J'appelle mémoire fabulaire cette inscription matricielle de nos constructions fabulatoires du monde dans nos réseaux neuronaux aux stades successifs de notre développement fabulatoire.
Et je distingue la mémoire fabulaire inconsciente et la mémoire fabulaire consciente, souvent imbriquées.
Les experts en neurosciences soulignent qu'adultes nous perdons la mémoire consciente de nos imaginaires d'enfant antérieurs à l'âge de quatre ans. Cette mémoire de la prime enfance est inconsciente, mais elle demeure déterminante de notre rapport au monde à l'âge adulte. Les liens que nous avons construits fabulairement au stade foetal, aux stades du chaos, du carré parental, de la tortue sur le dos, de l'ourson, du pingouin demeurent matriciels tout au long de notre vie sans que nous en soyons conscients. Au-delà du stade du pingouin nous déclinons ces structures synaptiques matricielles désormais au stade du homard, du papillon en les modifiant ou en les renforçant. Mais elles s'inscrivent dans notre mémoire fabulaire pour une part toujours inconsciente et pour une autre part consciente.
Cette proportion entre l'inconscient et le conscient demeurera toujours difficile à déchiffrer pour le mythanalyste, mais nous avons tous conscience en tant qu'adultes de certains événements fabulaires mémorables de notre vie, tandis que d'autres nous déterminent à notre insu dans notre rapport imaginaire au monde.
Les mythes sociaux avec lesquels notre mémoire fabulaire inconsciente et consciente entre en résonance lorsque des événements nouveaux de notre vie d'adulte individuelle et sociale les stimulent, relèvent de la mémoire collective instituée, même lorsque nous y sommes singulièrement aveugles. Il y a là tout un jeu fabulaire sous tension entre l'individuel et le collectif qui apparaît complexe, tantôt dialectique, tantôt complémentaire, qui peut se défaire et se reconstruire diversement selon nos biographies et les événements sociaux.
Mais il me paraît certain qu'on ne saurait postuler une conception des imaginaires sociaux qui seraient soit inconscients, soit conscients. L'observation et l'expérience individuelle tendent plutôt à suggérer un jeu constant, complexe et hybride entre l'inconscient et le conscient. Le patient d'une cure psychanalytique est manifestement en proie à cette dialectique souvent floue, mais dans laquelle l'enjeu est de faire clairement apparaître dan la conscience ce qui était demeuré inconscient. Et cela se fait cahotiquement, progressivement. Le travail du mythanalyste dans son déchiffrage des imaginaires sociaux, des mythes institués et de leur expression diffuse dans la culture, consiste lui aussi à exprimer dans une conscience collective claire et distincte ce à quoi elle était demeurée aveugle.