Dark Vador
Sans doute parce que la série Star Wars est explicitement fondée sur la mythologie, et réactualise les grands mythes, incarnés au premier degré, paradoxalement tempo-localisés dans le futur, je n'ai guère été tenté jusqu'à présent d'en reconstituer le cahier des charges, ou de réinventer les notes de George Lucas, lorsqu'il a conceptualisé ses personnages et le récit qu'il redécline dans chaque nouvelle version de cette saga exceptionnelle. En fait, tout ce que je pourrais en déchiffrer a certainement déjà été écrit par George Lucas lui-même dans sa recherche préliminaire au projet.
Et cette oeuvre immense, telle un écho de l'oeuvre de Victor Hugo transposé en pleine science-fiction, qui cultive la simplification binaire entre le bien et le mal, qui réanime les masques du théâtre grec, tout en substituant à la catharsis de la tragédie l'apaisement du happy end, nous parle, bien entendu, de l'humanité d'aujourd'hui et non de son futur, comme elle prétend nous y inviter.
Et souhaitons que l'humanité connaisse en effet un happy end, comme le veut l'optimisme pragmatique de la culture US, plutôt que la fatalité apocalyptique de la douleur grecque.
Mais il y a aussi dans la saga de George Lucas une forte présence de la vie moyenâgeuse, du bestiaire de Jérôme Bosch, des villages paysans de Brueghel l'ancien, mêlés à des carcasses de technologie futuriste, supposés représenter un fragile refuge autochtone face à l'invasion des conquérants du mal, dont le grotesque évoque la comédie humaine.
Star Wars, c'est du théâtre, du drame grandiloquent avec des décors de carton peint incrusté d'effets spéciaux de calibre exceptionnel.
La psychologie est adaptée à un public de masse sans culture littéraire, ravi qu'on lui propose une épopée grandiose, dans un style populaire, dont il pourra cultiver les memorabilia et collectionner les produits dérivés comme les reliques d'une initiation secrète qui est devenue un culte.
Pour les fidèles de Star Wars, c'est manifestement un plaisir sophistiqué d'en détailler les caractères, de repérer les échos d'un épisode à l'autre, et de revivre la mythologie grecque dans toute sa puissance, encore amplifiée par le primitivisme d'un Moyen-âge burlesque dans lequel elle est transposée, le tout mêlé à la gadgetterie de la science fiction.
Il faut souligner que le souci de décliner avec cohérence les épisodes en fonction des premières images datant des années 1970, impose, malgré les effets spéciaux les plus sophistiqués dont l'industrie est désormais capable près de cinquante ans plus tard, un évident archaïsme des formes, des mouvements, des décors, qui donnent un sentiment passéiste par rapport à l'univers actuel de la physique et de la chimie nanotechnologiques. Bref, nous nous retrouvons avec le dernier épisode de Star Wars, tout juste sorti sur les écrans pour Noël 2015, "Le retour de la Force", dans une science-fiction étonnamment archaïque, qui me rappelle les animations numériques des années 1980. Cela ne nuit manifestement pas au succès de cette oeuvre, tant l'imaginaire se développe plus fluidement dans le primitivisme et l'archaïsme que dans un futurisme qu'on peine à imaginer.
Contrairement à la mythologie, par nature passéiste, la mythanalyse explore les imaginaires collectifs les plus actuels. Mais l'exemple de Star Wars nous rappelle que ces imaginaires sociaux demeurent constitutivement archaïques; d'une part parce ils se sont développés dans notre psychisme selon les phases fabulatoires de chacun de nous depuis le stade foetal, et d'autre part parce que les récits que nous en devons à nos prêtres et à nos poètes se sont eux-mêmes inspirés des mythes anciens. Et parmi ces grands relayeurs des mythologies anciennes, il faut désormais compter les cinéastes parmi les plus influents, comme nous le démontre brillamment George Lucas.