La nouvelle Victoire de Samothrace, anthropométrie acrylique sur toile, 153 x 92 cm, 2014
Après avoir peint cette anthropométrie acrylique sur toile de la Victoire de Samothrace dans la série des Titans du XXIe siècle sur laquelle je travaille actuellement, j'ai découvert qu'Yves Klein en avait déjà repris le thème en appliquant son célèbre ultrableu à une copie de la fameuse statue grecque. Cette oeuvre était peut-être demeurée dans ma mémoire sans que j'en aie conscience, ou la Victoire de Samothrace est-elle une figure si emblématique de notre culture occidentale qu'elle s'est imposée à moi en regardant le cyborg du film At the Edge of Tomorrow. Je ne saurais en décider, et cela importe relativement peu. Ce qui s'impose, c'est l'importance de la mémoire iconique des grandes œuvres de référence de la civilisation occidentale, comme la Joconde, Guernica, la Tour Eiffel, Tintin, etc. Nous avons en mémoire une sorte d'iconothèque que nous partageons tous et qui est devenue une racine identitaire distinctive par rapport au Bouddha asiatique, au masque africain ou aztèque, etc. La couleur bleue choisie par Yves Klein ou par Matisse pour ses papiers gouachés découpés est-elle même évocatrice d'une identité méditerranéenne.
Notre imaginaire collectif repose sur un fond identitaire iconique auquel nous nous rattachons et que nous célébrons spontanément, inconsciemment, et qui perdure avec les générations. L'hybridation culturelle du monde actuel ne met que davantage en référence distinctive, en dialogue ou en confrontation ces grandes figures qui deviennent mythiques par l'importance référentielle qu'elle nous impose ou par laquelle elle nous permet de nous situer dans le vaste monde.
Les musées tels que Le Louvre, où est exposée la sculpture grecque, les illustrations des livres d'école, les cartes postales, les guides de voyage, les timbres postes, Google et le cinéma qui y recourent constamment, comme dans le cas de ce film de science fiction dont j'ai repris la figure centrale et l'ai rapprochée spontanément de références de mon iconothèque occidentale, contribuent communément à la diffusion et à la célébration collective des ces icônes identitaires.
La petite expérience que je viens de vivre dans ma rencontre imprévue avec Yves Klein peut paraître anecdotique. Mais elle est hautement significative et me paraît modestement merveilleuse. C'est ainsi qu'émergent les mécanismes de nos appartenances identitaires. Chaque culture sélectionne, impose et célèbre ses icônes pour répondre au besoin d'appartenance que nous éprouvons dans le chaos des masses sociales. Ces icônes identitaires nous apparaissent d'autant plus belles. Elles sont valorisées collectivement et donc valorisantes individuellement. Notre pensée quotidienne elle aussi, comme notre imaginaire, se construit autour de figures de style, dispositifs linguistiques et syntaxiques, lieux communs, connaissances banalisées, réductrices, mais communément partagés, qui permettent le vivre-ensemble de chaque communauté sociale, ainsi que le développement d'une conscience planétaire.