Performance le 15 février 1979 où je déclare que l'Histoire de l'art est terminée (Centre Pompidou)
Voici la suite du texte sur la mythanalyse que j'ai publié dans "L'Histoire de l'art est terminée", (Balland 1981):
Le mythe
art, comme questionnement du mythe
Le mythe art vient après l'avant-garde, mais il était
déjà là avant.
La thérapeutique psychanalytique, telle que l'a conçue
Freud, vise à faire apparaître dans le langage et la conscience du patient les
traumatismes et les images refoulés, pour les élucider et les maîtriser.
L'hypothèse thérapeutique de Freud est que cette prise de conscience aidera
l'individu à surmonter ses angoisses et à maîtriser son comportement.
On pourrait concevoir pour l'art une ambition parallèle,
quoique démesurée, qui serait de faire apparaître les mythes d'une culture et,
non pas seulement de parler naïvement le langage mythique comme l'a fait l'art
jusqu'à présent. En espérant que le dévoilement pour soi-même, et pour les
autres auxquels s'adresse l'artiste, favorise une maîtrise plus lucide,
cathartique pourrait-on dire, de ces mythes.
Que l'ambition soit démesurée, la tâche impossible,
c'est-à-dire que l'on ne puisse guère faire mieux que de manipuler les images
mythiques les unes par rapport aux autres, c'est ce que démontre le simple fait
du vocabulaire que nous ne pouvons éviter d'employer et qui est lui-même le
langage naïf du mythe : élucider renvoie à la lumière, maîtriser évoque le
maître, le père.
Un usage critique du langage mythique par rapport à
d'autres mythes est-il possible ou illusoire ? Démystifier le mythe du Père en
recourant, pas toujours très consciemment, à celui de la Mère a-t-il un sens ?
Il semble qu'on puisse répondre : oui, dans une certaine
mesure. N'avons-nous pas rencontré la même difficulté au niveau de la critique
idéologique ? Cela n'a pas détourné le marxisme d'une certaine élucidation.
L'idéologie présente dans la théorie de l'art sociologique n'a pas empêché
celui-ci d'opérer une critique efficace de l'idéologie idéaliste et marchande
de l'art.
Comme si chaque fois que nous butons sur une impasse du
labyrinthe où nous évoluons, nous avions l'impression de plus de connaissance
et de plus de liberté. Illusion dont l'issue demeure irrésolue, car il est
clair que nous aurons beau nous cogner la tête contre les murs, nous ne ferons
jamais que manipuler de l'idéologie contre l'idéologie, du mythe contre du
mythe.
Et le sachant, nous ressentons malgré tout une exigence
de connaissance, que Descartes attribuait à Dieu, mais que Freud, plus
matérialiste et plus modeste, mais aussi plus désespérant, attribue au désir
sublimé de la mère. Si le père interdit la mère, en déclarant que le savoir
absolu nous est impossible, voire, en s'interdisant de prononcer le nom de Dieu
ou de le définir positivement comme l'exigent plusieurs religions (on ne peut
dire de Dieu que ce qu'il n'est pas), peut-être sommes-nous simplement victimes
du mythe de l'inceste. Nous nous interdisons l'espoir de la connaissance
absolue ou vraie parce que nous respectons l'interdit de connaître (au sens
biblique) la mère,
donc les secrets (intimité) de la nature, de la vie. Ces
secrets, ces mystères doivent rester pudiquement cachés à notre désir, malgré
nos tentatives de les dévoiler.
Cela signifie-t-il que décidément la connaissance est
impossible ou que décidément nous naviguons de mythe en mythe ? C'est une
question sans réponse, encore que la prudence suggère plutôt de ne pas naviguer
sans boussole.
La différence entre l'art, qui tente de mettre en
évidence critique la représentation mythique implicite dans notre culture, et
la pratique thérapeutique proposée par Freud, c'est que Freud avait
implicitement promu la valeur de normalité du comportement aux exigences de la
société. Il avait en cela pris le risque de cautionner l'idéologie dominante,
comme le lui reprocha Wilhelm Reich. Avec un art sociologique dont l'ambition
impossible serait de mettre en situation critique, et l'idéologie politique et
les mythes inconscients – deux aveuglements toujours présents l'un et l'autre -
il n'y aurait plus de système de référence possible (ni de représentation du
monde admise, ni de valeurs reconnues). Tout passe en principe à la question.
Ce serait un nihilisme. Ce serait la mort.
Il faut donc faire un choix entre la vie et la mort. Si
je choisis la mort, je me tais et aucune question ne se pose plus. Si je
choisis la vie, la vie devient de fait mon dieu ou ma valeur de référence
absolue. Elle devient mon mythe référentiel, ma religion et je dois la
respecter, l'honorer non seulement en moi-même, mais chez les autres et dans la
nature.
En quelques mots, elle est mon cogito, mon fondement, la seule valeur, la seule évidence qui
demeure au moment où tout est mis en doute mais où je refuse la mort, cette
mort que je pourrais choisir ou accepter de toute façon une autre fois, de
sorte que la mort maintenant m'interdirait l'expérience de la vie et non
l'inverse.
Du moins ai-je là, dans le questionnement ou doute
généralisé, trouvé ma pierre angulaire à partir de laquelle je pourrai rebâtir.
Adorons la vie!