega?, 1983
Nous devons admettre tout d'abord que la mort sert l'évolution, du moins du point de vue biologique, en certains de ses aspects les plus déterminants. Les forêts ont incontestablement besoin de se renouveler pour se régénérer.
Sans la mort, nous devrions aussi échapper au vieillissement, qui aboutit à une dégénérescence des individus qui serait bien pire que la mort. J'imagine mal la qualité de vie d'un de mes aïeux qui serait âgé de 2000 ans.
Et nous devrions parler d'éternité de la vie, ce qui serait un scénario à repenser, ou plutôt à inventer totalement. Nous ne pourrions plus tuer, ni nos ennemis dans les guerres, ni les animaux et les végétaux que nous mangeons. Nos propres cellules ne mourraient pas constamment, ce qui impliquerait qu'elles ne vieillissent pas non plus, car dans l'état actuel elles meurent et se renouvellent constamment. Nous avons la plus grande difficulté à envisager et encore plus à analyser toutes les implications de telles hypothèses. Le Christ ne serait pas mort, mais les rois et les dictateurs deviendraient eux aussi éternels. En d'autres termes, le temps n'existerait pas. La reproduction, les naissances seraient elles encore possible? Disons: oui, au début de la création, jusqu'à ce que l'espace, qui, lui, n'est pas infini sur Terre, soit saturé.
N'étant plus dans une perspective évolutionniste, telle que Darwin l'a conçue, nous nous retrouverions en plein créationnisme. Un jour Dieu aurait créé tous les êtres vivants, définitivement et en nombre limité calculé selon sa sagesse. Nous serions toujours entre nous, dans un monde fixiste. Serait-ce le paradis? Même schéma, mais incluant le mal, donc difficile à imaginer. Impossible à penser.
Pour éviter cette impasse du raisonnement, il faudrait donc que nous combinons avec une liberté plus que fantaisiste les lois de l'évolution et l'absence de la mort. Nous coexisterions donc avec les dinosaures. Et beaucoup d'entre nous serions encore des primates vivant dans les arbres, tandis que ceux récemment nés circuleraient en voiture dans nos villes. Étrange scénario de coexistence!
Nous laisserons aux humoristes plus talentueux que nous le plaisir d'imaginer cet étrange état de nature aussi contradictoire que le monde d'Alice au pays des merveilles. Laissons donc de côté ce questionnement d'ordre biologique trop contradictoire pour notre raisonnement et prenons une hypothèse simplifiée.
Imaginons qu'un homme ait le privilège extraordinaire de ne jamais mourir et qu'il en soit conscient. Ajoutons, pour ne pas le faire trop souffrir éternellement, qu'à l'âge de 40 ans, en pleine santé et possession de ses moyens, il cesse de vieillir. Il pourrait certes imaginer un destin singulier, celui de témoin, de mémoire vivante, de grand sage que tous les hommes viendraient consulter, ou de "fou du roi", rappelant aux hommes tous leurs malheurs passés pour qu'ils évitent le pire. Mais comme nous ne lui donnerons pas un pouvoir de prescience, il serait constamment dans un choc du futur" qui l'obligerait à se réadapter sans cesse à tous les changements de vie que nous inventons.
On peut se demander si cette désadaptation chronique ne deviendrait pas lourde à vivre. Imaginons donc que son esprit demeure constamment jeune et branché sur l'actualité, sans qu'il perde la mémoire : il vivrait dans une schizophrénie permanente, écartelé entre diverses personnalités liées aux époques successives qu'il aurait connues et qui deviendraient vite contradictoires. Ce scénario rencontre lui aussi tant de paradoxes et d'incongruités qu'il est difficile à poursuivre.
Imaginons alors que je sois cet homme, et que je sache que je ne mourrai jamais, tout en gardant une bonne santé, une bonne mobilité et toutes mes capacités cérébrales. Imaginons donc que je devienne un vieil homme avec le corps d'un jeune. Comment penserais-je ma vie?
Sans doute prendrais-je paradoxalement davantage le temps de vivre, n'étant plus pressé d'accomplir mes projets, de voir mes amis, de visiter un pays, un musée, de lire un livre, d'aller me baigner, puisque j'aurais "tout mon temps". Peut-être n'aurais-je plus l'énergie qui m'anime actuellement, alors que je sais que le temps m'est compté. Est-ce que je m'ennuierai? C'est possible, mais cela ne me ressemble pas. Je demeurerais donc excité par la réalisation de tous mes projets de livres, de peintures, de rencontres, de voyages. Mais il me semble que je n'aurais plus d'angoisse et que je deviendrais un simple jouisseur de la vie, avec le seul souci constant de gagner ma vie ou de m'assurer une retraite financière éternellement suffisante pour pourvoir à mon existence.
Je n'aurais plus ce besoin impérieux, incessant, qui m'anime dans ma condition humaine réelle, de donner un sens à ma vie, qui me permette de mourir sans regret, sans frustration le jour venu.
Et si nous étions tous dans ce même état de ne plus avoir peur de la mort qui ne nous atteindrait plus, nous n'aurions plus, aucun d'entre nous, ce besoin impérieux de nous surpasser constamment pour légitimer le privilège de la vie dont nous jouissons et pour survivre à notre mort dans la mémoire collective des hommes.
Devrais-je conclure que c'est la mort qui nous oblige à donner un sens à notre vie? Cela ne fait aucun doute. Et c'est en ce sens que la mort sert à quelque chose. A quelque chose de majeur, qui est la grandeur de l'homme, ce par quoi il dépasse son état de nature, il diverge de l'animalité qui était son sort originel.
La mort est la faiblesse de notre corps. Mais c'est sa fatalité qui crée la volonté de notre esprit de surmonter notre condition physiologique. La mort est un processus naturel. Mais la conscience que nous en avons tout au long de notre vie, l'angoisse qu'elle suscite en nous et donc la volonté que nous avons de la vaincre, voilà ce qui fait de nous une exception dans la nature. Du moins chez ceux qui sont assez fous pour y penser sans cesse plutôt que de jouir sagement et humblement de la vie quotidienne, sans autre ambition que d'en maintenir la jouissance le plus longtemps possible. Ces fous-là demeurent très marginaux, au moins dans leur volonté d'assumer pleinement cette divergence de l'esprit par rapport au corps.
Cette victoire sur la fatalité de la mort, ardemment recherchée, n'est pas un caprice personnel, une affaire d'égo, fusse-t-il celui, mégalomane, d'un artiste comme le prétend Ben Vautier - cela demeurerait terriblement médiocre -, mais une victoire partagée avec une grande communauté d'hommes et de femmes qui ont contribué dans tous les domaines magnifiquement à l'histoire de l'humanité et qui m'ont fait ce que je suis.
Certes nous sommes en présence d'un mythe, celui de la victoire de la vie sur la mort, de la vie "éternelle", que nous promettent les religions, mais incarnée dans le mythe de l'Homme. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en l'Homme. C'est le mythe porteur d'espoir que j'ai évoqué dans le livre que j'ai intitulé "Nous serons des dieux".
Car cette victoire individuelle est partagée avec d'autres, qui y ont aspiré avec toute leur volonté.
Cette victoire est celle qui me laisse espérer que le jour de ma mort ne sera pas misérable, mais que ce sera le plus grand jour de ma vie, celui qui scellera ma certitude de survie dans la mémoire des hommes. J'éprouverai alors ce que j'appellerai "la joie de la vie plus forte que la mort". Une mort joyeuse.
jeudi, janvier 14, 2016
Mythanalyse de la vie
Ça srt à quoi la vie? Se poser la question, c'est à coup sûr ressentir cette angoisse qui m'est si familière. Mais une angoisse encore maîtrisable, puisque je la conceptualise et cherche une réponse qui me permettrait au bord du désespoir de reculer.
Et lorsque cette question me saisit, j'essaie de vérifier les réponses remèdes que j'ai déjà souvent expérimentées - jusqu'à présent donc avec succès.
Dans l'embrouillaminis de mon esprit, je cherche la bonne réponse. Les yeux, la bouche, les oreilles, les mains, les poumons, les jambes, le sexe sont manifestement utiles. Pour voir, pour manger, pour entendre, pour saisir, pour respirer, pour marcher, pour jouir et se reproduire. Le corps est incontestablement utile. Il sert à vivre.
Mais la question revient, première : vivre pour quoi? Pour quoi faire? Ça sert à quoi? A qui? A moi? Aux autres? La vie est tellement éphémère; elle finit toujours avec la mort qui effacera tout, mes illusions, mes efforts, mes succès, mes cauchemars et mes angoisses. Mes bonheurs et mes malheurs. Alors pourquoi vivre encore, répéter des bonheurs si brefs, des malheurs si pesants? La mort retire à la vie toute justification.
A moins qu'elle n'en vaille la peine que dans l'instant présent. Et à condition que cet instant soit agréable. Il faudrait que je trouve dans ce présent illusoire plus de jouissance que dans tous les malheurs accumulés depuis ma naissance. Une naissance qui elle-même marqua ma vie à jamais du signe de la douleur et du chaos. Toutes mes fabulations pourront-elles jamais justifier cette condition humaine qui m'a été imposée par la vie. Cette vie qui utilise mes gènes indépendamment de ma volonté, comme ceux de milliards d'autres êtres humains, pour poursuivre son chemin qui sert à quoi? Qui mène où? Qui ne pèse aucun poids dans l'univers, à peine une trace, apparemment nuisible dans un univers qui sert à quoi? Personne ne le saura jamais. Chacun se raconte une histoire vaine et fausse. Nous fabulons notre néant dans un être gigantesque, infini. Nous ne sommes pas à la mesure de ce défi.
Mieux vaut tirer sa révérence sans plus attendre que fabuler encore des bonheurs illusoires et des souffrances trop réelles. Kierkegaard et Schopenhauer l'ont déjà dit mieux que moi.
La vie ne sert à rien. Elle ne relève pas de l'utilitaire, mais de l'instinct et du désir. L'instinct est un attribut de la vie, son moteur et donc ne peut être sa justification. C'est le désir seulement qui peut la justifier. La vie sans désir, c'est le stoïcisme ou la bonne variante du taoïsme, ou le bouddhisme. Trop désespérants pour proposer une réponse, même provisoire. Pour moi, la vie sans désir, c'est un renoncement à la vie, un suicide sans mort. La vie des plantes me fascine, mais je n'en voudrais pas pour moi. Une vie végétative serait trop insignifiante pour qui a vécu une vie d'homme.
La vie, lorsqu'elle devient consciente, c'est le désir de tromper la mort, de la vaincre, de lui survivre, aussi illusoire et brève que puisse être cette survie inconsciente, dans la seule mémoire humaine, si fragile. Un désir qui m'anime cependant tous les jours parce que lui seul pourra me permettre éventuellement, à force de persévérance obstinée, d'échapper à ma condition de mortel, de vaincre le néant.
Ce vitalisme renvoie au mythe de la création, qu'elle soit personnifiée par la nature, par un animal totémique ou par un dieu. Il est vrai qu'il existe de nombreux dieux de la mort. que le dieu de la vie a mandat de vaincre. Il n'existe rien de plus suprême que la vie. Sauf la vie en Dieu, le dieu vivant. Dieu dit: "Je suis la vie".
Sans la vie, Dieu n'existerait pas. La Nature n'existerait pas, l'univers n'existerait pas. Il n'y aurait personne pour le savoir, pour en parler. Il n'y aurait que le néant. Pas de mythe. Pas de fabulation. RIEN.
mercredi, janvier 13, 2016
mardi, janvier 05, 2016
Actualité du manichéime
tweet art: manichéismes, 2016
"Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre
nous" dixit un président américain irresponsable et inintelligent après le
11 septembre. Ceux qui ne sont pas des combattants farouches du prophète,
fussent-ils musulmans, ne sont que de vulgaires mécréants affirment les
djihadistes de Daesh. Et ils tuent sans merci. Ils sont binaires,
fondamentalistes, fanatiques, stupidement binaires.
Ce mode de pensée simpliste, si dangereux, est
terriblement répandu et contagieux, de nos jours comme toujours.
Il a été la clé de voute du manichéisme, une religion
fondée par un prophète prêcheur du IIIe siècle nommé Mani qui divisait le
cosmos entre deux puissances, les Ténèbres, l'empire de Satan, et la Lumière,
le monde de Dieu, engagés depuis toujours dans un combat à finir, mais sans
issue possible, puisque Satan y est l'égal de Dieu. L'homme lui-même est pris
dans cette lutte, selon Mani, puisque son corps appartient aux Ténèbres et son
esprit à la Lumière.
Mani est l'exemple même d'un créateur de mythe. Car il
imagina, conceptualisa, écrivit et prêcha un récit des origines du monde
impliquant une conception de l'homme et une religion en s'inspirant des
diverses croyances de l'époque et notamment du zoroastrisme, du christianisme
et du bouddhisme. Le manichéisme se répandit largement avec l'appui du du
pouvoir politique du monarque sassanide Shapur 1er, soucieux d'unir son peuple
sous une religion identitaire. Il était lui-même très instruit, fils de famille
princière. Mani prétendit avoir eu de nombreuses visions d'origine divine et il
mourut supplicié. Son martyr ajouta à la puissance du mythe qu'il
créa.
Le mythe manichéen devint donc une religion
puissante. Saint-Augustin lui-même fut manichéiste avant de se convertir
au christianisme et de prêcher contre la théologie de Mani.
Comme tous les mythes, il puise dans des récits
antérieurs connus de son auteur. On trouve déjà dans presque toutes le
religions l'opposition entre la lumière et le ténèbres. Ainsi, selon l'Ancien
testament (chapitre 1),
"Au commencement,
Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide: il y
avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait
au-dessus des eaux. Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière
fut. Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec
les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les
ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier
jour." Pour le bouddhisme, le nirvana
conduit à se fondre dans la lumière. Et le dualisme qui identifie le bien à la
lumière et le mal aux ténèbres se trouve déjà dans le zoroastrisme (prêché par
Zharathoustra), lui-même issu du mazdéisme et qui remonte au 4e millénaire
avant J. C. Le zoroastrisme fut la religion officielle de l'empire perse à
plusieurs reprises et notamment sous les Sassanides. Mali en connaissait donc
bien les termes. Le manichéisme fut donc très
rigoureux dans sa théologie comme dans ses règles de vie et de pratique. Il
était d'inspiration pacifiste, mais il ne se maintint pas longtemps comme
religion, car il fit partout l'objet de multiples persécutions, tant au
Moyen-Orient que dans l'empire romain. Mais grâce à
son syncrétisme simplificateur - il se voulait une religion
universelle - son influence demeura longtemps présente, à travers le
christianisme, le bouddhisme et les diverses religions du Moyen-Orient, tant
dans l'empire perse, que dans le monde arabe, en Europe dans l'Empire romain
jusqu'en Gaule, en Afrique romaine et en Asie jusque dans la Chine des Tang et
au Japon. Et nous en retrouvons aujourd'hui encore l'influence évidente dans
l'islam, notamment dans le jeûne rigoureux du ramadan, dans le binarisme
impitoyable de la charria, dans ses intolérances et les luttes fratricides
entre ses diverses interprétations sunnite, chiite, salafiste, wahabiste,
soufiste, etc., dont le chefs religieux ne cessent de s'affronter comme le font
Dieu et Satan dans la doctrine manichéiste, sans jamais venir à bout les uns
des autres. Nous retrouvons dans l'islam fondamentaliste cette opposition
manichéenne entre "les fils de la Lumière" et "les fils des
Ténèbres", dont l'interprétation guerrière du Coran inspire le djihad contre tous les mécréants, islamistes pacifistes et croyants d'autres
religions confondus.Tuer les mécréants des Ténèbres ou
devenir martyr en se faisant exploser pour accéder à la Lumière de Dieu, voilà
l'interprétation manichéenne prêchée par Daesh.
Et bien plus généralement que ce manichéisme qui fait des ravages dans l'intégrisme islamique actuel, nous observons son origine psychique dans le comportement ordinaire, binaire, si répandu, si structurel de l'esprit humain, qui simplifie abusivement la complexité des idées, qui nourrit "la peur de l'autre", notamment dans tous les fascismes, mais aussi dans les populismes actuels qui sévissent de plus en plus dans les pays européens, dans toutes les haines partisanes ou personnelles qui empoisonnent la vie sociale.
Cette logique binaire, celle de Port-Royal, janséniste, qui fonde le rationalisme classique lui-même issu de la théologie, qui impose le "tiers exclu", est un mode de pensée fort répandu et qui semble éternel et universel. Il nourrit l'instinct de puissance et Thanatos. Il y a du manichéisme en chacun de nous. A est différent de B, C est exclu de A et B. Le code binaire fondateur de l'informatique en relève tout autant. 1 ou 0, On ou Off. Le transistor laisse passer la lumière (le courant électrique) ou la bloque. Toute tierce option est exclue. Et cela donne à l'informatique toute sa puissance de calcul, un pouvoir inédit.
Pourtant la mécanique quantique resurgit de cette forteresse rationaliste et revendique aujourd'hui l'instabilité de l'opposition entre A et B. Une particule peut être tantôt A, tantôt B, voire simultanément les deux. Le système craque sous la pression de la réalité, qui est beaucoup plus complexe que le binarisme.Et le conformisme du binarisme sexuel lui-même est remis en question. La société tolère de moins en moins mal les comportements homosexuels ou transsexuels, les revendications transgenres, l'hermaphrodisme.
Le manichéisme est d'origine instinctive, animale. Il vient de la lutte pour la survie, pour le territoire, qui considère l'autre animal, l'autre clan, l'autre ethnie, l'autre religion, l'autre culture comme un compétiteur, un ennemi à chasser, à éliminer. Il faut ici parler d'un manichéisme ordinaire, qui est présent dans nos comportements, dans nos sociétés, et avec lequel nous apprenons à composer plus ou moins bien selon les situations sociales, les pressions démographiques, les tensions économiques. Et lorsque ce manichéisme instinctif est exacerbé par des volontés de pouvoir, il prend dimension mythique et se transforme en cosmogonie, en théologie, qui peut alors fonder des religions et susciter des intégrismes violents, barbares, tels ceux des guerres de religions en Europe encore récemment ou de Daesh aujourd'hui. Aucune négociation ne semble alors possible entre la Lumière et les Ténèbres, entre le Bien et le Mal. On ne vise plus que l'extermination. Nous observons aujourd'hui même les effets épouvantables de cette exacerbation radicale du manichéisme ordinaire.
Et bien plus généralement que ce manichéisme qui fait des ravages dans l'intégrisme islamique actuel, nous observons son origine psychique dans le comportement ordinaire, binaire, si répandu, si structurel de l'esprit humain, qui simplifie abusivement la complexité des idées, qui nourrit "la peur de l'autre", notamment dans tous les fascismes, mais aussi dans les populismes actuels qui sévissent de plus en plus dans les pays européens, dans toutes les haines partisanes ou personnelles qui empoisonnent la vie sociale.
Cette logique binaire, celle de Port-Royal, janséniste, qui fonde le rationalisme classique lui-même issu de la théologie, qui impose le "tiers exclu", est un mode de pensée fort répandu et qui semble éternel et universel. Il nourrit l'instinct de puissance et Thanatos. Il y a du manichéisme en chacun de nous. A est différent de B, C est exclu de A et B. Le code binaire fondateur de l'informatique en relève tout autant. 1 ou 0, On ou Off. Le transistor laisse passer la lumière (le courant électrique) ou la bloque. Toute tierce option est exclue. Et cela donne à l'informatique toute sa puissance de calcul, un pouvoir inédit.
Pourtant la mécanique quantique resurgit de cette forteresse rationaliste et revendique aujourd'hui l'instabilité de l'opposition entre A et B. Une particule peut être tantôt A, tantôt B, voire simultanément les deux. Le système craque sous la pression de la réalité, qui est beaucoup plus complexe que le binarisme.Et le conformisme du binarisme sexuel lui-même est remis en question. La société tolère de moins en moins mal les comportements homosexuels ou transsexuels, les revendications transgenres, l'hermaphrodisme.
Le manichéisme est d'origine instinctive, animale. Il vient de la lutte pour la survie, pour le territoire, qui considère l'autre animal, l'autre clan, l'autre ethnie, l'autre religion, l'autre culture comme un compétiteur, un ennemi à chasser, à éliminer. Il faut ici parler d'un manichéisme ordinaire, qui est présent dans nos comportements, dans nos sociétés, et avec lequel nous apprenons à composer plus ou moins bien selon les situations sociales, les pressions démographiques, les tensions économiques. Et lorsque ce manichéisme instinctif est exacerbé par des volontés de pouvoir, il prend dimension mythique et se transforme en cosmogonie, en théologie, qui peut alors fonder des religions et susciter des intégrismes violents, barbares, tels ceux des guerres de religions en Europe encore récemment ou de Daesh aujourd'hui. Aucune négociation ne semble alors possible entre la Lumière et les Ténèbres, entre le Bien et le Mal. On ne vise plus que l'extermination. Nous observons aujourd'hui même les effets épouvantables de cette exacerbation radicale du manichéisme ordinaire.
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