tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

dimanche, juin 24, 2007

Entretien avec Tristan Malavoy-Racine

Le coeur a ses raisons
Tristan Malavoy-Racine

Magazine VOIR, Montréal
21 juin 2007
http://www.voir.ca/livres/livres.aspx?iIDArticle=52085



Hervé Fischer ne recule devant rien. Le philosophe iconoclaste et génial essayiste entend cette fois-ci allonger La société sur le divan, ni plus ni moins. Prêts pour une mythanalyse?

En 2001, avec Le choc du numérique, celui qu'on dit artiste-philosophe s'engageait dans un ambitieux projet: l'écriture d'une série de livres faisant le bilan d'une trentaine d'années de réflexion sur le mythe et les rapports qu'entretient l'individu avec l'humanité. Dans La société sur le divan, cinquième et avant-dernier ouvrage de la série, Hervé Fischer approfondit sa théorie et propose des bribes de sens à un XXIe siècle qui en a bien besoin. Nous en avons parlé avec lui.

Vos livres consacrés à ce que vous nommez la mythanalyse représente maintenant une véritable somme, une réflexion dont l'originalité comme la densité ont peu d'équivalents de nos jours. Quand vous avez eu l'intuition de ce grand concept, pensiez-vous aller jusqu'à établir un nouveau modèle selon lequel penser le monde?

"C'est comme artiste, à partir de ma pratique d'art sociologique, que j'ai pensé, il y a trente ans maintenant, à la nécessité de la mythanalyse et commencé à écrire à ce sujet. Mais j'avais conscience autant de la difficulté que de l'importance de l'enjeu: une sorte de psychanalyse de l'inconscient social, qui manquait manifestement à nos outils critiques. J'ai donc pris mon temps pour en élaborer la théorie. Ce ne pouvait pas être la psychanalyse, qui travaille sur les biographies individuelles, ni la sociologie, qui manque d'outils pour analyser l'inconscient collectif. Il s'agissait d'une démarche complètement nouvelle, même si je n'aurais pas pu la penser sans Freud, Jung, Durkheim, Fromm, etc. Face au scandale du monde, je m'inquiétais aussi de construire une éthique qui puisse opposer des exigences planétaires au relativisme généralisé qu'implique la mythanalyse. Ça m'a pris trente ans, mais je crois avoir construit une vision à la fois critique et optimiste qui permet de penser le monde d'aujourd'hui, après la crise radicale de la postmodernité, et alors que nous entrons dans l'âge du numérique."

Vous partez d'expériences personnelles, celles de vos peurs d'enfant entre autres, pour embrasser peu à peu tous les liens que tisse l'individu avec son environnement physique et social. Qu'est-ce qui vous incite à prendre pour points de départ des impressions et sentiments qui sont du registre de l'intime?

"Pour philosopher, je ne pars pas des idées abstraites, mais de mon vécu. J'ai été existentialiste, au sens de Sartre: être ce que l'on fait. Je suis un philosophe matérialiste. Or, j'avais une urgence personnelle, celle de surmonter les angoisses de mon enfance, des idées de suicide. Je voulais m'en sortir. Je me suis mis à détester le misérabilisme de la psychanalyse autant que le dolorisme de mon éducation chrétienne. Toute ma vie, j'ai cherché des raisons pour vivre. Et je me suis rendu compte que ma névrose personnelle ne venait pas tant de moi que de ma famille, de mon éducation occidentale et chrétienne, des malheurs de l'époque (je suis né à Paris, en 1941, sous l'occupation nazie). C'est pour cela que, rebelle à toute psychanalyse, mais sociologue depuis Mai 68 et son appel à "l'imagination au pouvoir", j'ai vu la nécessité et l'urgence d'inventer la mythanalyse, qui pourrait m'aider à comprendre pourquoi nous sommes à la fois si sadomasochistes et si conquérants en Occident. J'en ai reconnu l'origine dans nos mythes fondateurs: d'une part, l'optimisme grec de Prométhée, qui triomphe de Zeus pour donner le feu et la conscience à l'homme; et d'autre part, la malédiction du péché originel, de la souffrance ici-bas et de la soumission à Dieu, selon l'interprétation chrétienne de la Bible."

Vous avancez que notre représentation du monde est inévitablement mythique, et qu'il est étonnant que cette constatation ne se soit pas imposée plus tôt, tant elle est inclusive de tous les modes d'interprétation élaborés jusqu'ici. Pouvez-vous préciser cette idée?

"La réalité dans laquelle nous vivons est faite de matière-énergie et d'imaginaire. Toute notre interprétation du monde est imaginaire, que ce soit les magies, nos religions et superstitions, nos théories et notre culte occidental de la Raison. Tout ce que nous savons du monde passe à travers le filtre de nos fictions. Comment pourrait-il en être autrement? C'est s'illusionner que de croire à une déesse Raison, que d'imaginer que la technoscience va un jour tout comprendre. Mais c'est chercher notre lucidité et notre liberté que de développer une pensée critique et de décider du sens que nous voulons donner au monde, nous-mêmes. Il n'y a pas de vérité qui se puisse déchiffrer dans le monde, pas de pilote dans l'avion à qui nous en remettre. Ce n'est pas le Grand Ordinateur Central qui va nous guider. Ce sont les hommes eux-mêmes qui doivent apprendre à s'orienter et à piloter l'avion. Et nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas où aller: il y a une vérité absolue, malheureusement constamment bafouée, c'est celle de l'éthique planétaire des droits humains élémentaires. Le toit et le verre peuvent varier selon la diversité des cultures, mais chaque homme a droit à un toit, à de l'eau potable, à sa sécurité physique, etc. Ma philosophie, c'est l'hyperhumanisme: plus d'humanisme par les hyperliens de la solidarité planétaire. Je recours souvent à la métaphore du web et de l'hypertexte pour parler de l'humanité d'aujourd'hui."

La société sur le divan
d'Hervé Fischer
VLB éditeur, 2007, 304 p.

For a strategic hyperhumanism

By: Isachi Fernández, Cuba, June 19, 2007

He has investigated today´s man as few and has rethought the future in the heat of the accelerated development in the field of technology and communications. Far from being a useless apology, his proposal is a critical look that penetrates changes and
new processes.

The French-Canadian intellectual Hervé Fischer resists labels, they suit him too short and he could easily be labelled as a philosopher, artist or specialist in science and technology.

He is the author of one of the first complete digital books on line and available since the middles of the year 2000: “Mythanalyse of the future” (www.hervefischer.net). He has also published many other books, including “Digital Shock”, McGill and Queen’s University Press, 2006), and “The decline of the Hollywood Empire” (Talon Books, Vancouver, 2006).

Also dedicated to the digital arts, to robotic and artificial intelligence, to wireless video, to emerging movie and to virtual actors, Fischer affirms that humanity remains the same since remote times and votes for solidarity as an ethical value.

- Where do you find the communicating links between cultural diversity and development?

- We hope it is not about communicating vessels that could accelerate standardization of cultures. We find a paradox. On the one hand we strive for a planetary awareness in favour of universal values at the level of ethics (basic human rights denied every day in so many countries), and on the other hand we are militants of the precious cultural diversity, of the right to difference. We are in favour of the law of difference, as I underline in my last book “Society on the sofa”. I don’t see any impossibility in the conciliation of those two poles of our hyper human consciousness, but I consider it exactly as our basic situation in today’s world. It is about developing links – hyperlinks - between human beings at planet level (universal planetary ethics of solidarity), and also to build hyperlinks of dialogue between the different cultures, respecting their rights to difference and alternative objectives. That is my conception of hyperhumanism.

- How do you interpret the man’s fascination for producing and consuming virtual reality, when it comes to a conversation, a hug, a look…?

- Reality is made of physical matter and human imagination to interpret it and transform it. In that sense, the evasion in the cyber world presents itself as a space of dream, of compensation for the resistances and the frustrations of ordinary life, and a space of creation of a more open and freer virtual social community. Even today’s science is not as focused on matter as experimental sciences did in the time of Claude Bernard and classic puritan rationalism. The invisible part of reality gains more attention each day, virtual models of molecules, of DNA, of a virus, are created and successfully instrumented. There is a close relation at all levels between virtual and “real”, between physical and imaginary. It is imagination what makes the world move.

- Will this generate another type of sensitiveness?

- Our knowledge, our conscience, is built by linking fragments of information, phonemes of the “book” of life, by drawing arabesques in the prolix mix of pixels and bites in a fractured world, to try to create hyperlinks and give them a human sense. We live with the logic of links rather than with the lineal classical logic.

“Therefore, evoking the divisionism of the impressionist painters, the juxtaposition of strokes of pure colours, I say we have an impressionist consciousness of the world. I speak of an impressionist epistemology. We have to invent coherent configurations in a fragmented, fractured world.”

“On the other hand, I criticize McLuhan’s assertion when he says: “The medium is the message”. I see it unacceptable from the point of view of hyperhumanism. But I am ready to say that today the medium is our sensitiveness. Without forgetting that the media themselves became impressionist. They bring us juxtaposed capsules of fragmented and incoherent information.”

- There are some who affirm that the present strategic issues are in the field of communications. What can you say about it?

- It would be so good that we could develop multiple dialogues and more transparency through them. But communications present themselves also as a field of battle, of power, of imperialism, of resistance, of solidarity.

-Why do you perceive the possibility of a new obscurantism?

- Our critical thinking, our freedom, our lucidity have met a historical progress in the Age of Enlightenment. We are the sons and the daughters of the French Revolution. That critical thinking is very indebted to the classic rationalism, to the lineal thinking, to the ideal of objectivity. Today we take the chance of embracing the complexities of reality, of praising the speed, the emotions, the creative imagination, the paradoxes, the labyrinths of the web, an impressionist epistemology. It is all the opposite to the classic rationalist attitude. We dance on the screen; we move frenetically restless, we show our desires without puritanism, we legitimize a permissive spirit and behaviour and imagination. We are in the postrationalism. Bravo. It’s worth the risk. But is a risk of a new emotional obscurantism, irrational, which could also promote new manipulations of the human masses in the sense of new fascism or integrism denouncing the general crises of values and sense of a post modern disillusionment. Therefore we have to promote a new philosophy of the digital age, which may propose sense and optimism, a new hope, a strategic hyperhumanism.

vendredi, juin 08, 2007

Hiperhumanismo

Tenemos conciencia de una doble aspiración simultánea, que puede parecer contradictoria a primera vista, por un lado de respeto a la diversidad cultural y por el otro, y al mismo tiempo, de la universalidad de nuestra exigencia ética. Esto es lo que podríamos llamar: la paradoja de la diversidad universal. Pero un examen más profundo nos hace descubrir que el segundo término de esa afirmación incluye necesariamente el primero y que esa contradicción solamente es, en apariencia.

El concepto mismo de hiperhumanismo reivindica un aumento de nuestro humanismo, pero asume que sólo se podrá concretizar gracias a la creación de vínculos de solidaridad humana. Retomando la metáfora del hipertexto, que es donde se pueden construir y activar vínculos, en la red planetaria de la Web, nos lleva a imaginar más fácilmente lo que podría ser una hiperhumanidad.


La famosa definición de Marshal McLuhan, cuando anunciaba la “aldea planetaria” fue sin dudas una brillante profecía, que parece materializar el advenimiento de la era digital, pero esa formula ha servido de apoyo a la ideología del neoliberalismo y a esa globalización tan perversa que nos ataca hoy. Seamos claros: no existe una tal “aldea planetaria” y no deseamos que exista algo así. Al contrario, luchamos por la diversidad cultural y lingüística encarnada en millones de aldeas planetarias, todas diversas.

Nuestra conciencia del mundo es impresionista. Confrontados a los flujos disparatados de informaciones numéricas, concebimos una cosmogonía en la cual los dos polos imaginarios se sitúan entre una unidad irreal, pero virtualmente necesaria del mundo (cosmos), y una fragmentación de informaciones diversas y dispersas (caos) evocando la multitud de pinceladas de los pintores impresionistas o puntillistas. Intentamos trazar en esa superficie pensamientos lineales y en arabesco, para construir configuraciones locales coherentes, capaces de darle un sentido. Esto es a lo que llamo, desde un punto de vista cognitivo: el impresionismo digital.

La mayoría de nuestras preguntas significativas hoy por hoy, ya sea en Astrofísica, en Epistemología, como en Sociología, en Psicología, o en la Teoría del conocimiento, están vinculadas a esta nueva cosmogonía impresionista.

En el campo de la Psicología se puede decir que nuestras identidades individuales son apenas algo más que impresiones, conciencias divisionistas evolucionando entre el sentido virtual de una personalidad psíquica coherente y los múltiples roles sociales disparatados, o inclusive contradictorios, que tenemos de adoptar en los diversos momentos y lugares de nuestra vida social. Cada ser humano puede parecerse tanto a si mismo, como a los demás, una especie de enjambre impresionista de gestos, pensamientos, sentimientos, mezclados en una agitación que intentamos controlar, para construir la configuración unida de un yo virtual. Estamos confrontados a un impresionismo psicológico, a una conciencia impresionista.

Sin embargo nos creemos únicos, en medio de masas sociales virtuales, en las cuales nos sumamos los unos a los otros, como individuos más o menos semejantes, o incluso intercambiables. En nuestras sociedades de clases medias, tomamos conciencia de nuestro estatus de átomos sociales virtuales, que evolucionan según los mismos arabescos aleatorios que observamos en los bancos de peces o de papagayos, en sus entornos acuáticos o aéreos. Cada individuo es único y está aislado como una pincelada dividida de energía en una masa cromática abigarrada, que nos procura una impresión de una unidad familiar. Estamos en la edad del impresionismo social.

Agitados y manipulados dentro de la nueva Sociedad de la información, estamos atrapados por enjambres de informaciones dispersas, descosidas, yuxtapuestas sin estar vinculadas, cada cual por sí misma, discordantes y que sin embargo forman parte de la misma superficie de los medios de comunicación, en una proximidad que evoca la yuxtaposición de las pinceladas de brillantes colores, de los pintores impresionistas. Cortadas y pegadas, pertenecen a la misma energía informativa, virtualmente coherente. Vale esta afirmación tanto para los periódicos y sus cápsulas tipográficas, como para los programas de televisión que visualizamos haciendo zapping, así como para las rápidas informativas de los programas de radio. Y la tela de la Web, con sus múltiples hipervínculos puntuales, heteróclitos, y también virtualmente agrupadores, nos parece la metáfora evidente de esta cosmogonía impresionista. Es cierto que no es casual, hablaremos aquí de medios impresionistas, y tampoco es casual que la propia materia de las imágenes de nuestras pantallas, el barrido electrónico de los corpúsculos luminosos, sobre las superficies catódicas, la vibración de los píxeles de nuestras imágenes sintéticas, a menudo han sido llamados: un nuevo impresionismo digital. Hemos adoptado una sensibilidad impresionista.


Una lógica y una ética de los vínculos

Confrontados a una conciencia fragmentada, desarrollamos una lógica de vínculos (hipervínculos) lineales o en arabesco, para crear sentido y diálogos. Lo hacemos hasta el punto de afirmar una solidaridad virtual entre todos los seres humanos. Exigimos la instauración de una conciencia universal, aquella de una ética planetaria, capaz de reconocer que todos los hombres tienen los mismos derechos fundamentales – esos derechos tantas veces afirmados en las Declaraciones universales de derechos humanos y tantas veces menoscabados: los derechos a la seguridad física y material, al agua potable y a la comida, a un techo, a una educación, a la salud publica, a la libertad de pensamiento y de expresión. Esta ética planetaria es una ética de la solidaridad. Se trata de un valor universal, pero en nombre de la ideología tradicional del imperialismo universal, hemos de hecho olvidado, o incluso retrasado y combatido, un derecho fundamental mas: el derecho a la diferencia. Hoy tenemos que luchar por este último derecho, afirmarlo y agregarlo a las listas de nuestros derechos fundamentales.

El derecho universal a la diferencia y a la divergencia.

Hablamos entonces de una ética universal planetaria, basada en el principio de la solidaridad humana, aquella que incluya el derecho universal a la diferencia y a la divergencia. Hablamos de diferencias de sexo, de color de la piel, de generación, de educación, de idioma, de cultura.

Así como se subraya que la libertad es un valor universal pero también que esta limitada por la libertad de los otros, la solidaridad universal exige el respecto de la diversidad de culturas y de palabras. Hablamos de vínculos. Es decir de vínculos entre diferencias y entre divergencias. La uniformidad se presenta como una consecuencia perversa del universalismo imperialista y totalitario y de su deriva colonialista. Apenas podemos seguir hoy hablando del universalismo en razón de su perversión histórica. Tenemos entonces que rehabilitarle en su sentido hiperhumanista: el que vincula una solidaridad y diversidad universales.

Así se presenta hoy el nuevo universalismo. Lo llamamos hiperhumanismo. Cuantos milenios vamos a necesitar para establecerlo? Quesearíamos creer que la humanidad ya ha logrado muchos progresos en ese sentido. Pero parece más urgente que nunca comprometernos hoy a luchar por él.

Hervé Fischer.

mercredi, juin 06, 2007

HYPERHUMANISME ET DIVERSITÉ CULTURELLE

Nous avons conscience d’une double aspiration simultanée, et qui peut d’abord paraître contradictoire, tout à la fois au respect de la diversité culturelle et à l’universalité de notre exigence éthique. C’est ce qu’on pourrait appeler le paradoxe de la diversité universelle. Mais l’approfondir, c’est découvrir que son second terme inclut nécessairement le premier, et que la contradiction n’est qu’apparente.
Le concept même d’hyperhumanisme revendique une augmentation de notre humanisme, mais affirme que cela se fera en créant des liens de solidarité. Reprenant la métaphore de l’hypertexte du web, qui est un réseau planétaire de liens que nous pouvons construire et activer, nous imaginons ce que pourrait être une hyperhumanité.
La célèbre formule de Marshal McLuhan qui annonçait le «village planétaire» était certes une brillante prophétie, que semble réaliser l’avènement de l’âge du numérique, mais qui prêtait à la dérive de l’idéologie néolibérale et de cette globalisation dont nous souffrons aujourd’hui. Soyons clairs : il n’existe pas de village planétaire et nous ne souhaitons rien de tel. Bien au contraire, nous militons pour la diversité culturelle et linguistique de millions de villages planétaires tous différents. Nous avons du monde une conscience impressionniste.
Confrontés aux flux disparates d'informations numériques, nous créons une cosmogonie dont les deux pôles imaginaires se situent entre une unité irréelle mais virtuellement nécessaire (cosmos), et une fragmentation dispersée d'informations disparates (chaos), telles les multitudes de touches des peintres impressionnistes ou divisionnistes, à la surface desquelles nous tentons de tracer de la pensée linéaire et des arabesques, pour créer des configurations locales cohérentes qui puissent leur conférer un sens. C'est ce que j’appelle, du point de vue cognitif, l'impressionnisme numérique et l’épistémologie impressionniste.
La plupart de nos questions contemporaines significatives, en astrophysique, en épistémologie, en sociologie, en psychologie, en théorie de la communication relèvent de la prise de conscience de cette nouvelle cosmogonie impressionniste.
Du point de vue de la psychologie, nos identités individuelles ne sont guère plus que des impressions, des consciences divisionnistes qui évoluent entre le sentiment virtuel d'une personnalité psychique cohérente et les multiples rôles sociaux disparates, voire contradictoires où nous nous investissons selon les moments et les lieux de notre vie sociale. Et chacun de nous peut apparaître à lui-même et aux autres comme un essaim impressionniste de faits, gestes, pensées et sentiments, dont nous nous efforçons de surmonter l’agitation désordonnée, pour nous recentrer sur la configuration unitaire d’un moi virtuel. Nous sommes confrontés à un impressionnisme psychologique, à une conscience impressionniste.
Pourtant, nous nous pensons uniques au sein de masses sociales virtuelles où nous nous agrégeons les uns aux autres, comme autant d'individus plus ou moins semblables, voire interchangeables. Dans nos sociétés de classes moyennes, nous prenons conscience d'être des atomes de corps sociaux virtuels, qui évoluent selon les mêmes arabesques aléatoires que les essaims de poissons ou de perroquets dans leurs milieux aquatique ou aérien. Chaque individu est unique et isolé comme une touche divisée d'énergie dans une masse chromatique bigarrée qui donne une impression d'ensemble familier. Nous sommes à l'âge de l'impressionnisme social.
Brassés dans la nouvelle société de l'information, nous sommes happés par des essaims d'informations éparses, décousues, juxtaposées sans être liées, chacune pour elle-même, discordantes et qui pourtant appartiennent à la même surface des médias, telles les touches juxtaposées sur la surface de la toile des peintres impressionnistes. Coupées collées, elles baignent dans la même énergie informationnelle, virtuellement cohérente. Cela vaut pour les journaux et leurs capsules typographiques, pour les programmes de télévision que nous zappons, pour les brèves informationnelles des programmes de radio. Et la toile du web, avec ses multiples hyperliens ponctuels, hétéroclites et pourtant virtuellement rassembleurs nous apparaît comme la métaphore même de cette cosmogonie impressionniste. Nous parlerons ici de médias impressionnistes.
Et bien entendu, la matière même des images de nos écrans, le balayage électronique des corpuscules lumineux sur les surfaces cathodiques, la vibration des pixels de nos imageries synthétiques ont souvent été décrits comme un impressionnisme numérique.
Nous avons adopté un sensibilité impressionniste.

Une logique et une éthique de liens

Face à cette conscience fragmentée, nous développons une logique de liens, (hyperliens) linéaires ou en arabesque, pour créer du sens et des dialogues. Et à la limite, nous affirmons une solidarité virtuelle entre tous les hommes. Nous exigeons l’instauration d’une conscience universelle, celle d’une éthique planétaire reconnaissant à tous les êtres humains les mêmes droits fondamentaux qui ont été tant de fois répétés par les Déclarations universelles des droits de l’homme – et toujours bafoués : droit à la sécurité physique et matérielle, à l’eau potable et à la nourriture, à un toit, à l’éducation, à des soins de santé, à la liberté de pensée et d’expression, et aussi le droit à la différence. Cette éthique planétaire est une éthique de la solidarité. Il s’agit là d’une valeur universelle. Mais au nom de l’ancienne idéologie impérialiste de l’universalité, nous avons négligé, voire nié et combattu ce droit fondamental qu’est le droit à la différence, et qui doit être ajouté solennellement à la liste de nos droits fondamentaux.

Le droit universel à la différence et à la divergence

Cette solidarité planétaire implique le respect des différences. Il peut s’agir de la différence de sexe, de couleur de peau, d’âge, d’éducation, de langue, de culture. De même que la liberté est une valeur universelle, mais qui exige le respect de la liberté de l’autre, donc de sa différence, la solidarité universelle implique le respect de la diversité des cultures et des langues. Nous parlons de liens, de liens entre des différences. L’uniformité, qui est la dérive impérialiste et totalitaire de la valeur d’universalité a soutenu et légitimé perversement le colonialisme. À peine ose-t-on encore parler aujourd’hui d’universalisme, parce que cette valeur a été pervertie. Il faut donc la rétablir dans son sens hyperhumain : celui qui associe une solidarité et une diversité universelles.
Tel est le fondement de l’hyperhumanisme. L’universalisme, il faut l’appeler aujourd’hui l’hyperhumanisme. Combien de millénaires faudra-t-il pour y parvenir? Nous avons envie de croire que nous avons déjà fait des progrès en ce sens. Mais il est urgent de s’y engager plus que jamais.
Hervé Fischer

dimanche, juin 03, 2007