tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.
lundi, janvier 03, 2011
Mythanalyse de mai 68
Les agitations étudiantes des années 60-70 ne se sont pas limitées à l’Europe de l'Ouest, mais ont gagné aussi les Etats-Unis. L'effet de surprise, l'intensité et la généralisation internationale de ces révoltes étudiantes ont été considérablement renforcées par un choc démographique: l'arrivée soudaine et en grand nombre des baby-boomers, nés au lendemain de la seconde guerre mondiale, et qui atteignent l'âge adulte en 1968. Du fait de leur nombre soudain, ils se heurtaient aussi à un chômage grandissant, qui ne leur laissait guère d'espoir de s'intégrer rapidement dans une société adulte qu'ils rejetèrent donc. Fils de bourgeois nantis, ils furent nombreux à prolonger leurs études, ce qui a contribué à renforcer la révolte universitaire. Il n'en était pas de même des jeunes ouvriers, que le marché du travail pouvait mieux accueillir, qui en étaient restés au mythe de la révolution marxiste, et qui ne s'associèrent pas à ce gauchisme bourgeois. Après coup, on pourra affirmer que Mai 68 était démographiquement et sociologiquement prévisible et inévitable. Mais la libération idéologique de mai 68 constitue aussi un objet d’étude qui s’impose à la mythanalyse, puisque ce fut un moment extraordinaire d’explosion de l’imaginaire collectif.
Cette crise de mai 68, qui s’est tellement réclamée de la sociologie et que pourtant les sociologues ont tant de mal à comprendre, personne n'a l’a vu venir. Elle a été l'expression d'une prise de conscience par la nouvelle génération du décalage entre l'idéologie bourgeoise dominante, encore catholique, rurale et hiérarchisée, qu'ils subissaient et une aspiration à de nouvelles valeurs dont ils ont eu l'intuition confuse. L'imagination au pouvoir, la grogne contre l'autorité n'exprimaient rien d'autre. Les intellectuels formés dans l'idéologie bourgeoise de leur génération ne pouvaient pas les comprendre, sinon y apporter leur soutien politique par instinct. Le gauchisme de la nouvelle génération bourgeoise, s'est opposé à la gauche classique (socialiste et communiste) autant qu'à la droite, parce qu'il était l'expression d'une révolte par rapport à l'ancien système social et idéologique, toutes positions confondues.
Si on lit à rebours Mai 68 comme une aventure qui avant de se finir par une grève générale de 10 millions de travailleurs avait commencé par un problème d’accessibilité des garçons au dortoir des filles, on comprend l’importance des slogans du type “ sexualité et lutte de classes ” de l’extrême gauche française au début des années 70. Et il s’agissait bien d’une libération sexuelle contre tous les tabous de la société adulte, attisée par la mise en vente de la pilule contraceptive à l’automne 1967. Nous avons assisté à une exaltation de la libido sociale et individuelle, du désir, de la liberté, du rejet affiché de l’effort et du travail. On s’est mis à parler doctement des « machines désirantes », des dispositifs de « l’économie libidinale ». L’audace surréaliste de slogans tels que « sous les pavés la plage » en appelait à André Breton, le poète du pouvoir de l’imagination. Mai 68 a été la réponse d’une puissante vague démographique au blocage autoritaire de la génération précédente, sous forme d’une pulsion sociale libératrice. Les gauchistes et les situationnistes, qui en ont exprimé les fondements idéologiques, ne pouvaient que s’en prendre au pouvoir des médias de masse alors sous contrôle politique direct et à la société d’un « spectacle » qui n’était pas le leur. La mythanalyse a beaucoup à dire sur Mai 68, encore si mal compris. Nous y travaillons.
Hervé Fischer
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