«Si ce n’est pas vrai,
c’est donc faux» affirmait Socrate. Et il obligeait son esclave de service à
l’admettre impérativement. Pourtant, les écrivains ont toujours ignoré la
rigueur conceptuelle socratique et fait appel à l’imagination, qui est
foisonnante et prend le risque de nous tromper pour nous ouvrir l’esprit. A
commencer par Platon lui-même, le disciple de Socrate, pourfendeur des «tromperies»
des poètes et des peintres, mais qui s’est lui-même rendu célèbre par la métaphore
de la caverne. Les poètes ne craignent pas d’évoquer une «présence absence», un
«clair-obscur» ou une «obscure clarté», une «pesante légèreté», un «vrai
mensonge», sans oublier les «morts-vivants», etc. Même un sociologue comme
Michel Maffesoli nous propose le concept de «raison sensible». L’association directe
de deux mots contradictoires semble créatrice de sens et évoquer des sensations.
Car la réalité et la vérité ne sont pas binaires, quoiqu’en ait pu dire
Socrate. Les bons écrivains en jouent savamment. Ils ne craignent
pas d’enchaîner deux contradictions et d’en tirer un bel effet. Les cuisiniers
aussi, qui nous préparent des sauces «aigres-douces». Dans un domaine aussi
tranché que l’opposition sociale des sexes, nous admettons maintenant que la
biologie des trans-genres n’est plus contestable et devra donc être socialement
admise. Et plus anecdotiquement, nous savons qu’il faut se protéger des
«chauds-froids» pour ne pas s’enrhumer, ou que la glace peut brûler la peau.
C’est même une thérapie couramment utilisée par les dermatologues.
Si nous poussons
l’exercice à sa limite en annonçant une «ontologie du faux plastique», la machine à raisonner résonne creux : l’esprit
perd pied, si je puis dire, et nous tombons dans le vertige de l’illogisme. Nous
sommes nous laissés prendre par un faux concept ? Nous pourrions bien sûr en fabriquer en
quantité, parler de «glace chaude», d’«eau sèche», de «dictature démocratique» et
en faire un jeu de société. Le «faux plastique» a cette vertu supplémentaire
que le plastique étant associé à l’idée d’imitation, il nous choque moins immédiatement
qu’une «vitesse lente» ou une «beauté laide». Le surréalisme et la
pataphysique sont passés maîtres dans ce
genre de confusion créatrice. Est-il donc possible de se jouer ainsi du
vrai et du réel avec les mots qu’ils prétendent désigner? Est-il
prudent de bafouer la logique sur un ton si anodin? Tout pourrait-il alors être
faux, du moins dans les associations de mots pour en parler? Ou faut-il
dénoncer des erreurs de l’esprit, un galimatias, qui ne sauraient remettre en
questions les vertus de la logique ? Nous savons que dans la pensée
magique une chose peut en être une autre, tandis que la logique binaire du
rationalisme classique fonde précisément sa vertu sur le principe d’exclusion
de telles confusions.
En fait, l’opposition
entre le vrai et le faux, le naturel et l’artificiel, l’authentique et
l’imitation est de moins en moins évidente, de moins en moins légitime et
encore moins instrumentale. Nous sommes demeurés trop longtemps soumis à la
pensée binaire et réductrice de Socrate. Elle a eu le mérite en son temps de
nous libérer de la pensée magique et des superstitions qui dominaient
l’Occident. Mais elle est insuffisante, voire trompeuse aujourd’hui.
La science contemporaine
elle-même nous invite par son exemple à sortir de la citadelle du rationalisme
classique et à oser recourir à des logiques floues pour mieux embrasser une
réalité complexe que le principe simpliste de la non contradiction ne saurait suffire
à interpréter. La postmodernité nous a conduit à un postrationalisme qui ne
permet plus de nous en tenir à des oppositions ingénues entre le vrai et le
faux, le réel et l’artificiel. Et c’est ainsi l’épistémologie elle-même qui est
en mutation, non seulement au niveau de la logique réductrice qui la fondait,
mais de la science elle-même.