Le stade de la tortue sur le dos (tweet-art)
Contrairement à l'expression courante qui dit que l'enfant vient au monde, comme il est d'évidence pour les adultes qui assistent à l'accouchement, il est d'évidence aussi que pour le nouveau-né, c'est le monde qui accouche dans sa conscience.Le fœtus, déjà, dans la vie utérine interprétait sans doute confusément les impressions que ressentaient ses sens en formation, des bruits, notamment organiques du corps maternel, mais aussi des mouvements mouvements, des bruits, voire de la musique, peut-être des lueurs à travers les membranes utérines, des satisfactions ou des douleurs physiologiques. Incapable d'en expliquer l'origine, il fabulait peut-être confusément, émotivement et n'était certainement pas capable de séparer ces sensations de son propre corps fœtal-maternel.
Après l'accouchement, ces sensations se multiplient et se diversifient. Les spécialistes nous disent qu'il n'est pas au début de sa vie extra-utérine capable de faire un net distinguo entre son corps et ces sensations extérieures. Il est ce qu'il ressent et perçoit. Ses sens eux-mêmes sont encore en formation et déterminent autant qu'ils sont déterminés par les percepts.
Au stade de la tortue sur le dos, il ne sait encore rien ou presque de ce qu'il est. Il en est réduit à l'exercice de ses instincts et à des émotions. Il voit peu à peu apparaître autour de lui des regards et des formes qu'il va progressivement interpréter selon des critères de satisfaction physiologique. Accouche autour de lui, vient à lui - et même au début confusément dans lui, mêlé à son propre corps, mêlé dans sa conscience, indistinct dans sa psyché, des signaux, des lumières, des mouvements, des couleurs, des sensations thermiques et tactiles qui sont les premiers signes du monde qui naît, du naît à lui, qui vient à l'infans.
Autrement dit, c'est le monde qui se crée avec et autour de lui. Un monde totalement nouveau, plus nouveau que le nouveau né, un monde ex-nihilo que l'infans va interpréter biologiquement et affectivement. Ces premières fabulations, ces premières interprétations sont plus imaginaires que réelles.
Et peu à peu, dans l'écosystème du carré familial, l'infans va progressivement construire des liens de fréquence, de promiscuité, de plaisir ou de peur, où la puissance des figures de la mère, du père, de l'Autre vont s'imposer, comme des pôles structurants de la psyché de l'infans. Il faudra des jours, des mois, des années et peut-être toute une vie n'y suffira-t-elle pas, pour interpréter le monde qui est né avec l'infans, articuler les fabulations, hiérarchiser les récits, la syntaxe des récits qui se mettent en place. L'enfant devenu adulte ne cessera jamais d'imaginer le monde, qui lui demeurera à jamais étrange, avant même d'y introduire des fabulations rationalistes, des théories scientifiques, des procédures instrumentales. Il; demeurera soumis à ses trois instincts primaires; l'instinct de plaisir qui naît des satisfactions qu'on veut répéter, Thanatos, qui veut détruire ce qui a fait peur, et Prométhée, l'instinct de puissance qui prend sa revanche sur l'impuissance angoissante et frustrante du stade prolongé de la tortue sur le dos.
C'est ainsi que nous expliquons la constitution des mythes, ces récits qui tendent à expliquer ce qu'est le monde, son origine et sa destinée. Les poètes, les peintres, les philosophes qui tenteront, adultes, de préciser ces récits mythiques fondateurs, lescélèbreront, transformeront, les inventerons, ou les rejetterons selon les besoins de leur propre psyché autant que de la conscience collective de leur société. Puis, lorsque la société évoluera et se centrera sur de nouveaux mythes, ceux auxquels elle croyait avant passeront au rayon des mythologies (décrédibilisées) et sédimenteront dans l'inconscient collectif sous les mythes nouveaux qu'on célèbre et que la mythanalyse explore dans leur actualité.