tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

jeudi, janvier 06, 2011

Agnosticisme et athéisme


Nombreux sont ceux, y compris des scientifiques*, qui se déclarent agnostiques et rejettent l’athéisme. Ils affirment qu’on ne peut pas savoir si Dieu n’existe pas, puisqu'on ne peut pas le démontrer scientifiquement et qu’il est donc exclu d’aller au-delà de leur principe de prudence sceptique. Plusieurs dénoncent même l’athéisme en le considérant comme une croyance équivalente et symétrique de la foi. Croire que Dieu existe, ou croire que Dieu n’existe pas, ce serait le même genre de croyance, dont tout scientifique doit s’abstenir, car la raison et la foi sont de nature exclusive l'une de l'autre.
Voilà bien une étonnante symétrie ! On ne peut pas démontrer davantage que le Père Noël ou les loups-garous n’existent pas. Et pourtant les scientifiques n’y croient pas ! L’athéisme n’est aucunement une croyance en la non-existence de Dieu : il est une absence de prise en compte de cette imagination qui n’explique finalement rien. Comme plusieurs l’ont souligné, Dieu est une hypothèse inutile**. La science n’en voit aucune preuve et n’y trouve aucune compréhension supplémentaire des questions qu’elle se pose sur l’univers. Autant croire que la couleur bleue explique l’origine de ce qui existe : après des siècles de théologie sur la couleur bleue, l’édification d’Eglises, la vénération du verre bleu ou de la Méditerranée ou du ciel, on ne serait pas rendu plus avant dans l’explication crédible de l’univers. Pire, on aurait perdu son temps et subit les effets terriblement pervers des martyres, des croisades, des intégrismes et des guerres de religion entre les croyants dans plusieurs nuances de bleu, entre les prosélytismes de plusieurs Eglises, et tout ce qu’implique le règne conquérant d’une superstition majeure.
C’est un pur sophisme que d’opposer comme deux croyances égales la foi en Dieu et l’athéisme, et de faire de l’athéisme une autre religion. Ses excès dans les pays sous dictature communiste sont déplorables, mais insignifiants en comparaison des terribles abus des religions. Et ils ont moins à voir avec l’athéisme qu’avec les effets de toute dictature qui veut contrôler les esprits sans partage, sans tolérer l’existence d’institutions non-étatiques dans l’Etat.
La pensée matérialiste, celle que doit avoir tout scientifique rigoureux dans ses hypothèses et ses méthodes, est nécessairement athée. A moins de n’avoir pas compris ce qu’est le matérialisme. Si, rejetant tout deus ex machina, qu’on l’appelle Dieu, le dessin intelligent ou la couleur bleue ou verte, on s’en tient à une recherche des lois physiques et chimiques du couple matière/énergie, incluant la recherche atomique, électromagnétique, génétique et leurs équilibres thermodynamiques, on exclut toute référence à Dieu, que ce soit pour ou contre, on ignore cette pensée. Voilà ce qu’est l’athéisme.
L'agnosticisme cache mal, selon moi,un sédiment inconscient de culture et de crainte religieuse. Nous avons encore du mal à oser être pleinement des animaux matérialistes.On ne peut pas non plus s'arranger de deux postures, l'une agnostique par raison, l'autre athée par sentiment*** ou conviction d'engagement idéologique. Ce genre d'ambiguïté trahit une mollesse de la pensée dont il faut se débarrasser. La pensée matérialiste pleinement assumée, autant que nous y parvenions malgré nos réflexes culturels déistes, qui resurgissent sans cesse, souvent à notre insu, est beaucoup plus porteuse de compréhension de l'univers et de liberté humaine. Voilà une résolution à prendre en ce début d'année!
Hervé Fischer
-----------------------------------
* Je réponds ici notamment à Cyrille Barette, contributeur à "Heureux sans Dieu" et auteur de "Mystère sans magie", éditions Multimondes, Montréal,2006.
** C'est ce que souligne Yanick Villedieu, autre contributeur au même livre, "Heureux sans Dieu", où j'ai moi-même signé le chapitre "Mythanalyse de Dieu".
*** C'est le propos d'Yves Gingras dans ce même livre; on regrette qu'il ne l'ai pas davantage développé, ce qui aurait permis d'en venir à bout.