tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

vendredi, janvier 21, 2011

Mythanalyse de Dieu


Voici un bref extrait du chapitre que j’ai consacré à ce thème, qu’on pourra lire intégralement dans « Heureux sans Dieu », un livre collectif publié aux éditions Multimondes, Québec, 2010

Peut-on aller plus loin que les interprétations sociopolitiques du rôle des religions et des Églises, pour expliquer au niveau non seulement institutionnel et civil, mais aussi psychologique la puissance d’un dieu qui s’incruste manifestement dans les esprits individuels? Je parle ici d’un dieu intériorisé, avec lequel les croyants croient pouvoir entrer en relation intime. Faudrait-il invoquer une dimension biologique de la société? Et reprenant la notion de solidarité organique de Durkheim, faudrait-il reprendre des arguments génétiques de la sociobiologie de Wilson? Alors pourquoi les hordes de singes ou d’éléphants n’ont elles pas de dieu, ni de religion qu’on puisse observer? Elles ont cependant un vieux mâle dominant, qui est le sage de service. Il est respecté et obtient comme tel l’obéissance de tous. Dieu serait-il notre vieux singe? En tout cas, dans nos religions humaines, il se présente bien comme un aïeul chenu, empli de sagesse et à qui nous devons obéissance. Notre Père qui êtes aux cieux, donnez nous notre pain quotidien... dit le Pater Noster catholique.
L’hypothèse de la mythanalyse, c’est que la figure du dieu, le dieu unique, est l’hypostase symbolique du père biologique sur laquelle se base la cellule familiale. En ce sens, il est l’expression collective du mythe familial élémentaire que la mythanalyse considère comme le fondement biosociologique de tous les mythes. Le nouveau-né en est entièrement dépendant, comme l’adulte pieux l’est de son dieu. Le mythe de dieu incarne manifestement et valorise dans une célébration collective l’image du père, symbole de la force créatrice et de l’autorité dans le cercle familial, qui est la matrice et le reflet tout à la fois de la société. Autrement dit, ce dieu synthétise au niveau social l’image du père géniteur et garant de la matrice familiale et sociale dans sa conception patriarcale. Le mythe de dieu est celui même de la création, c’est-à-dire le reflet grandi et socialement institué du pouvoir géniteur du père, célébré par ses enfants.
Ce désir fusionnel avec un dieu puise sa force dans le mythe de l’unité, que nous nous employons obsessionnellement à retrouver. L’âme tend à s’unir à dieu. Cette tension est bien sûr primitive, au sens où elle met en jeu les figures de l’origine et de la création. La première unité perdue de l’être humain est évidemment toujours fœtale. C’est celle de l’appartenance originelle au corps parental, qui constitue la matrice biologique du mythe élémentaire. Et la séparation, lorsque le cordon ombilical est coupé, créera une durable nostalgie organique et psychique. Le rapport au père n’est pas moins biologique, même s’il trouve son expression sociale davantage à un niveau symbolique. Et ce mythe élémentaire de l’unité perdue est déterminant dans l’image du monde qu’imagine chaque enfant. Il perdure et suscite encore chez l’adulte de fortes représentations compensatrices qui détermineront ses comportements et ses désirs fondamentaux. Nous en observons l’effet puissant dans une déclinaison de mythes secondaires, qui varient selon les sociétés, les époques, les cultures, et donc les religions. Nous le transposons par exemple dans notre nostalgie vis-à-vis de la Nature panthéiste, ou dans l’invention biblique du paradis terrestre et du lien fusionnel avec un Dieu qui nous en a chassé, ou dans notre intégration au corps social au sein d’une communauté familiale, religieuse, politique, d’une bande, d’un club, etc., ou plus universellement dans le désir amoureux
La mythanalyse suggère aussi une deuxième fonction du mythe de dieu. N’oublions pas que la relation entre l’homme et le mythe de dieu est contradictoire. Il existe une sorte de tension dans le mythe biblique qui est très efficace, comme un piège pour la psyché humaine. En effet, d’une part la Bible soumet l’homme à la culpabilité insurmontable du péché originel et le condamne à une vallée de misère où il rachète son salut par la souffrance; et d’autre part, elle dit que l’homme est à l’image de dieu, et même qu’il en possède en lui une parcelle – l’âme –qui rejoindra le dieu dans l’au-delà. Comment ne pas y voir une projection du désir de puissance de l’homme? Certes, le fils aspire à prendre la place du père. Mais adorer ce dieu, c’est pour l’homme s’adorer soi-même et se célébrer sous la figure la plus parfaite de ce que l’homme voudrait être, au point de se flageller et de renier la version simplement terrestre de ce qu’il est, enfermé dans les limites de ce corps matériel qu’il voudrait transcender. Dans son imaginaire, l’homme s’attribue à lui-même un statut divin, qui le distingue des autres animaux. La croyance en ce dieu le valorise considérablement. Ce dieu est une sorte de projection que l’homme se propose de lui-même sous la forme d’une omnipotence, d’une sagesse et d’un pouvoir créatif qu’il ne peut manquer de désirer, précisément parce qu’il en est privé. Cet aspect prométhéen du mythe biblique est d’origine grecque. L’homme affronte même le dieu pour lui voler le feu et rivaliser avec lui. Nous retrouvons ici Prométhée, et l’instinct de puissance *.
Ce lien que l’on partage avec le dieu, peut prendre une intensité extrême, comme en témoigne l’expérience du mystique qui atteint l’extase, du fou de dieu qui échange son martyre contre « le paradis ce soir avec une vierge », du Cathare qui se jette avec exaltation dans le feu purificateur qui est la métaphore de dieu lui-même. C’est la béquille des nouveaux évangélistes et de tous ces intégristes qui, n’étant pas capables d’assumer pleinement leur humanité, se réfugient dans la soumission à un maître absolu pour vociférer leurs condamnations. Une façon de croire se grandir soi-même, alors qu’ils tombent au comble de la débilité.
Les dieux et les âmes sont des drogues, des psychotropes qui exaltent l’esprit, qui nous donnent l’illusion de n’être pas des animaux, mais des êtres qui participent au divin, et qui nous détournent de la réalité quotidienne lorsqu’elle est frustrante ou douloureuse.
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•CyberProméthée, vlb, Montréal, 2003

lundi, janvier 10, 2011

Centre d'étude sur l'actuel et le quotidien

le CeaQ vous annonce les prochaines soutenances de thèses à ne pas manquer:

12 janvier 2011 à 14h : Manuel BELLO: Des illuminations profanes. Une étude sur les formes de la perception urbaine contemporaine.
Jury : Michel Maffesoli (Sorbonne), Marc Perelman (Paris Ouest), Olivier Sirost (Rouen), Chris Younès (École spéciale d'architecture Paris), Amphi Durkheim, 17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris.

21 janvier 2011 à 10h : YiBing XU : La pensée primitive, Internet et la mort.

Jury : Michel Maffesoli (Sorbonne), Jean-Martin Rabot (Braga), Patrick Tacussel (Montpellier), Stéphane Hugon (membre invité).
Salle des thèse E637, Galerie Claude Bernard, Escalier P, 1er étage, 12 rue cujas, 75005 Paris.

21 janvier 2011 à 14h : Emilie COUTANT: Le mâle du siècle: mutation et renaissance des masculinités. Archétypes, stéréotypes et néotypes masculins dans les iconographies médiatiques.

Jury : Michel Maffesoli (Sorbonne), Jean-Martin Rabot (Braga), Olivier Sirost (Rouen), Agnès Rocamora (Londres), Stéphane Hugon (membre invité).Amphi Durkheim, 17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris.
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Invitations à l'Imaginaire 18 janvier 2011

le CeaQ a le plaisir de vous inviter à la rencontre du 18 janvier 2011 "Invitations à l'Imaginaire" sur le thème : «Le destin de l'univers»

Le bestiaire de l'astrophysique regorge de créatures étranges : blafardes "naines blanches", étoiles à "neutrons hyperdenses", "supernovae apocalyptiques" etc... Ces diverses métaphores montrent bien que le voyage au coeur de l'invisible recoupe les rêves, les fantaisies qui sont, de mémoire immémoriale, au coeur même de l'humaine nature.

Pour discuter de cela, Michel maffesoli, membre de l'Institut universitaire de France invite Marie-Odile Monchicourt, journaliste à France Info, Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, directeur de recherche au CNRS et Aurélien Fouillet, chercheur au CEAQ.

Mardi 18 janvier 2011 à 19h - entrée libre
Fondation d'Entreprise Ricard
12 rue boissy d'anglas
75008 Paris
Métro: Concorde ou Madeleine
www.fondation-entreprise-ricard.com


Le CEAQ (Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien) est un laboratoire de recherche à vocation internationale qui s'intéresse principalement aux nouvelles formes de socialité et à l'imaginaire sous ses formes multiples.
Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien Bâtiment Jacob - Bureau 527bis 45, rue des Saint Pÿres - 75006 Paris Tel / Fax : 00 33 (1) 42 86 46 34

samedi, janvier 08, 2011

Mythanalyse du bonheur


Nous comparons notre vie réelle avec ce que pourrait être le bonheur auquel nous aspirons. Mais il nous est difficile de définir ce que serait pour nous cette félicité. Nous imaginons avoir ce qui nous manque, par exemple beaucoup d’argent, la liberté de disposer de notre temps, la jeunesse, la santé, l’amour, la pleine jouissance sexuelle, le pouvoir sur les autres, politique, charismatique, magique, ou telle autre jouissance dont l’un ou l’autre se sent privé. Peut-être quelques-uns citeront-ils aussi la sagesse, mais ils seront rares, tant cette vertu nous paraît inaccessible, restrictive ou ennuyeuse. Notre souffrance sur terre serait un manque, un déficit, éventuellement dramatique, de cet accomplissement de l’être qui est au cœur de notre existence, comme je l’ai souligné dans CyberProméthée*. Nous naissons faibles et inachevés, nous expérimentons une frustration profonde d’être sur le dos comme une tortue sans autonomie, de dépendre entièrement de nos parents nourriciers et protecteurs, et cette situation d’infans, d’être incomplet, dépendant, impuissant, terriblement vulnérable, constitue un traumatisme définitif du nouveau-né qui motivera ses désirs pour toujours lorsqu’il deviendra adulte. Le bonheur sera d’être pleinement achevé en tant qu’être vivant, pourvu de ce qui nous a manqué existentiellement. Nous en rêvons tous et la constitution américaine l’a inscrit dans son préambule comme un droit élémentaire et universel de l’homme. Cela se comprend comme la réaction de ceux qui s’étaient exilés d’Europe pour échapper aux empêchements de vivre et persécutions que leur imposaient l’Eglise et l’aristocratie catholiques en leur refusant un statut de citoyen à part entière. Cela se comprend aussi dans un pays neuf, entièrement à construire, qui rêve d’accomplissement. Voilà le premier élément d'interprétation que suggère une mythanalyse du bonheur.
Mais la sagesse populaire nous rappelle aussi que l’argent ne fait pas le bonheur, que la politique est cruelle, que la gloire est une vanité éphémère, qu’on se lasse de faire l’amour, qu’on s’ennuie si on ne travaille pas, etc. Il est difficile de savoir combler sa vie. L’obsession demeure le plus souvent d’avoir plus, dans l’espoir d’être plus. Mais l’avoir ne remplace pas l’être. En fait, personne ne sait bien finalement ce que serait son bonheur personnel, une fois comblés les manques élémentaires de sa vie individuelle, tels que solitude, maladie, pauvreté, et nous avons encore plus de difficulté à concevoir le bonheur collectif.
La quête du bonheur semble aussi vieille que l’homme. Les mythes anciens l’évoquent sur le modèle d’un paradis terrestre originel perdu, ou d’un paradis final auprès de Dieu à atteindre par l’effort. Faut-il, pour jouir du plein bonheur, être ingénu et ignorant ? Oui, si l’on se réfère au récit biblique d’Adam et Eve chassés pour avoir mordu dans la pomme de la conscience et de la connaissance. Oui, si l’on en croit aussi le mythe du bon sauvage construit par Jacques Cartier de retour du Canada, Bougainville, Cook et quelques autres voyageurs en Polynésie ou au Brésil et discutés par Montaigne au XVIe siècle, puis Diderot et Rousseau au XVIIIe. Etonnamment, c’est en invoquant la nature plutôt que la civilisation, l’innocence quasi infantile plutôt que la connaissance et le progrès humain, que ce mythe du bonheur originel s’est construit. L’invention du bon sauvage constitue manifestement une actualisation non explicitée du mythe biblique du paradis terrestre originel antérieur au savoir et à la civilisation.Voilà le deuxième élément que souligne la mythanalyse.
Le bonheur dont nous rêvons aujourd’hui serait donc pour une part celui dont nous croyons qu’il est possible, puisqu’il a déjà existé à l’origine de l’humanité, dans une innocence primitive qui offrait l’harmonie, l’abondance, la plénitude humaine. Il est fondé sur la nostalgie de l’état de nature antérieur à la civilisation humaine, que la connaissance - celle de la pomme édénique - tendrait à détruire. D’où cette idée communément répandue que le bonheur est plutôt dans les choses simples, naturelles, dans les sentiments purs, l’amour familial, en marge des ambitions humaines sociales, professionnelles, technoscientifiques, etc. Le bonheur serait donc régressif. Cette interprétation trouve son origine dans le mythe biblique et l’invention du péché originel qui nous prive définitivement du bonheur sur terre. L’homme, définitivement vaincu par Dieu, est condamné à souffrir sur Terre et aux enfers, à moins qu’il mérite par sa pieuse soumission religieuse d’accéder au paradis de Dieu après la mort ou à la fin des temps.
L’autre option est celle que nous avons héritée du mythe grec prométhéen. Au lieu de se soumettre à Dieu, l’homme choisit la voie grecque, celle de la révolte de Prométhée, qui dérobe le feu de Zeus pour le donner aux hommes. Le feu est équivalent à la pomme édénique : il symbolise lui aussi la conscience et la connaissance qui permet à l’homme de s’élever au-dessus de sa condition naturelle de soumission. Certes, Prométhée est puni, enchaîné et subit sans répit les agressions d’un aigle (symbole divin) qui lui dévore le foi (symbole de la connaissance). Mais un surhomme, Hercule, viendra le libérer de ses chaînes et le centaure Chiron lui donnera même l’éternité divine. A l’opposé du mythe biblique, nous sommes dans le mythe de la victoire de l’homme sur Dieu. L’humanité, par l’effort, le travail, la connaissance, la conscience qu’il développe tentera, de rivaliser avec les dieux et de réaliser le bonheur sur terre**.
L’Occident s’est fondé sur ces deux mythes contradictoires, le grec et le biblique. Et nous avons appris à vivre avec les deux, à aménager l’ambigüité qui en est résulté. Nous sommes à la fois nostalgiques du bonheur perdu et conquérant de notre bonheur à venir, doloristes et proactifs, pessimistes et optimistes, vaincus et vainqueurs. C’est sans doute à cette tension constante de notre imaginaire collectif que nous devons la voie originale de l’Occident, en comparaison des autres civilisations. C'est là le troisième élément d'une approche mythanalytique du bonheur.
Sommes-nous en Occident à ce point définitivement influencé, à notre corps défendant, par le mythe biblique? Aurions-nous pu y échapper ? De fait, il semble que l’imaginaire du bon sauvage soit le plus trompeur qui soit et que la souffrance inhérente à la condition humaine ait prévalu partout sur Terre. Les autres civilisations n’ont pas su faire mieux que nous. Elles ne semblent même pas avoir la même obsession du bonheur sur terre que la nôtre. L’animisme a abouti à de difficiles et incessantes tractations entre les vivants et les esprits. Il promet au mieux l’apaisement. Le bouddhisme est une tentative d’échapper à la souffrance terrestre en renonçant à soi-même et en se dissolvant dans le nirvana. Le confucianisme nous promet seulement la sagesse et la paix dans le respect des autres et la soumission aux rituels. Le taôisme invite au rejet des désirs et de l’action. Le syncrétisme hindou, trop complexe pour que nous le caractérisions en quelques mots, concilie le panthéisme et la réincarnation, une organisation sociale complexe très hiérarchisée et la maîtrise corporelle des fakirs. L’islam, qui fut une grande religion, ressemble de plus en plus dans ses dérives intégristes à un enfer sur terre qui menace de conquérir la planète par la violence.
Ce fut plutôt, semble-t-il un grand privilège pour l’Occident d’avoir célébré aussi le mythe de Prométhée. Une fois de plus, nous constatons ce que nous devons aux Grecs anciens. Certes, il nous semble que tous les efforts que nous mettrons à progresser sur la voie de la civilisation, de la connaissance, de la puissance, de la maîtrise médicale, sociale, psychologique et même éthique de notre avenir ne suffiront jamais à reconstituer ou remplacer le bonheur originel dont nous avons la nostalgie : voilà l’héritage biblique. Mais comme Sisyphe, nous continuons envers et contre tout à croire au progrès et à y investir tous nos efforts : voilà l’héritage grec. Bien étrange paradoxe que le nôtre, qui semble définir l’existence humaine.
Où en somme-nous donc aujourd’hui dans notre quête du bonheur en Occident? Nous constatons que notre civilisation, après avoir échoué lamentablement dans la voie des utopies socio-politiques du XIXe siècle, s’est tournée aujourd’hui vers le mirage d’un bonheur fondé sur la richesse, la consommation matérielle et sexuelle, et les promesses posthumanistes de l’utopie technoscientifique. Mais elle doute de cette voie, qui semble devoir nous décevoir toujours, au point de célébrer et nous vendre simultanément son contraire : le culte naturiste du corps, le paradis océanique du Club Méditerranée, les médecines douces et la nourriture biologique, la reconstitution de l’équilibre naturel des écosystèmes, voire l’émigration urbaine et le retour à la vie rurale. Le primitivisme tahitien de Paul Gauguin est devenu emblématique, mais le cybermonde aussi. Comme si nous étions convaincus que le numérique est notre potion magique ultime, notre poudre de Perlimpinpin. Enfin le bonheur grâce au numérique qui va nous permettre d’accéder à la béatitude intelligente du posthumanisme ! Impossible d’y croire ! Nous sommes toujours dans ce même paradoxe qui caractérise l’Occident.
En quittant le froid mois de janvier du Québec et en emportant ma tablette magique de Las Vegas à Tahiti j’aurai donc la nature et le numérique réunis sur un hamac branché sous un cocotier. Voilà ce à quoi nous aspirons : disposer de la puissance numérique la plus sophistiquée dans le paradis terrestre le plus naturel ou originel qui soit. Je devrais juste ignorer ou oublier que les populations de ces iles paradisiaques ont été déchirées par des guerres, que les colonisateurs y ont causé des maladies dévastatrices, que les missionnaires ont traité les indigènes de cannibales*** et les vahinés de prostituées pour justifier leurs conversions massives, que l’économie y est très difficile, que la France y a installé en 1963 le Centre d’expérimentation du Pacifique pour mener à termes ses essais de bombe atomique. Bref, il faut bien l’admettre, ce rêve de paradis terrestre qu’on nous vend avec les séductions d’un marketing savamment conçu, ne doit son succès qu’à notre nostalgie de bonheur naturel, qui compense nos difficultés existentielles réelles, mais il ne reflète pas la vie de ces populations prétendument privilégiée. Le paradis terrestre n’existe pas pour elles. Et il n’a jamais existé ailleurs que dans notre imagination.
En dehors de nos illusions de vacances, seul le mythe prométhéen de construction de notre condition humaine est valide et nous n’avons pas d’autre option. La mythanalyse n'est pas qu'une interprétation des mythes; elle prend aussi position, elle propose de choisir entre les mythes, car il y en a qui peuvent nous aider à vivre plus que d'autres et guider notre action, en fonction des valeurs que nous choisissons; Je l'ai toujours dit: la mythanalyse n'est pas une science, et quoiqu'il en soit de la mythanalyse, toutes les théories, selon elle, sont des fictions. La mythanalyse aussi, mais une fiction qui nous aide à être plus lucides et plus libres! Je n'ai ici aucune crainte des paradoxes, je les assume. La pensée créatrice est nécessairement paradoxale, comme la plupart des "vérités".
Hervé Fischer
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*CyberProméthée,éditions vlb, 2003
**Nous serons des dieux, éditions vlb, 2006
*** Il est vrai que le cannibalisme n'a été officiellement aboli aux îles Marquises qu'en 1867.

jeudi, janvier 06, 2011

Agnosticisme et athéisme


Nombreux sont ceux, y compris des scientifiques*, qui se déclarent agnostiques et rejettent l’athéisme. Ils affirment qu’on ne peut pas savoir si Dieu n’existe pas, puisqu'on ne peut pas le démontrer scientifiquement et qu’il est donc exclu d’aller au-delà de leur principe de prudence sceptique. Plusieurs dénoncent même l’athéisme en le considérant comme une croyance équivalente et symétrique de la foi. Croire que Dieu existe, ou croire que Dieu n’existe pas, ce serait le même genre de croyance, dont tout scientifique doit s’abstenir, car la raison et la foi sont de nature exclusive l'une de l'autre.
Voilà bien une étonnante symétrie ! On ne peut pas démontrer davantage que le Père Noël ou les loups-garous n’existent pas. Et pourtant les scientifiques n’y croient pas ! L’athéisme n’est aucunement une croyance en la non-existence de Dieu : il est une absence de prise en compte de cette imagination qui n’explique finalement rien. Comme plusieurs l’ont souligné, Dieu est une hypothèse inutile**. La science n’en voit aucune preuve et n’y trouve aucune compréhension supplémentaire des questions qu’elle se pose sur l’univers. Autant croire que la couleur bleue explique l’origine de ce qui existe : après des siècles de théologie sur la couleur bleue, l’édification d’Eglises, la vénération du verre bleu ou de la Méditerranée ou du ciel, on ne serait pas rendu plus avant dans l’explication crédible de l’univers. Pire, on aurait perdu son temps et subit les effets terriblement pervers des martyres, des croisades, des intégrismes et des guerres de religion entre les croyants dans plusieurs nuances de bleu, entre les prosélytismes de plusieurs Eglises, et tout ce qu’implique le règne conquérant d’une superstition majeure.
C’est un pur sophisme que d’opposer comme deux croyances égales la foi en Dieu et l’athéisme, et de faire de l’athéisme une autre religion. Ses excès dans les pays sous dictature communiste sont déplorables, mais insignifiants en comparaison des terribles abus des religions. Et ils ont moins à voir avec l’athéisme qu’avec les effets de toute dictature qui veut contrôler les esprits sans partage, sans tolérer l’existence d’institutions non-étatiques dans l’Etat.
La pensée matérialiste, celle que doit avoir tout scientifique rigoureux dans ses hypothèses et ses méthodes, est nécessairement athée. A moins de n’avoir pas compris ce qu’est le matérialisme. Si, rejetant tout deus ex machina, qu’on l’appelle Dieu, le dessin intelligent ou la couleur bleue ou verte, on s’en tient à une recherche des lois physiques et chimiques du couple matière/énergie, incluant la recherche atomique, électromagnétique, génétique et leurs équilibres thermodynamiques, on exclut toute référence à Dieu, que ce soit pour ou contre, on ignore cette pensée. Voilà ce qu’est l’athéisme.
L'agnosticisme cache mal, selon moi,un sédiment inconscient de culture et de crainte religieuse. Nous avons encore du mal à oser être pleinement des animaux matérialistes.On ne peut pas non plus s'arranger de deux postures, l'une agnostique par raison, l'autre athée par sentiment*** ou conviction d'engagement idéologique. Ce genre d'ambiguïté trahit une mollesse de la pensée dont il faut se débarrasser. La pensée matérialiste pleinement assumée, autant que nous y parvenions malgré nos réflexes culturels déistes, qui resurgissent sans cesse, souvent à notre insu, est beaucoup plus porteuse de compréhension de l'univers et de liberté humaine. Voilà une résolution à prendre en ce début d'année!
Hervé Fischer
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* Je réponds ici notamment à Cyrille Barette, contributeur à "Heureux sans Dieu" et auteur de "Mystère sans magie", éditions Multimondes, Montréal,2006.
** C'est ce que souligne Yanick Villedieu, autre contributeur au même livre, "Heureux sans Dieu", où j'ai moi-même signé le chapitre "Mythanalyse de Dieu".
*** C'est le propos d'Yves Gingras dans ce même livre; on regrette qu'il ne l'ai pas davantage développé, ce qui aurait permis d'en venir à bout.

mercredi, janvier 05, 2011

Métaphore de l'embryologie dans ULYSSE de James JOYCE, par Daniel Becquemont

Nous avons le plaisir de vous informer de la suite du SÉMINAIRE DU CENTRE ALEXANDRE KOYRÉ, co-organisé par notre ami le Pr. Jean-Louis FISCHER, sur le thème des "REPRÉSENTATIONS DE L'EMBRYON ET DU FOETUS HUMAINS".
Le jeudi de 17H à 19H, Muséum National d'Histoire Naturelle, Pavillon Chevreul, 57 rue Cuvier, 75005 Paris.

Prochaine rencontre:

Jeudi 6 janvier: Pr. Daniel BECQUEMONT (Université de Lille), "Métaphore de l'embryologie dans ULYSSE de James JOYCE".

Bien cordialement.

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Christian LAVIGNE
Secrétaire Général d'ARS MATHEMATICA
Co-fondateur d'INTERSCULPT
http://www.arsmathematica.org
http://web.cast.free.fr

Présentation de Daniel Becquemont: http://www.dailymotion.com/video/x9vbid_daniel-becquemont-lille_news

Babel et Sisyphe

Le mythe de la Tour Babel a été toujours négativement interprété par les exégètes chrétiens, alors que j'y découvre l'expression du désir de l'humanité de s'élever. Une aspiration vers Dieu, comme dans la construction des cathédrales, ou une aspiration de l'humanité à s'élever avec ses propres forces vers un stade supérieur de son évolution, vers plus de puissance et pourquoi pas aussi vers plus d'intelligence et de sagesse, compte tenu de cette sorte de topologie verticale de notre imaginaire entre le haut et le bas, le supérieur et l'inférieur.
Je l'ai déjà souligné souvent aussi, le mythe de la Tour de Babel est le premier mythe de la communication, fondateur de notre société de l'information et des médias sociaux.
Et nous sommes conduits à y associer le mythe grec de Sisyphe, ce roi puni lui aussi, par Zeus, qui chaque matin remet sa lourde
charge sur ses épaules pour remonter la montagne dont la pente le fera retomber chaque soir à son pied. Sisyphe symbolise lui aussi notre désir humain d'élévation. Sisyphe est celui qui tente chaque jour de porter plus haut sur ses épaules une lourde pierre de l'édifice dont nous sommes les bâtisseurs: l'humanité.
Les théories sont des histoires fictives de désir et de peur qui nous apaisent provisoirement. Les mythes sont des récits explicatifs des origines et des fins de l’humanité.
Le mythe de la Tour de Babel qui mettait en scène l’éclatement d’une humanité punie pour son ambition à s’élever, ne fonde-t-il pas aujourd’hui la richesse créatrice de sa diversité? N’est-il pas le plus contemporain des mythes, celui qui nous invite à édifier le futur ?
Et n’exige-t-il pas alors paradoxalement de tisser les liens d’une solidarité planétaire pour reprendre ensemble, comme autant de Sisyphe, la construction de cette tour porteuse de nos espoirs ?
Hervé Fischer

lundi, janvier 03, 2011

Mythanalyse de mai 68


Les agitations étudiantes des années 60-70 ne se sont pas limitées à l’Europe de l'Ouest, mais ont gagné aussi les Etats-Unis. L'effet de surprise, l'intensité et la généralisation internationale de ces révoltes étudiantes ont été considérablement renforcées par un choc démographique: l'arrivée soudaine et en grand nombre des baby-boomers, nés au lendemain de la seconde guerre mondiale, et qui atteignent l'âge adulte en 1968. Du fait de leur nombre soudain, ils se heurtaient aussi à un chômage grandissant, qui ne leur laissait guère d'espoir de s'intégrer rapidement dans une société adulte qu'ils rejetèrent donc. Fils de bourgeois nantis, ils furent nombreux à prolonger leurs études, ce qui a contribué à renforcer la révolte universitaire. Il n'en était pas de même des jeunes ouvriers, que le marché du travail pouvait mieux accueillir, qui en étaient restés au mythe de la révolution marxiste, et qui ne s'associèrent pas à ce gauchisme bourgeois. Après coup, on pourra affirmer que Mai 68 était démographiquement et sociologiquement prévisible et inévitable. Mais la libération idéologique de mai 68 constitue aussi un objet d’étude qui s’impose à la mythanalyse, puisque ce fut un moment extraordinaire d’explosion de l’imaginaire collectif.
Cette crise de mai 68, qui s’est tellement réclamée de la sociologie et que pourtant les sociologues ont tant de mal à comprendre, personne n'a l’a vu venir. Elle a été l'expression d'une prise de conscience par la nouvelle génération du décalage entre l'idéologie bourgeoise dominante, encore catholique, rurale et hiérarchisée, qu'ils subissaient et une aspiration à de nouvelles valeurs dont ils ont eu l'intuition confuse. L'imagination au pouvoir, la grogne contre l'autorité n'exprimaient rien d'autre. Les intellectuels formés dans l'idéologie bourgeoise de leur génération ne pouvaient pas les comprendre, sinon y apporter leur soutien politique par instinct. Le gauchisme de la nouvelle génération bourgeoise, s'est opposé à la gauche classique (socialiste et communiste) autant qu'à la droite, parce qu'il était l'expression d'une révolte par rapport à l'ancien système social et idéologique, toutes positions confondues.
Si on lit à rebours Mai 68 comme une aventure qui avant de se finir par une grève générale de 10 millions de travailleurs avait commencé par un problème d’accessibilité des garçons au dortoir des filles, on comprend l’importance des slogans du type “ sexualité et lutte de classes ” de l’extrême gauche française au début des années 70. Et il s’agissait bien d’une libération sexuelle contre tous les tabous de la société adulte, attisée par la mise en vente de la pilule contraceptive à l’automne 1967. Nous avons assisté à une exaltation de la libido sociale et individuelle, du désir, de la liberté, du rejet affiché de l’effort et du travail. On s’est mis à parler doctement des « machines désirantes », des dispositifs de « l’économie libidinale ». L’audace surréaliste de slogans tels que « sous les pavés la plage » en appelait à André Breton, le poète du pouvoir de l’imagination. Mai 68 a été la réponse d’une puissante vague démographique au blocage autoritaire de la génération précédente, sous forme d’une pulsion sociale libératrice. Les gauchistes et les situationnistes, qui en ont exprimé les fondements idéologiques, ne pouvaient que s’en prendre au pouvoir des médias de masse alors sous contrôle politique direct et à la société d’un « spectacle » qui n’était pas le leur. La mythanalyse a beaucoup à dire sur Mai 68, encore si mal compris. Nous y travaillons.
Hervé Fischer

dimanche, janvier 02, 2011

Peut-on discerner une intentionnalité dans l'évolution de la nature?


Je n’ai jamais adhéré au mythe biblique du chaos, dont un être supérieur nous aurait arrachés en créant un monde ordonné pour nous. Certes, nous observons à quel point la matière et l’énergie sont organisés, même pour provoquer leurs pires destructions. Il y a dans le couple matière-énergie un évident dispositif organisationnel de réactions atomiques,physiques, chimiques, organiques, thermodynamique, une intelligence de la matière, comme aurait dit Spinoza. Cela apparaît même dans les big bangs. Cette énergie intelligente qui se lit dans la nature et qui opère dans la matière-énergie, je crois que nous en sommes pleinement partie. Cela revient à supposer une sorte de rationalité matérialiste dans le fonctionnement de la nature, cette rationalité même qu'élabore ou déchiffre la science actuelle.
Mais la question qui se pose alors inévitablement à nous, c'est de discerner s'il y aurait une intentionnalité dans cette évolution, nécessairement elle aussi rationnelle de la nature. Car comment le fonctionnement de la nature pourrait-il obéir à des lois rationnelles et évoluer irrationnellement. La contradiction est absurde. Nous voilà donc, avec cette question si simplement apparue, et d'apparence si naïve, en plein débat métaphysique. Il est étonnant de constater à quel point cette question a été occultée.
Lorsque nous avons inventé les dieux, tout s'expliquait en fonction des caprices et des disputes des occupants de l'Olympe, comme dans les familles humaines. Mais lorsque nous avons inventé Dieu, le dieu monothéiste, il fallut bien se demander pourquoi ce dieu s'était donné tant de peine. Pourquoi avoir créé l'homme et un univers où le mettre. Par masochisme? Pour se punir lui-même? Pour mesurer sa force? Malgré lui? Pour se distraire? Pour organiser un combat dramatique entre lui et le dieu du mal, une lutte à finir dont nous serions les pions? La question demeure ouverte dans une béance vertigineuse et aucune théologie ne nous a jamais proposé de réponse. Nous en sommes réduits à célébrer le grand mystère divin, et à admettre humblement nos limites. Autant dire que nous ne sommes pas plus avancés dans notre quête de compréhension qu'avant avoir inventé Dieu.Nous avons seulement compliqué le débat avec une hypothèse inutile.
Revenons au point de départ. En admettant la rationalité quasi mécanique, chimique, électromagnétique, génétique, etc. de la nature, selon laquelle les mêmes dispositifs - atmosphériques, géologiques, mécaniques, génétiques, etc. - créent les mêmes effets, en admettant donc une organisation rationnelle de la nature, que nous appelons son intelligence, nous demeurons au simple constat, sur lequel nous nous entendrons tous, créationnistes et rationalistes. Mais en admettant que la nature évolue, ce qui est difficilement contestable, encore que les créationnistes s'y refusent, nous sommes conduits à admettre aussi que cette évolution obéit nécessairement à des lois rationnelles, donc à la même intelligence qui régit son fonctionnement. Deux options se présentent alors à nous:
1 - Cette évolution est rationnelle, mais elle n'a pas de but. C'est alors à nous nécessairement, si nous tenons à la vie, d'en organiser l'évolution, de la soumettre, dans le mesure du possible, à notre intelligence et à nos propres buts, qu'il nous faut définir et respecter.
2 - Cette évolution est rationnelle, donc elle a nécessairement un but rationnel, ce qui constitue une intentionnalité et supposerait,, selon notre expérience humaine, une conscience. La nature aurait-elle une intelligence, une conscience et une intentionnalité?
Oui, nécessairement!
Les questions posées par ces deux options résultent logiquement de nos constats précédents et nous sommes capables de les formuler clairement. Mais ce sont toujours les questions les plus simples qui sont les plus difficiles. Nous nous en tiendrons là pour aujourd'hui.
A partir d'une interprétation matérialiste de la nature, nous nous sommes retrouvés devant une question téléologique, sans qu'elle soit théologique, tout en en ayant toutes les apparences. Bref, en appelant la nature Dieu, comme Spinoza, ou en remplaçant Dieu par la nature, comme l'exige la philosophie matérialiste, nous nous retrouvons devant la même question. Pour aller plus loin, voyons si la nuit nous portera conseil. Ou ce que notre boite à outils mythanalytique nous proposera.
Hervé Fischer