Nous apprenons à nommer les choses avec des mots-images dont nous oublions les métaphores pour en user comme de désignations univoques. La mythanalyse se penche volontiers sur les étymologies qui font apparaître les émotions et les interprétations imaginaires recélées par les mots. Les poètes en usent aussi, parfois à merveille, pour déclencher des visions intenses, inédites. Car face au poète, nous sommes non plus dans l'action quotidienne, mais en attente de révélation. Mais lorsque l’écrivain roule les phrases comme de la pâte feuilletée pour en extraire toutes les variantes de sens possibles, le dispositif langagier perd son pouvoir ludique et devient abusif. Il lasse, parce qu’il crée de l’épaisseur, de la buée entre le réel et nous. Il semble référer au réel mais devient l’objet lui-même, un paravent de mots-motifs, qui ne réfère plus qu’à lui-même, au point de saturer l’imaginaire qui porte le langage. Il en bloque la fluidité qui décante en gruaux. Je ne donnerai pas d’exemple ici, par respect pour des écrivains amis, mais le lecteur en trouvera assurément maint exemple. Et mon propos n’est pas de blesser, mais de souligner l’importance de cette fluidité nécessaire du langage et donc de l’imaginaire qu’il met en scène dans notre rapport au monde. Les mammifères que nous sommes ont gardé dans leurs réseaux synaptiques une fonction épigénétique de rapidité cérébrale imaginaire aussi bien que conceptuelle, nécessaire à leur survie. Le avec, du rapport au monde l’emporte presque constamment sur le comme, le métaphorique inhérent à la nature du langage. Nous oublions le fabulatoire pour n’user du langage que comme d’une boîte à outils collective à usage immédiat. Nous ne pouvons pas nous embarrasser constamment de considérations étymologiques, mythanalytiques, fabulatoires dans notre usage des choses et notre compréhension du monde. Celui qui prétend nous raconter l’histoire du marteau et nous en décliner les différentes formes possibles au moment de planter un clou n’est pas le bienvenu lorsque la planche va tomber. Bref, nous tendons à oublier et même à ignorer les métaphores omniprésentes dans le langage pour être immédiatement présents au monde. Nous tendons même à les éliminer, à en rejeter le rappel pour ne pas nous embarrasser d’un bagage trop pesant, trop phraseur, trop verbeux, trop inadapté à l’action, qui pourrait jeter un doute sur la consistance du réel auquel nous nous confrontons, dont nous sommes le noyauou le cœur même. Voyez comme le mythanalyste tombe lui-même facilement, inévitablement, dans le piège qu’il énonce, et prête ainsi le flanc à la critique de celui qui préfère légitimement s’en tenir au bon sens pragmatique et réaliste, prêt à envoyer paître le mythanalyste fabulateur au nom de la réalité, de sa simple évidence partagée.
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