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tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.
dimanche, janvier 31, 2016
La nécessité de la mythanalyse
mardi, janvier 19, 2016
Le mythe de l'Homme
Tweet philosophie, Le mythe de l'Homme, 2014
Si nous ne croyons pas en Dieu, il nous faut croire en l'Homme. Ne croire en rien enlèverait tout sens à notre vie, qui serait réduite, selon notre chance d'être privilégié ou notre malchance d'être démuni, au cynisme jouissif ou à un état misérable.
Nous pourrions dire que croire en Dieu ou croire en l'Homme ne sont que des croyances illusoires l'une et l'autre. L'une est une fabulation, l'autre est contredite par la réalité chroniquement scandaleuse que nous observons.
Croire à la grandeur de l'Homme est un mythe porteur. Croire en Dieu est un mythe aliénant. Mais rien ne viendra contredire le second en prouvant l'inexistence de Dieu, tandis que le premier nous apparaît tous les jours dénié par la réalité.
Y-a-t-il une tierce proposition mythique pour laquelle nous pourrions opter ? Je n'en vois assurément aucune. Car la croyance dans les esprits ou dans le polythéisme demeure tout aussi négative que de croire en un seul Dieu.
La mythanalyse postule que notre rapport au monde demeure toujours mythique. Nous ne pouvons échapper, même dans le rationalisme le plus lucide, le plus critique, à la fabulation inhérente à notre condition humaine.Nous ne pouvons jamais accéder à ce qui serait une interprétation "objective" du réel. La mythanalyse nous invite donc à choisir entre Dieu et l'Homme, à choisir le mythe bénéfique de l'Homme et écarter le mythe toxique de Dieu.
Dans les limites - ce que j'appelle les limythes - de notre rapport au monde, incluant notre rapport à nous-mêmes subjectivement et socialement, la croyance dans l'Homme constitue évidemment une pétition de principe d'un étonnant optimisme. Je peux croire en effet que l'Homme et possédé par le mal - cela s'observe couramment -, ou qu'il aspire au progrès individuel - cela est toujours relatif et plus rare, mais concevable -, voire qu'il évolue vers un progrès collectif, ce qui demeure incertain dans le chaos de notre histoire, mais s'observe à bien des égards. C'est cette dernière option qu'implique la croyance en l'Homme, que je pourrais nommer la croyance dans le progrès de l'Humanité.
Nous observons que la croyance en Dieu s'est instituée en diverses religions, avec tous les effets pervers qui en sont résultés. Croire en l'Homme n'implique aucune pratique ou institution religieuse. Nous ne tomberons évidemment pas dans l'idée d'une religion de l'Humanité, telle que l'avait conçue Auguste Comte, qui voulait établir un sacerdoce et des Temples positivistes. D'une part, la mythanalyse se situe à l'opposé frontal du positivisme, puisqu'elle considère le culte de la Raison comme un mythe et relativise toutes nos connaissances, toutes nos théories, qu'elle considère comme des constructions fabulatrices. Et d'autre part dans sa recherche de lucidité critique la mythanalyse s'oppose à toute idée de religion, qui impliquerait des credos, des rites, des symboles aliénants.
La mythanalyse prend la croyance en l'Homme pour ce qu'elle est: une utopie, un mythe, une fabulation, mais qu'elle considère comme bénéfiques et porteurs de progrès collectif.
La mythanalyse n'ira pas plus loin dans la définition, ni davantage dans l'institutionnalisation du concept, voulant précisément éviter les travers de la religion promue par Auguste Comte.
Mais elle recherche comment cette croyance peut se traduire dans la pratique.
La mythanalyse s'appuie dans sa vision utopique de la croyance en l'Homme sur plusieurs éléments qui sont:
- la conscience augmentée (grâce aux hyperliens numériques)
- l'éthique planétaire constituée par la Déclaration universelle des Droits de l'homme
- l'hyperhumanisme (plus d'humanisme par plus d'hyperliens)
- la divergence (l'évolution par sauts et ruptures, par projets et non par adaptation et sélection naturelle)
On le voit, ces éléments sont liés entre eux et soutenus par l'émergence de l'âge du numérique, dont la mythanalyse souligne qu'elle est susceptible d'accélérer le développement du progrès humain collectif, tel qu'il peut s'instituer dans l'exigence collective, dans le renforcement des Nations Unies et des Cours internationales de justice telles que celle de La Haye. La mythanalyse est championne de la diversité culturelle, mais seulement dans les limites du respect des droits universels de l'homme, qui constitue le seul absolu sur lequel elle fonde sa pratique.
Suis-je en train de rêver, de décliner une utopie illusoire. Oui, c'est bien une utopie au jour d'aujourd'hui. Mais c'est celle qui a le plus de sens, celle qui est la plus porteuse d'espoir collectif. Voilà ce que veut dire croire en l'Homme pour l'accomplissement de son évolution collective sur Terre. Et c'est beaucoup plus lucide, inspirant et utile que de croire en Dieu en cultivant son salut individuel pour aller égoïstement au paradis. L'au-delà n'existe pas. S'il-vous-plaît, restons ici-bas. La mythanalyse est athée et enracinée ici-bas. Il n'y a de pire illusion que l'ailleurs.
lundi, janvier 18, 2016
Mythanalyse de la mort
Hervé Fischer danse avec la mort au Museo de Arte Moderno de Mexico, lors de l'événement La calle. Adonde llega?, 1983
Nous devons admettre tout d'abord que la mort sert l'évolution, du moins du point de vue biologique, en certains de ses aspects les plus déterminants. Les forêts ont incontestablement besoin de se renouveler pour se régénérer.
Sans la mort, nous devrions aussi échapper au vieillissement, qui aboutit à une dégénérescence des individus qui serait bien pire que la mort. J'imagine mal la qualité de vie d'un de mes aïeux qui serait âgé de 2000 ans.
Et nous devrions parler d'éternité de la vie, ce qui serait un scénario à repenser, ou plutôt à inventer totalement. Nous ne pourrions plus tuer, ni nos ennemis dans les guerres, ni les animaux et les végétaux que nous mangeons. Nos propres cellules ne mourraient pas constamment, ce qui impliquerait qu'elles ne vieillissent pas non plus, car dans l'état actuel elles meurent et se renouvellent constamment. Nous avons la plus grande difficulté à envisager et encore plus à analyser toutes les implications de telles hypothèses. Le Christ ne serait pas mort, mais les rois et les dictateurs deviendraient eux aussi éternels. En d'autres termes, le temps n'existerait pas. La reproduction, les naissances seraient elles encore possible? Disons: oui, au début de la création, jusqu'à ce que l'espace, qui, lui, n'est pas infini sur Terre, soit saturé.
N'étant plus dans une perspective évolutionniste, telle que Darwin l'a conçue, nous nous retrouverions en plein créationnisme. Un jour Dieu aurait créé tous les êtres vivants, définitivement et en nombre limité calculé selon sa sagesse. Nous serions toujours entre nous, dans un monde fixiste. Serait-ce le paradis? Même schéma, mais incluant le mal, donc difficile à imaginer. Impossible à penser.
Pour éviter cette impasse du raisonnement, il faudrait donc que nous combinons avec une liberté plus que fantaisiste les lois de l'évolution et l'absence de la mort. Nous coexisterions donc avec les dinosaures. Et beaucoup d'entre nous serions encore des primates vivant dans les arbres, tandis que ceux récemment nés circuleraient en voiture dans nos villes. Étrange scénario de coexistence!
Nous laisserons aux humoristes plus talentueux que nous le plaisir d'imaginer cet étrange état de nature aussi contradictoire que le monde d'Alice au pays des merveilles. Laissons donc de côté ce questionnement d'ordre biologique trop contradictoire pour notre raisonnement et prenons une hypothèse simplifiée.
Imaginons qu'un homme ait le privilège extraordinaire de ne jamais mourir et qu'il en soit conscient. Ajoutons, pour ne pas le faire trop souffrir éternellement, qu'à l'âge de 40 ans, en pleine santé et possession de ses moyens, il cesse de vieillir. Il pourrait certes imaginer un destin singulier, celui de témoin, de mémoire vivante, de grand sage que tous les hommes viendraient consulter, ou de "fou du roi", rappelant aux hommes tous leurs malheurs passés pour qu'ils évitent le pire. Mais comme nous ne lui donnerons pas un pouvoir de prescience, il serait constamment dans un choc du futur" qui l'obligerait à se réadapter sans cesse à tous les changements de vie que nous inventons.
On peut se demander si cette désadaptation chronique ne deviendrait pas lourde à vivre. Imaginons donc que son esprit demeure constamment jeune et branché sur l'actualité, sans qu'il perde la mémoire : il vivrait dans une schizophrénie permanente, écartelé entre diverses personnalités liées aux époques successives qu'il aurait connues et qui deviendraient vite contradictoires. Ce scénario rencontre lui aussi tant de paradoxes et d'incongruités qu'il est difficile à poursuivre.
Imaginons alors que je sois cet homme, et que je sache que je ne mourrai jamais, tout en gardant une bonne santé, une bonne mobilité et toutes mes capacités cérébrales. Imaginons donc que je devienne un vieil homme avec le corps d'un jeune. Comment penserais-je ma vie?
Sans doute prendrais-je paradoxalement davantage le temps de vivre, n'étant plus pressé d'accomplir mes projets, de voir mes amis, de visiter un pays, un musée, de lire un livre, d'aller me baigner, puisque j'aurais "tout mon temps". Peut-être n'aurais-je plus l'énergie qui m'anime actuellement, alors que je sais que le temps m'est compté. Est-ce que je m'ennuierai? C'est possible, mais cela ne me ressemble pas. Je demeurerais donc excité par la réalisation de tous mes projets de livres, de peintures, de rencontres, de voyages. Mais il me semble que je n'aurais plus d'angoisse et que je deviendrais un simple jouisseur de la vie, avec le seul souci constant de gagner ma vie ou de m'assurer une retraite financière éternellement suffisante pour pourvoir à mon existence.
Je n'aurais plus ce besoin impérieux, incessant, qui m'anime dans ma condition humaine réelle, de donner un sens à ma vie, qui me permette de mourir sans regret, sans frustration le jour venu.
Et si nous étions tous dans ce même état de ne plus avoir peur de la mort qui ne nous atteindrait plus, nous n'aurions plus, aucun d'entre nous, ce besoin impérieux de nous surpasser constamment pour légitimer le privilège de la vie dont nous jouissons et pour survivre à notre mort dans la mémoire collective des hommes.
Devrais-je conclure que c'est la mort qui nous oblige à donner un sens à notre vie? Cela ne fait aucun doute. Et c'est en ce sens que la mort sert à quelque chose. A quelque chose de majeur, qui est la grandeur de l'homme, ce par quoi il dépasse son état de nature, il diverge de l'animalité qui était son sort originel.
La mort est la faiblesse de notre corps. Mais c'est sa fatalité qui crée la volonté de notre esprit de surmonter notre condition physiologique. La mort est un processus naturel. Mais la conscience que nous en avons tout au long de notre vie, l'angoisse qu'elle suscite en nous et donc la volonté que nous avons de la vaincre, voilà ce qui fait de nous une exception dans la nature. Du moins chez ceux qui sont assez fous pour y penser sans cesse plutôt que de jouir sagement et humblement de la vie quotidienne, sans autre ambition que d'en maintenir la jouissance le plus longtemps possible. Ces fous-là demeurent très marginaux, au moins dans leur volonté d'assumer pleinement cette divergence de l'esprit par rapport au corps.
Cette victoire sur la fatalité de la mort, ardemment recherchée, n'est pas un caprice personnel, une affaire d'égo, fusse-t-il celui, mégalomane, d'un artiste comme le prétend Ben Vautier - cela demeurerait terriblement médiocre -, mais une victoire partagée avec une grande communauté d'hommes et de femmes qui ont contribué dans tous les domaines magnifiquement à l'histoire de l'humanité et qui m'ont fait ce que je suis.
Certes nous sommes en présence d'un mythe, celui de la victoire de la vie sur la mort, de la vie "éternelle", que nous promettent les religions, mais incarnée dans le mythe de l'Homme. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en l'Homme. C'est le mythe porteur d'espoir que j'ai évoqué dans le livre que j'ai intitulé "Nous serons des dieux".
Car cette victoire individuelle est partagée avec d'autres, qui y ont aspiré avec toute leur volonté.
Cette victoire est celle qui me laisse espérer que le jour de ma mort ne sera pas misérable, mais que ce sera le plus grand jour de ma vie, celui qui scellera ma certitude de survie dans la mémoire des hommes. J'éprouverai alors ce que j'appellerai "la joie de la vie plus forte que la mort". Une mort joyeuse.
jeudi, janvier 14, 2016
Mythanalyse de la vie
Ça srt à quoi la vie? Se poser la question, c'est à coup sûr ressentir cette angoisse qui m'est si familière. Mais une angoisse encore maîtrisable, puisque je la conceptualise et cherche une réponse qui me permettrait au bord du désespoir de reculer.
Et lorsque cette question me saisit, j'essaie de vérifier les réponses remèdes que j'ai déjà souvent expérimentées - jusqu'à présent donc avec succès.
Dans l'embrouillaminis de mon esprit, je cherche la bonne réponse. Les yeux, la bouche, les oreilles, les mains, les poumons, les jambes, le sexe sont manifestement utiles. Pour voir, pour manger, pour entendre, pour saisir, pour respirer, pour marcher, pour jouir et se reproduire. Le corps est incontestablement utile. Il sert à vivre.
Mais la question revient, première : vivre pour quoi? Pour quoi faire? Ça sert à quoi? A qui? A moi? Aux autres? La vie est tellement éphémère; elle finit toujours avec la mort qui effacera tout, mes illusions, mes efforts, mes succès, mes cauchemars et mes angoisses. Mes bonheurs et mes malheurs. Alors pourquoi vivre encore, répéter des bonheurs si brefs, des malheurs si pesants? La mort retire à la vie toute justification.
A moins qu'elle n'en vaille la peine que dans l'instant présent. Et à condition que cet instant soit agréable. Il faudrait que je trouve dans ce présent illusoire plus de jouissance que dans tous les malheurs accumulés depuis ma naissance. Une naissance qui elle-même marqua ma vie à jamais du signe de la douleur et du chaos. Toutes mes fabulations pourront-elles jamais justifier cette condition humaine qui m'a été imposée par la vie. Cette vie qui utilise mes gènes indépendamment de ma volonté, comme ceux de milliards d'autres êtres humains, pour poursuivre son chemin qui sert à quoi? Qui mène où? Qui ne pèse aucun poids dans l'univers, à peine une trace, apparemment nuisible dans un univers qui sert à quoi? Personne ne le saura jamais. Chacun se raconte une histoire vaine et fausse. Nous fabulons notre néant dans un être gigantesque, infini. Nous ne sommes pas à la mesure de ce défi.
Mieux vaut tirer sa révérence sans plus attendre que fabuler encore des bonheurs illusoires et des souffrances trop réelles. Kierkegaard et Schopenhauer l'ont déjà dit mieux que moi.
La vie ne sert à rien. Elle ne relève pas de l'utilitaire, mais de l'instinct et du désir. L'instinct est un attribut de la vie, son moteur et donc ne peut être sa justification. C'est le désir seulement qui peut la justifier. La vie sans désir, c'est le stoïcisme ou la bonne variante du taoïsme, ou le bouddhisme. Trop désespérants pour proposer une réponse, même provisoire. Pour moi, la vie sans désir, c'est un renoncement à la vie, un suicide sans mort. La vie des plantes me fascine, mais je n'en voudrais pas pour moi. Une vie végétative serait trop insignifiante pour qui a vécu une vie d'homme.
La vie, lorsqu'elle devient consciente, c'est le désir de tromper la mort, de la vaincre, de lui survivre, aussi illusoire et brève que puisse être cette survie inconsciente, dans la seule mémoire humaine, si fragile. Un désir qui m'anime cependant tous les jours parce que lui seul pourra me permettre éventuellement, à force de persévérance obstinée, d'échapper à ma condition de mortel, de vaincre le néant.
Ce vitalisme renvoie au mythe de la création, qu'elle soit personnifiée par la nature, par un animal totémique ou par un dieu. Il est vrai qu'il existe de nombreux dieux de la mort. que le dieu de la vie a mandat de vaincre. Il n'existe rien de plus suprême que la vie. Sauf la vie en Dieu, le dieu vivant. Dieu dit: "Je suis la vie".
Sans la vie, Dieu n'existerait pas. La Nature n'existerait pas, l'univers n'existerait pas. Il n'y aurait personne pour le savoir, pour en parler. Il n'y aurait que le néant. Pas de mythe. Pas de fabulation. RIEN.
mercredi, janvier 13, 2016
mardi, janvier 05, 2016
Actualité du manichéime
tweet art: manichéismes, 2016
"Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre
nous" dixit un président américain irresponsable et inintelligent après le
11 septembre. Ceux qui ne sont pas des combattants farouches du prophète,
fussent-ils musulmans, ne sont que de vulgaires mécréants affirment les
djihadistes de Daesh. Et ils tuent sans merci. Ils sont binaires,
fondamentalistes, fanatiques, stupidement binaires.
Ce mode de pensée simpliste, si dangereux, est
terriblement répandu et contagieux, de nos jours comme toujours.
Il a été la clé de voute du manichéisme, une religion
fondée par un prophète prêcheur du IIIe siècle nommé Mani qui divisait le
cosmos entre deux puissances, les Ténèbres, l'empire de Satan, et la Lumière,
le monde de Dieu, engagés depuis toujours dans un combat à finir, mais sans
issue possible, puisque Satan y est l'égal de Dieu. L'homme lui-même est pris
dans cette lutte, selon Mani, puisque son corps appartient aux Ténèbres et son
esprit à la Lumière.
Mani est l'exemple même d'un créateur de mythe. Car il
imagina, conceptualisa, écrivit et prêcha un récit des origines du monde
impliquant une conception de l'homme et une religion en s'inspirant des
diverses croyances de l'époque et notamment du zoroastrisme, du christianisme
et du bouddhisme. Le manichéisme se répandit largement avec l'appui du du
pouvoir politique du monarque sassanide Shapur 1er, soucieux d'unir son peuple
sous une religion identitaire. Il était lui-même très instruit, fils de famille
princière. Mani prétendit avoir eu de nombreuses visions d'origine divine et il
mourut supplicié. Son martyr ajouta à la puissance du mythe qu'il
créa.
Le mythe manichéen devint donc une religion
puissante. Saint-Augustin lui-même fut manichéiste avant de se convertir
au christianisme et de prêcher contre la théologie de Mani.
Comme tous les mythes, il puise dans des récits
antérieurs connus de son auteur. On trouve déjà dans presque toutes le
religions l'opposition entre la lumière et le ténèbres. Ainsi, selon l'Ancien
testament (chapitre 1),
"Au commencement,
Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide: il y
avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait
au-dessus des eaux. Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière
fut. Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec
les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les
ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier
jour." Pour le bouddhisme, le nirvana
conduit à se fondre dans la lumière. Et le dualisme qui identifie le bien à la
lumière et le mal aux ténèbres se trouve déjà dans le zoroastrisme (prêché par
Zharathoustra), lui-même issu du mazdéisme et qui remonte au 4e millénaire
avant J. C. Le zoroastrisme fut la religion officielle de l'empire perse à
plusieurs reprises et notamment sous les Sassanides. Mali en connaissait donc
bien les termes. Le manichéisme fut donc très
rigoureux dans sa théologie comme dans ses règles de vie et de pratique. Il
était d'inspiration pacifiste, mais il ne se maintint pas longtemps comme
religion, car il fit partout l'objet de multiples persécutions, tant au
Moyen-Orient que dans l'empire romain. Mais grâce à
son syncrétisme simplificateur - il se voulait une religion
universelle - son influence demeura longtemps présente, à travers le
christianisme, le bouddhisme et les diverses religions du Moyen-Orient, tant
dans l'empire perse, que dans le monde arabe, en Europe dans l'Empire romain
jusqu'en Gaule, en Afrique romaine et en Asie jusque dans la Chine des Tang et
au Japon. Et nous en retrouvons aujourd'hui encore l'influence évidente dans
l'islam, notamment dans le jeûne rigoureux du ramadan, dans le binarisme
impitoyable de la charria, dans ses intolérances et les luttes fratricides
entre ses diverses interprétations sunnite, chiite, salafiste, wahabiste,
soufiste, etc., dont le chefs religieux ne cessent de s'affronter comme le font
Dieu et Satan dans la doctrine manichéiste, sans jamais venir à bout les uns
des autres. Nous retrouvons dans l'islam fondamentaliste cette opposition
manichéenne entre "les fils de la Lumière" et "les fils des
Ténèbres", dont l'interprétation guerrière du Coran inspire le djihad contre tous les mécréants, islamistes pacifistes et croyants d'autres
religions confondus.Tuer les mécréants des Ténèbres ou
devenir martyr en se faisant exploser pour accéder à la Lumière de Dieu, voilà
l'interprétation manichéenne prêchée par Daesh.
Et bien plus généralement que ce manichéisme qui fait des ravages dans l'intégrisme islamique actuel, nous observons son origine psychique dans le comportement ordinaire, binaire, si répandu, si structurel de l'esprit humain, qui simplifie abusivement la complexité des idées, qui nourrit "la peur de l'autre", notamment dans tous les fascismes, mais aussi dans les populismes actuels qui sévissent de plus en plus dans les pays européens, dans toutes les haines partisanes ou personnelles qui empoisonnent la vie sociale.
Cette logique binaire, celle de Port-Royal, janséniste, qui fonde le rationalisme classique lui-même issu de la théologie, qui impose le "tiers exclu", est un mode de pensée fort répandu et qui semble éternel et universel. Il nourrit l'instinct de puissance et Thanatos. Il y a du manichéisme en chacun de nous. A est différent de B, C est exclu de A et B. Le code binaire fondateur de l'informatique en relève tout autant. 1 ou 0, On ou Off. Le transistor laisse passer la lumière (le courant électrique) ou la bloque. Toute tierce option est exclue. Et cela donne à l'informatique toute sa puissance de calcul, un pouvoir inédit.
Pourtant la mécanique quantique resurgit de cette forteresse rationaliste et revendique aujourd'hui l'instabilité de l'opposition entre A et B. Une particule peut être tantôt A, tantôt B, voire simultanément les deux. Le système craque sous la pression de la réalité, qui est beaucoup plus complexe que le binarisme.Et le conformisme du binarisme sexuel lui-même est remis en question. La société tolère de moins en moins mal les comportements homosexuels ou transsexuels, les revendications transgenres, l'hermaphrodisme.
Le manichéisme est d'origine instinctive, animale. Il vient de la lutte pour la survie, pour le territoire, qui considère l'autre animal, l'autre clan, l'autre ethnie, l'autre religion, l'autre culture comme un compétiteur, un ennemi à chasser, à éliminer. Il faut ici parler d'un manichéisme ordinaire, qui est présent dans nos comportements, dans nos sociétés, et avec lequel nous apprenons à composer plus ou moins bien selon les situations sociales, les pressions démographiques, les tensions économiques. Et lorsque ce manichéisme instinctif est exacerbé par des volontés de pouvoir, il prend dimension mythique et se transforme en cosmogonie, en théologie, qui peut alors fonder des religions et susciter des intégrismes violents, barbares, tels ceux des guerres de religions en Europe encore récemment ou de Daesh aujourd'hui. Aucune négociation ne semble alors possible entre la Lumière et les Ténèbres, entre le Bien et le Mal. On ne vise plus que l'extermination. Nous observons aujourd'hui même les effets épouvantables de cette exacerbation radicale du manichéisme ordinaire.
Et bien plus généralement que ce manichéisme qui fait des ravages dans l'intégrisme islamique actuel, nous observons son origine psychique dans le comportement ordinaire, binaire, si répandu, si structurel de l'esprit humain, qui simplifie abusivement la complexité des idées, qui nourrit "la peur de l'autre", notamment dans tous les fascismes, mais aussi dans les populismes actuels qui sévissent de plus en plus dans les pays européens, dans toutes les haines partisanes ou personnelles qui empoisonnent la vie sociale.
Cette logique binaire, celle de Port-Royal, janséniste, qui fonde le rationalisme classique lui-même issu de la théologie, qui impose le "tiers exclu", est un mode de pensée fort répandu et qui semble éternel et universel. Il nourrit l'instinct de puissance et Thanatos. Il y a du manichéisme en chacun de nous. A est différent de B, C est exclu de A et B. Le code binaire fondateur de l'informatique en relève tout autant. 1 ou 0, On ou Off. Le transistor laisse passer la lumière (le courant électrique) ou la bloque. Toute tierce option est exclue. Et cela donne à l'informatique toute sa puissance de calcul, un pouvoir inédit.
Pourtant la mécanique quantique resurgit de cette forteresse rationaliste et revendique aujourd'hui l'instabilité de l'opposition entre A et B. Une particule peut être tantôt A, tantôt B, voire simultanément les deux. Le système craque sous la pression de la réalité, qui est beaucoup plus complexe que le binarisme.Et le conformisme du binarisme sexuel lui-même est remis en question. La société tolère de moins en moins mal les comportements homosexuels ou transsexuels, les revendications transgenres, l'hermaphrodisme.
Le manichéisme est d'origine instinctive, animale. Il vient de la lutte pour la survie, pour le territoire, qui considère l'autre animal, l'autre clan, l'autre ethnie, l'autre religion, l'autre culture comme un compétiteur, un ennemi à chasser, à éliminer. Il faut ici parler d'un manichéisme ordinaire, qui est présent dans nos comportements, dans nos sociétés, et avec lequel nous apprenons à composer plus ou moins bien selon les situations sociales, les pressions démographiques, les tensions économiques. Et lorsque ce manichéisme instinctif est exacerbé par des volontés de pouvoir, il prend dimension mythique et se transforme en cosmogonie, en théologie, qui peut alors fonder des religions et susciter des intégrismes violents, barbares, tels ceux des guerres de religions en Europe encore récemment ou de Daesh aujourd'hui. Aucune négociation ne semble alors possible entre la Lumière et les Ténèbres, entre le Bien et le Mal. On ne vise plus que l'extermination. Nous observons aujourd'hui même les effets épouvantables de cette exacerbation radicale du manichéisme ordinaire.
dimanche, janvier 03, 2016
Mythanalyse de l'image
Tweet Art, 2016
Le pouvoir de l'image est tellement grand que plusieurs religions et en particulier les diverses variantes de l'islam ont interdit toute représentation de leur dieu, de son prophète et même, au-delà du monde religieux, toute figuration d'un être vivant, voire d'un objet profane. Cet rejet des icônes assimilées à des idoles existe déjà dans l'Ancien Testament (Exode XX,4):
"Tu ne te feras pas d'idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous-terre."
Dieu seul détient le pouvoir de créer des figures.
Le catholicisme n'a pas retenu cet interdit, usant au contraire de la gloire auréolée des images pour célébrer son dieu et ses saints, mais le protestantisme y est revenu dans le respect de son austérité opposée aux excès somptuaires de l'église vaticane.
L'islam en a renouvelé l'interdit dans le Coran :
"Abraham dit à son père Azar: "Prendras-tu des idoles pour divinités?
Je te vois, toi et ton peuple, dans un égarement manifeste." (Coran, VI,74)
Annie Vernay-Nouri, qui rappelle ce texte dans "L'image et l'islam"(*), souligne que cet aniconisme n'a certes pas été totalement respecté selon les époques et les variantes de l'islam, mais il a induit en retour un art de la calligraphie, qui a pris valeur iconique d'écriture-image.
Elle cite cependant aussi cet hâdit du prophète:
"Les anges n'entreront pas dans une maison où il y a un chien, ni dans celle où il y a des images." (Al-Bukhâri, LXXVII, 87)
Et cet autre:
"Ceux qui seront punis avec le plus de sévérité au jour du jugement dernier sont: le meurtrier d'un prophète, celui qui a été mis à mort par un prophète, l'ignorant qui induit les autres en erreur et celui qui façonne des images et des statues."(**)
Les pratiques de la magie, rituels, objets fétiches, masques et grigris, démontrent le même pouvoir des figurations dans les mains d'un sorcier.
Voilà qui ne laisse aucun doute sur le statut iconique des images en Occident. Le peintre s'arroge un pouvoir qui traditionnellement est interdit par Dieu, ou dont use la magie et la religion pour exercer sa puissance. Les images incarnent la puissance créatrice des dieux ou la présence et l'efficace des esprits. Comment ose-t-il usurper cette force sacrée? Il ne le faisait initialement que selon la demande des chamans et des chefs religieux, et selon les rituels requis. Cet art était interdit ou sacré.
Et même lorsque l'art semble aujourd'hui être devenu profane, il garde donc dans l'inconscient collectif des sociétés cette aura sacrée originelle. Cela explique sa valeur sociale fétichiste et son pouvoir de légitimation de ceux qui en possèdent des oeuvres. Cela fait comprendre la force de transgression que peut recéler encore l'image, non seulement dans les caricatures du prophète qui ont suscité des assassinats comme celui des dessinateurs de Charlie Hebdo, mais aussi dans des créations d'apparence plus profane comme "L'origine du monde" de Courbet, l'actionnisme viennois, ou le body art de Journiac ou Gina Pane.
Cela explique encore le silence respectueux que nous imposent les musées, eux-mêmes conçus selon des architectures de temples ou de cathédrales.
C'est en ce sens encore, que j'ai pu écrire dans L'Avenir de l'art (***) que l'art va remplacer la religion.
Mais au-delà de ces considérations mythanalytiques sur le statut sacré de l'art, même le plus actuel, qui me conduisent à affirmer que tout art est icônique, nous devons prendre en compte aussi des données cognitives aujourd'hui bien établies.
Face à l'instabilité et à l'évanescence de notre perception du réel, que rappelle avec beaucoup de pertinence Philippe Boissonnet, un artiste majeur de l'holographie (****), le cerveau tend à fixer des images stabilisées de nos sens, permettant d'agir efficacement pour reconnaître, saisir et transformer les objets. A l'opposé des vibrations du mouvement brownien de nos perceptions, voire de la matière, qui domine dans notre rapport au monde sous l'effet des drogues, comme l'a montré notamment Aldous Huxley, le cerveau simplifie, synthétise nos perceptions et les décodes en fonction de notre "librairie" mémorisée: ceci est un chat, une fourchette, un arbre, etc., selon les besoins de notre action, de notre survie, ou selon nos attentes et nos désirs. C'est seulement dans le deuxième regard plus attentif, que nous portons aux choses, que nous pouvons nous offrir le luxe d'en détailler les aspects plus spécifiques. Le cerveau choisit, censure, dessine, synthétise et reconnaît les objets dont nous avons besoin ou qui constitueraient un danger. Bref, il icônise sans cesse. C'est là une fonction basique de nos facultés cognitives, sans laquelle nos perceptions seraient d'une totale confusion.
Nous observons ainsi que cette fonction cognitive nécessaire à notre survie coexiste avec le mythe de la création qu'osent usurper les artistes.
Ceux d'entre eux qui préfèrent le cinéma, la danse ou l'installation à une image encadrée en deux dimensions, savent bien que nous en extrayons, lorsque l'oeuvre est assez puissante pour le permettre, des images emblématiques, icôniques, qui sont celles qui suscitent notre admiration et qui demeurent dans notre mémoire.
Même la publicité la plus profane (apparemment) ne procède pas autrement. Et elle icônise ainsi des logos, des marques, des objets de consommation triviale, qu'elle sacralise et inscrit dans notre mémoire, afin que nous nous en souvenions au moment de l'achat dans les centres commerciaux. Il en est des affiches publicitaires comme des images et statues des saints catholiques que viennent prier les fidèles dans les églises lorsqu'ils ont une faveur à leur demander.
Toute perception lisible est icônique. Toute oeuvre d'art l'est aussi, L'une comme l'autre sont des décisions, des volontés, qu'elles viennent de la physiologie du cerveau ou de de la fonction originelle sacrée des magies et des religions.
Neurosciences et mythanalyse se rejoignent ainsi.Un dessin digne de son nom est un dessein, une volonté de puissance et d'action qui se confronte au réel et lui impose une vision originale. Une peinture forte n'est pas un simulacre Impossible, pas une copie médiocre et réductrice de la réalité. Bien au-delà de la perception évanescente et incertaine que peut en avoir le peintre, comme chacun de nous, elle est une décision, une prise de pouvoir face au réel, qui prétend en fixer les traits. C'est ainsi qu'a toujours procédé la peinture, qu'elle soit primitive ou de la Renaissance, classique ou impressionniste, cubiste ou abstraite, minimaliste ou conceptuelle. L'art décide de notre vision du réel. Il en a toujours été ainsi. Ce le sera toujours.
L'artiste n'est pas un imitateur de la création du monde par la nature ou par un dieu, mais un créateur du monde, tel qu'il en décide et qu'il nous le dévoile. C'est en ce sens qu'il incarne ambitieusement le mythe suprême de l'origine du monde. Il doit être à la mesure de notre exigence métaphysique.
(*) Voir: https://www.google.ca/webhp?sourceid=chrome-instant&ion=1&espv=2&ie=UTF-8#q=l%27image%20de%20l%27islam
(**) Cité par Oleg Grabar, La Formation de l'art islamique, Paris, Flammarion, coll. "Champs", 2000, p. 112.
(***) L'Avenir de l'art, vlb, Montréal, 2010
(****) Philippe Boissonnet, Désir d'effet holographique et inachèvement du regard, publié dans la revue Archée: https://www.dropbox.com/home
"Tu ne te feras pas d'idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous-terre."
Dieu seul détient le pouvoir de créer des figures.
Le catholicisme n'a pas retenu cet interdit, usant au contraire de la gloire auréolée des images pour célébrer son dieu et ses saints, mais le protestantisme y est revenu dans le respect de son austérité opposée aux excès somptuaires de l'église vaticane.
L'islam en a renouvelé l'interdit dans le Coran :
"Abraham dit à son père Azar: "Prendras-tu des idoles pour divinités?
Je te vois, toi et ton peuple, dans un égarement manifeste." (Coran, VI,74)
Annie Vernay-Nouri, qui rappelle ce texte dans "L'image et l'islam"(*), souligne que cet aniconisme n'a certes pas été totalement respecté selon les époques et les variantes de l'islam, mais il a induit en retour un art de la calligraphie, qui a pris valeur iconique d'écriture-image.
Elle cite cependant aussi cet hâdit du prophète:
"Les anges n'entreront pas dans une maison où il y a un chien, ni dans celle où il y a des images." (Al-Bukhâri, LXXVII, 87)
Et cet autre:
"Ceux qui seront punis avec le plus de sévérité au jour du jugement dernier sont: le meurtrier d'un prophète, celui qui a été mis à mort par un prophète, l'ignorant qui induit les autres en erreur et celui qui façonne des images et des statues."(**)
Les pratiques de la magie, rituels, objets fétiches, masques et grigris, démontrent le même pouvoir des figurations dans les mains d'un sorcier.
Voilà qui ne laisse aucun doute sur le statut iconique des images en Occident. Le peintre s'arroge un pouvoir qui traditionnellement est interdit par Dieu, ou dont use la magie et la religion pour exercer sa puissance. Les images incarnent la puissance créatrice des dieux ou la présence et l'efficace des esprits. Comment ose-t-il usurper cette force sacrée? Il ne le faisait initialement que selon la demande des chamans et des chefs religieux, et selon les rituels requis. Cet art était interdit ou sacré.
Et même lorsque l'art semble aujourd'hui être devenu profane, il garde donc dans l'inconscient collectif des sociétés cette aura sacrée originelle. Cela explique sa valeur sociale fétichiste et son pouvoir de légitimation de ceux qui en possèdent des oeuvres. Cela fait comprendre la force de transgression que peut recéler encore l'image, non seulement dans les caricatures du prophète qui ont suscité des assassinats comme celui des dessinateurs de Charlie Hebdo, mais aussi dans des créations d'apparence plus profane comme "L'origine du monde" de Courbet, l'actionnisme viennois, ou le body art de Journiac ou Gina Pane.
Cela explique encore le silence respectueux que nous imposent les musées, eux-mêmes conçus selon des architectures de temples ou de cathédrales.
C'est en ce sens encore, que j'ai pu écrire dans L'Avenir de l'art (***) que l'art va remplacer la religion.
Mais au-delà de ces considérations mythanalytiques sur le statut sacré de l'art, même le plus actuel, qui me conduisent à affirmer que tout art est icônique, nous devons prendre en compte aussi des données cognitives aujourd'hui bien établies.
Face à l'instabilité et à l'évanescence de notre perception du réel, que rappelle avec beaucoup de pertinence Philippe Boissonnet, un artiste majeur de l'holographie (****), le cerveau tend à fixer des images stabilisées de nos sens, permettant d'agir efficacement pour reconnaître, saisir et transformer les objets. A l'opposé des vibrations du mouvement brownien de nos perceptions, voire de la matière, qui domine dans notre rapport au monde sous l'effet des drogues, comme l'a montré notamment Aldous Huxley, le cerveau simplifie, synthétise nos perceptions et les décodes en fonction de notre "librairie" mémorisée: ceci est un chat, une fourchette, un arbre, etc., selon les besoins de notre action, de notre survie, ou selon nos attentes et nos désirs. C'est seulement dans le deuxième regard plus attentif, que nous portons aux choses, que nous pouvons nous offrir le luxe d'en détailler les aspects plus spécifiques. Le cerveau choisit, censure, dessine, synthétise et reconnaît les objets dont nous avons besoin ou qui constitueraient un danger. Bref, il icônise sans cesse. C'est là une fonction basique de nos facultés cognitives, sans laquelle nos perceptions seraient d'une totale confusion.
Nous observons ainsi que cette fonction cognitive nécessaire à notre survie coexiste avec le mythe de la création qu'osent usurper les artistes.
Ceux d'entre eux qui préfèrent le cinéma, la danse ou l'installation à une image encadrée en deux dimensions, savent bien que nous en extrayons, lorsque l'oeuvre est assez puissante pour le permettre, des images emblématiques, icôniques, qui sont celles qui suscitent notre admiration et qui demeurent dans notre mémoire.
Même la publicité la plus profane (apparemment) ne procède pas autrement. Et elle icônise ainsi des logos, des marques, des objets de consommation triviale, qu'elle sacralise et inscrit dans notre mémoire, afin que nous nous en souvenions au moment de l'achat dans les centres commerciaux. Il en est des affiches publicitaires comme des images et statues des saints catholiques que viennent prier les fidèles dans les églises lorsqu'ils ont une faveur à leur demander.
Toute perception lisible est icônique. Toute oeuvre d'art l'est aussi, L'une comme l'autre sont des décisions, des volontés, qu'elles viennent de la physiologie du cerveau ou de de la fonction originelle sacrée des magies et des religions.
Neurosciences et mythanalyse se rejoignent ainsi.Un dessin digne de son nom est un dessein, une volonté de puissance et d'action qui se confronte au réel et lui impose une vision originale. Une peinture forte n'est pas un simulacre Impossible, pas une copie médiocre et réductrice de la réalité. Bien au-delà de la perception évanescente et incertaine que peut en avoir le peintre, comme chacun de nous, elle est une décision, une prise de pouvoir face au réel, qui prétend en fixer les traits. C'est ainsi qu'a toujours procédé la peinture, qu'elle soit primitive ou de la Renaissance, classique ou impressionniste, cubiste ou abstraite, minimaliste ou conceptuelle. L'art décide de notre vision du réel. Il en a toujours été ainsi. Ce le sera toujours.
L'artiste n'est pas un imitateur de la création du monde par la nature ou par un dieu, mais un créateur du monde, tel qu'il en décide et qu'il nous le dévoile. C'est en ce sens qu'il incarne ambitieusement le mythe suprême de l'origine du monde. Il doit être à la mesure de notre exigence métaphysique.
(*) Voir: https://www.google.ca/webhp?sourceid=chrome-instant&ion=1&espv=2&ie=UTF-8#q=l%27image%20de%20l%27islam
(**) Cité par Oleg Grabar, La Formation de l'art islamique, Paris, Flammarion, coll. "Champs", 2000, p. 112.
(***) L'Avenir de l'art, vlb, Montréal, 2010
(****) Philippe Boissonnet, Désir d'effet holographique et inachèvement du regard, publié dans la revue Archée: https://www.dropbox.com/home
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