Le numérique, comme Janus, a deux visages : celui de la
puissance, mais aussi celui de la solidarité humaine Nous vivons de plus en
plus sur une planète hyper. De même que nous parlons de «réalité augmentée»
pour désigner les médias enrichis qui lient grâce aux réseaux numériques des
images ou la captation de sites touristiques à des informations historiques,
biographiques, scientifiques, etc., de même nous pouvons appeler «conscience
augmentée» cette connaissance de plus en plus englobante et immédiate que nous
donne l’information planétaire sur le web. C’est ainsi que nous nous engageons
dans des campagnes en faveur des équilibres écologiques à respecter de l’autre
côté de la planète tout autant que dans notre cour. Cette globalisation de la
conscience, c’est aussi celle de l’économie et de la spéculation financière ;
c’est celle du commerce international, de la santé publique, de la sécurité
alimentaire, de l’aventure scientifique
et spatiale. Et la conscience que nous avons sans cesse, de tous les évènements qui bousculent les sociétés, de tous les scandales qui surgissent sans cesse
sur notre globe terrestre, créent en nous une exigence éthique de dénoncer les
criminels, de sanctionner, de légiférer, d’intervenir pour secourir les hommes
qui souffrent de calamités naturelles, de désastres des guerres, de violences. Nous
avons créé les agences des Nations Unies, une cour de justice internationale,
nous oeuvrons pour la coopération Nord-Sud, Sud-Sud, des organisations
humanitaires «sans frontières». Cette conscience augmentée, c’est celle des
liens, celle de notre appartenance non plus seulement à une famille, à un
groupe social, à une nation, mais de façon inclusive à l’humanité, à l’humanité
entière, par-delà les diversités, les conflits, les déchirements, les
violences. Nous allons redécouvrir de plus en plus l’importance fondamentale,
fondatrice, des liens de solidarité, comme une morale qui prend pouvoir de
contrepoison politique face à l’anonymat dangereux des masses, aux
manipulations et aux fascismes qui peuvent en résulter, comme l’histoire
récente et l’expérience quotidienne nous le démontrent. Nous allons redécouvrir
le sens de la morale confucéenne, celle des liens sociaux, qui fait écho aux
liens des idéogrammes. Nous prendrons ainsi conscience de la nécessité d’une
éthique planétaire. Une éthique qui est la base de l’hyperhumanisme auquel nous
aspirons et qui deviendra plus importante que la technoscience elle-même comme
moteur d’évolution de notre espèce – et sans doute même pour sauver notre
planète et notre espèce de l’autodestruction. Je n’ai pas de doute que la
technoscience va poursuivre glorieusement son accélération, selon sa propre
logique de compétition intellectuelle, commerciale et politique. Je n’ai donc
pas d’inquiétude pour elle et il n’y a pas lieu de la défendre. Il n’en est pas
de même de la morale planétaire, qui a tant de mal à s’imposer dans les
esprits. Et si nous avons appris l’importance de contrôler démocratiquement et
de contester les abus de pouvoir de ceux qui nous gouvernent, nous prenons
aussi conscience de la nécessité de soutenir des institutions planétaires,
notamment celles des Nations-Unies, qui peuvent nous permettre d’établir une
meilleure gouvernance internationale. Nous appuierons de plus en plus vigoureusement
les organismes humanitaires qui mettent en œuvre nos exigences de solidarité.
Bref, nous militerons de plus en plus activement pour une éthique planétaire
qui cible notre salut collectif par le respect des liens qui nous unissent
chacun à chacun, par-delà les différences culturelles et identitaires. L’internet est un puissant outil de réseautage
planétaire, d’éducation, et de développement. Il a permis aux organisations
humanitaires d’augmenter spectaculairement leur capacité à promouvoir les droits
de l’homme, à dénoncer les violences humaines, à sauver des vies face à la
barbarie de certaines coutumes et gouvernements. L’internet joue un rôle
stratégique en faveur de l’information internationale, qui est une condition
essentielle d’un meilleur respect mutuel. Ce fut une vertu de Wikileaks de
permettre la démystification des hypocrisies gouvernementales. En ce
sens, le web n’est pas qu’un instrument, ni seulement une métaphore pour penser
le monde. Il devient aussi un laboratoire populaire, partagé, d’informations,
d’échanges, de solidarités, de conscience et d’innovation. La planète devient
un hypertexte. Les technologies numériques resserrent nos liens mutuels,
favorisent nos compréhensions réciproques. En évoquant une planète hyper, je
dis hyper tout à la fois pour souligner l’augmentation de la conscience
humaniste dont nous avons besoin et pour reconnaître l’importance des
hyperliens comme structures mentales, psychiques, cognitives et sociales de
notre espèce.
L’internet fait émerger de nouveaux comportements
humains. Il favorise la diversité culturelle, les échanges interculturels,
l’accès aux bibliothèques publiques et à la culture. Bien sûr, il y a aussi des
usages humains criminels de l’internet. Mais globalement le numérique est un outil
stratégique de progrès humain et de paix. Voilà une technologie binaire,
qu’on pourrait qualifier de triviale, et qui constitue pourtant une divergence
majeure en soi ; plus encore : constitutive de notre «conscience augmentée»,
que nous partageons comme membres de la même humanité, elle devient un outil de
progrès humain et finalement d’hyperhumanisme. En ce sens, e-Confucius
devient le symbole de notre e-planète, notre hyperplanète.