Les mythes naissent et meurent, quoiqu'en disent ceux qui croient dans l'existence d'invariants mythiques. Nous les créons ou nous les reléguons dans la mythologie archaïque selon les évolutions sociologiques qui modifient nos structures et nos valeurs sociales. Ainsi est né le mythe de l'amour maternel avec l'apparition de la société et de l'amour conjugaux au XIXe siècle, qui a impliqué l'émergence de l'amour maternel et même, plus timidement et plus récemment, paternel. Il est étonnant qu'un amour si instinctif ne trouve pas d'écho dans les mythes anciens, ni égyptiens, ni grecs ou romains, ni germains, ou incas. Cette forme de sentimentalité est historiquement récente. Dans les mythes grecs l'amour parental est peu présent (*), voire surtout conflictuel. Et le mythe catholique de la Vierge Marie est d'un autre ordre, bien que sa création par le Vatican au XIIe siècle donne à penser que l'amour maternel était déjà une valeur sociale importante.
Il a fallu que Baudelaire nous émeuve avec son poème sur le pélican pour que nous disposions d'un récit mythique de référence directe. Et on trouvera certainement dans l'histoire de la littérature d'autres exemples significatifs certes, mais encore latéraux ou marginaux.
Ces émotions de mère ou d'enfant relèvent plutôt de l'instinct biologique, qui a souvent été culturellement contrôlé, réduit à des conventions, en particulier dans les classes sociales riches, qui faisaient appel à des nourrices. On reléguait alors ce genre d'émotions à de la sensiblerie, l'enfant n'étant alors encore considéré que comme un futur adulte dont on jugeait les traits d'enfant comme des manques à combler. Autrement dit, l'enfant n'avait alors pas encore de statut social (et la femme guère plus). L'idéologie de l'enfant-roi est récente.
Il est d'autant plus étonnant que Jung ait promu les figures de la mère et du père au rang suprême d'archétypes universels et éternels.
Beaucoup de fabulations enfantines très sensibles émotionnellement, biologiquement liées à l'instinct de vie, qui demeurent profondément inscrites dans notre mémoire neuronale singulière, ne trouvent pas nécessairement de résonance dans les mythes anciens que véhicule notre culture. Cela ne contribue certainement pas à les apaiser, à les faire accepter lorsqu'elles nous font souffrir à l'âge adulte. Selon l'évolution des idéologie dominantes, de nouveaux mythes sont alors créés, qui pourront y satisfaire. Et c'est bien le cas du mythe de l'amour maternel, omniprésent dans nos oeuvres littéraires, cinématographiques et surtout psychanalytiques modernes. Mais il y est diffus; nous n'en avons pas encore inventé d'acteurs, ni de récit matriciel. À moins que ce ne soient Freud avec son invention du complexe d'Oedipe et Jung avec ses deux archétypes de la mère et du père qui aient institué durablement ce mythe de l'amour maternel. Celui de l'amour paternel est encore manifestement beaucoup moins présent. Mais le nouveau rôle du père maternant son enfant, qui a émergé du féminisme, va probablement susciter de nouveaux récits mythiques.
--------
(*) Bien sûr on pourra citer Égée se jetant de désespoir dans la mer, voyant son fils Thésée revenir avec une voilure noire, ou Énée fuyant le siège de Troie, portant son père Anchise sur ses épaules, accompagné de son fils Ascagne, ou la douleur de Déméter à la recherche de sa fille unique Perséphone enlevée par Hadès. Mais ce sont des anecdotes diverses plutôt qu'un mythe central.