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A force
de suivre la fièvre de l’art market, c’est donc aujourd’hui du « market
art » qu’il faut parler, tant l’alchimie qui s’est imposée entre l’art et
l’argent a transformé la fonction de l’art dans la société. Le temps est-il
révolu de l’art qu’on admirait pour sa poésie, son esthétique, ses thèmes, son
style ? Oui, ce qui nous fascine désormais dans l’art semble être plus que
tout sa cote sur le marché international de l’art.
Faut-il
le regretter ? Peut-être, mais c’est loin d’être sûr. Faut-il s’en
indigner ? Oui, si l’on s’indigne des excès du capitalisme. Faut-il
l’accepter comme un fait de société que l’on observe objectivement ? Oui,
si l’on est sociologue. Oui et non si l’on est mythanalyste. Faut-il s’en
réjouir ? Malgré les effets pervers, j’affirme que oui, si l’on croit à
l’importance fondamentale de l’art dans les sociétés humaines. Rien ne peut
davantage confirmer l’importance du mythe de l’art que cette valeur financière
que nous lui reconnaissons aujourd’hui, dans notre monde actuel où l’argent a
pris la relève de la religion et est devenu l’être suprême. La magie de l’art rivalise
avec la sorcellerie des vieux chamans. Elle est même plus efficace. Et la
légitimité que le capitalisme prétend obtenir avec la célébration de l’art vaut
bien celle qu’y recherchait jadis les rois, les papes, les chefs de guerre.
Elle est même beaucoup plus acceptable, beaucoup moins aliénatrice. Et mis à
part la volatilité inévitable des cotes boursières de plusieurs de nos artistes
actuels, on lui doit aussi la reconnaissance publique de l’immense valeur des
œuvres d’artistes maudits, méprisés de leur vivant, morts dans la misère comme
Van Gogh ou Gauguin. Lorsque c’est Jean-Michel Basquiat, le marginal d’origine haïtienne
de New York mort dans la détresse à 30 ans qui est devenu dans les années 2010-2011
l’artiste le plus coté au monde, qui reprochera au market art de compenser la
misère qu’a connu un artiste avant son « quinze secondes de gloire »..
Cette alchimie
actuelle de l’art en argent et vice-versa vaut mieux que celle de jadis qui prétendait
changer le plomb en or. Elle transforme le génie humain d’immenses créateurs
que nous n’avions pas toujours su reconnaître de leur vivant en millions de
dollars. Cette issue matérielle est-elle détestable, en comparaison de la gloire
de Dieu et de puissants auquel on identifiait jadis l’art ? Disons que
cette alchimie est beaucoup plus humaine, lucide – et équitable.
Que ce
soient de grands capitalistes qui en profitent est finalement secondaire, voire
anecdotique par rapport à cette célébration contemporaine du mythe de l’art.
Que ces grands capitalistes s’en servent de placement et les mettent dans des
coffre forts ou dans des ports francs, voire qu’ils s’en servent pour échapper
au fisc ou pour le blanchiment d’argent demeure anecdotique en comparaison de
cette reconnaissance incroyable de la valeur humaine de l’art. De toute façon,
ils donneront finalement à des musées ces œuvres dans lesquelles ils ont
investi tant d’argent, voire ils construiront des musées pour donner accès à
tous à ces œuvres qu’ils ont eu le pouvoir d’acheter.
Que
plusieurs mauvais artistes, mais plein de talent entrepreneurial s’inscrivent eux
aussi au sommet de ce palmarès capitaliste demeure tout autant anecdotique. Ce
sont les riches collectionneurs qui les ont achetés, ni vous, ni moi. Et la
postérité saura faire ses choix. Quand nous reprochons aujourd’hui à de grands
musées publics de dépenser l’argent des contribuables pour acheter des œuvres
qui ne vaudront plus grand-chose dans un futur proche, nous oublions que ce
genre d’erreur a toujours été monnaie courante par le passé. Les entrepôts de
nos musées ne regorgent-ils pas d’œuvres
aujourd’hui jugées insignifiantes d’artistes très prisés et célébrés de leur
vivant par les institutions et les collectionneurs ? Il faut ici faire la part
inévitable des choses faute du recul que seul pourra donner le temps. L’Académie
française ne fait pas mieux avec le choix de ses écrivains.