Ce sont les poètes, les historiens, les artistes, les cinéastes qui inventent, mettent en scène ou transforment les mythes. Ce sont eux et aussi les chefs militaires, religieux, politiques qui conçoivent les récits sur les quels nous fondons nos imaginaires collectifs. Ils gardent la mémoire ou ils redessinent l'existence des figures mythiques qui ont animé la construction du monde lorsque le nouveau-né fabule pour maîtriser le monde et le corps qui viennent à lui avec l'accouchement. Dès les premières émotions, craintes ou désirs qui envahissent la psyché du nouveau-né, sa conscience des acteurs du carré parental, mère, père et soi-même est déterminée par l'Autre (le contexte socio-historique) qui est présent aussi et qui lie ces premiers sentiments biologiques à la culture de la société où naissent conjointement le nouveau-né et le nouveau-monde.
La sociogenèse des mythes est ainsi marquée dès la naissance par la forte influence de l'Autre dans le carré parental. Elle s'inscrit émotionnellement et durablement dans les circuits synaptiques encore plastiques du cerveau du nouveau-né. Elle fonde la logique des drames mythiques fondateurs de l'enfant qui tente d'interpréter le monde qui vient vers lui. Elle détermine la syntaxe des relations premières entre acteurs, actions et conséquences pour l'individu en gestation. Et c'est cette même appartenance culturelle et sociale qui déterminera sans interruption la psyché de chaque être humain tout au long de sa vie, et qu'on retrouve dans les récits qu'en proposent les poètes et autres créateurs «professionnels» de mythes, les peintres, les écrivains qui en fixent les grands récits qu'adoptent et institutionnalisent les groupes sociaux.
Il n'y a donc pas d'invariants dans les imaginaires sociaux ou ce qu’on appelle les inconscients collectifs des sociétés. Il n’y a que la mémoire des récits mythiques, qui perdure, varie, est contredite ou rejetée et l'invention de nouveaux mythes en résonance avec l'évolution sociale. Ce qui peut créer l’illusion encore si répandue de ces invariants, qu'ils soient idéalistes (les archétypes de Jung) ou mathématiques (l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss), c’est seulement la répétition biologique de la naissance du nouveau-né et du nouveau-monde dans le carré familial. Une constante biologique qui est soumise au jeu des variations historiques et sociologiques dans ses représentations sociales.