tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.
mardi, septembre 09, 2014
Symbolique de la nuit
La contrainte du sommeil nous apparaît souvent comme un désordre, une contrainte qui perturbe notre vie quotidienne, à laquelle on ne peut biologiquement se soustraire, mais qui constitue une sorte de dysfonction. On pourrait de même s'interroger sur le cycle des jours et des nuits, que nous expliquons maintenant par la rotation de la Terre sur elle-même : un phénomène purement astrophysique, mais qui devait paraître jadis comme une étrange volonté des dieux. A croire que le dieu Soleil ait lui aussi besoin de se coucher et de dormir comme un simple mortel, et que la lune et les étoiles soient comme des oiseaux nocturnes.
De même, du sommeil, nous avons aujourd'hui toutes les explications biologiques requises. Il est un temps de récupération physiologique, de renforcement de notre système immunitaire, etc. La preuve: nous ne pouvons survivre sans sommeil. Mais il donne encore aujourd'hui lieu à toutes sortes d'interprétations irrationnelles. Le sommeil, comme la nuit, suscitent une ambiguïté d'interprétation qui est celle de beaucoup de mythes: en bien et en mal. Et comme la nuit, il détient communément une forte symbolique.
La nuit est identifiée à la peur, à l'insécurité, aux démons; mais les poètes romantiques l'ont aussi chantée et exaltée pour son pouvoir onirique. Et le ciel étoilé invite à une spiritualité empreinte de sérénité. Le sommeil, de même, apaise et inquiète. Temps bien mérité de la relaxation, qui nous permet d'échapper pour un moment à toutes les angoisses quotidiennes et de retrouver le contact physique avec l'être aimé, il est aussi une petite mort qui nous livre sans défense aux dangers de la nuit et aux cauchemars. Ces interprétations ont certes un fondement physique et biologique, mais la symbolique de la nuit et du sommeil demeure puissante. Ils nous rappelle l'étrangeté de notre condition humaine. Ils sont chargés de mémoire et d'interprétation mythiques.
Cette symbolique qui nous ouvre la voie vers un autre monde irrationnel se présente comme l'opposé de l'action, de la compétition, du pragmatisme, du réalisme, de l'effort et du travail, de la démystification lucide, qui sont les attributs de l'état de veille. Cette symbolique est celle de l'autre face de la réalité et de la vie, le domaine de la pensée magique, du sentiment religieux, de l'ailleurs. comme si nous avions les pieds sur terre et la psyché dans un au-delà.
Voilà bien la condition binaire de l'homme, qui a un corps et imagine avoir aussi une âme, des bras pour agir et une antenne vers l'irrationalité. Pour les esprits les plus matérialistes, serait-il pensable de réduire cet espace onirique aux seuls processus de la physiologie ? Certes, nous observons que les animaux aussi rêvent. Mais nous résistons, comme par instinct, à une telle question, qui nous semble trop réductrice. Et pourtant, à moins de verser dans la psychanalyse jungienne, qui valorise cet ailleurs de l'inconscient, comme une transcendance, il nous faut postuler que la psyché relève seulement de la biologie et de la sociologie. Formatée dans la matrice familiale, elle est l'objet d'étude de la mythanalyse, qui se veut une démarche démystificatrice matérialiste.
Pour autant, la mythanalyse ne nie en rien la force symbolique de la nuit et du sommeil. Bien au contraire, elle s'y intéresse vivement, comme à toutes les manifestations de notre activité fabulatoire. Le poète Hölderlin écrivait: «c'est poétiquement que l'homme habite», Il avait perçu cette évidence: la condition humaine est mythique. L'interprétation que nous concevons du monde et de nous-mêmes est mythique. La pensée aussi bien que l'imagination, les affirmations rationnelles aussi bien que nos dérives irrationnelles sont de nature mythique, chargées les une comme les autres de connotations symboliques qui renvoient à l'origine mythique de la formation de notre conscience.
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