tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.
vendredi, juillet 27, 2018
Le langage est métaphorique et ne met en scène que notre image du monde
Paul Ricoeur, l'un de nos philosophes phénoménologistes reconnus, distingue les mots identitaires qui désignent les objets de notre monde et les mots métaphoriques (les mots-images). Ainsi, un chat serait le mot signe codé qui désigne le chat. Ricoeur s'appuie sur la Rhétorique d'Aristote et base ses distinctions sur l'écart entre entre ces deux catégories de langage, reprenant donc à son compte l'opposition classique entre le logos, qui dirait les vraies choses et le mythos qui est une fabulation.
Cette distinction est fondamentale dans la tradition philosophique occidentale. Elle constitue une condition sine qua non de la pensée philosophique. Platon le souligne: les philosophes sont le contraire des poètes. Il s'agirait donc en philosophie de s'en tenir au langage conceptuel descriptif et à la logique stricte, alors que la rhétorique pécherait par ses stratégies de persuasion, ses effets langagiers visant le pouvoir plutôt que la description de ce qui est vrai. Ricoeur note qu'on oppose donc ainsi la légitimité des mots qui assurent la force du discours "d'identité sémantique" et que "c'est cette identité que la métaphore altère". (*)
Du point de vue de la mythanalyse, cette distinction est d'une grande illusion. La métaphore naît avant le mot, contrairement à ce qu'écrit Paul Ricoeur: "La métaphore est quelque chose qui arrive au nom." (**) Pourtant Ricoeur écrit, comme nous le postulons nous-mêmes, qu'"il n'y a pas de lieu non métaphorique d'où l'on pourrait considérer la métaphore..." (***) Cette affirmation contredit sa propre idée selon laquelle la métaphore n'est "qu'une extension du mot"et qu'on peut donc philosopher sémantiquement avec des mots sur les métaphores. Il est vrai que les analyses de Paul Ricoeur à partir d'Aristote, de Jakobson, de Benvéiste, de Derrida et de cent autres ressemblent à un effort inextinguible de métaphysique linguistique dans lequel il est permis de se perdre et qui raisonne dans le vide. Je n'y vois qu'une fabulation théorique obsessionnelle qui se répand bien loin de la critique phénoménologiste que nous sommes en droit d'attendre de lui.
Reprenons donc nos esprits après ce moment de vertige d'érudition scolastique: pour le mythanalyste que je suis, le mot n'est qu'une réduction de la métaphore, de plus en plus abstrait au fur et à mesure que la métaphore devenue opérationnelle s'use et se réduit à "un signe dans le code lexical". Tous les mots ont une origine idéographique et imaginaire, même lorsqu'ils semblent zippés dans une stricte fonction opératoire loin de toute ressemblance avec la réalité qu'ils désignent. Leur étymologie nous le révèle souvent. Et lorsqu'elle semble perdue, "morte", comme dans l'exemple du mot chat, notre ignorance ne saurait garantir que ce mot nous ait été révélé ou imposé par un dieu ou ait son origine pure d'essence de chat dans la lumière idéaliste platonicienne.
Contrairement à la tradition idéaliste, la mythanalyse ne fait aucune distinction de nature entre logos et mythos: le logos origine toujours du mythos, c'est-à-dire du récit fabulatoire de notre rapport au monde. Paradoxalement, les métaphysiques qui prétendent désigner les vrais attributs de Dieu en sont un exemple particulièrement significatif! Kant l'a souligné en les récusant toutes.
La prétention métaphysique de la philosophie est extraordinairement intéressante aux yeux de la mythanalyse comme exemple de fabulation de premier degré, dont l'illusion extrême démontre notre besoin humain de croire à nos fabulations, faute de mieux certes, mais sans même avoir conscience de notre naïveté philosophique., en ayant perdu tout sens critique. Et c'est alors que nous argumentons le plus sérieusement du monde sur le sexe des anges. C'est alors que les sectes religieuses s'entretuent.
Nous ne saurions interpréter le monde avec d'autres mots que métaphoriques, des mots-images. Nous n'avons pas d'autre langage qui serait plus vrai, plus directement ressemblant dans une identité essentielle entre le mot et la chose qu'il désigne (mimesis). Mais nous ne savons rien de cet écart, de cette distorsion ou de son degré d'adéquation.
Il y a une sorte de buée trouble, rose ou grise entre le monde réel et ce que nous en savons. Cette buée qui zoome, qui cache, qui change les apparences de l'espace et du temps, qui dépend de nos intentions, de nos émotions face au réel, c'est ce qui intéresse la phénoménologie. C'est d'elle que nous parlent Husserl, Ricoeur, Merleau-Ponty, dont nous ne savons pas si elle est translucide, déformante ou discriminante ou aussi artificielle que les algorithmes avec lesquels nous créons les effets spéciaux et les illusions réalistes des mondes virtuels de nos ordinateurs. Cette buée, c'est le langage que nous avons créé, qu'il soit visuel, comme nous le montre l'histoire de la peinture ou langagier. Sonore, tactile ou olfactif, il devient la conscience informative d'un de nos cinq sens, essentiel chez l'animal, aiguisé chez un aveugle, dominant chez l'animal.
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(*) Paul Ricoeur, La métaphore vive, p. 8-9, Seuil-Points, Paris, 1975.
(**) Ibid. p. 23.
(***). Ibid. p. 25.
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