Dans la peinture romane, la
troisième dimension était l'ailleurs divin qu’évoquaient les auréoles dorées
des icônes et la lumière bleutée des vitraux. Il ne s'agissait que d'une
convention théologico-picturale, mais qui avait acquis un pouvoir évident de
suggestion. C’est l’ailleurs qui nous fascinait et nous détournait de la vie
matérielle.
Avec la Renaissance, l’humanité occidentale revient ici-bas
et invente en même temps le réalisme, l'humanisme et le rationalisme. À partir du Quattrocento, c'est par la perspective
euclidienne, que les artistes expriment la profondeur de l'espace terrestre,
que désormais les autorités religieuses leur demandent d’évoquer pour humaniser
la religion. Cette convention optique géométrique, tout aussi artificielle que
la précédente, est complétée par une tendance progressive au réalisme des
visages et des objets, par l'invention des ombres (antérieurement l'ombre
n'existait pas dans la peinture, si ce n'est pour évoquer le mal et le diable),
par la couleur locale (antérieurement les couleurs répondaient à un strict code
religieux symbolique), par la dynamique perceptive des couleurs chaudes (qui
rapprochent) et froides (qui éloignent), par le bleuté plus flou des lointains
(à cause de "l'épaisseur de l’air", disait Leonard de Vinci).
Aujourd'hui, c'est avec des logiciels que les infographistes construisent l’espace en trois dimensions. Les designers recourent en outre, comme les peintres de la Renaissance, à des astuces, telles que la dynamique de la lumière et des couleurs, les damiers ou les chemins frontaux qui rétrécissent avec l'éloignement. Comme la perspective euclidienne, ce 3D numérique est géométrique et simpliste. L'image demeure frontale et plate sur l'écran, et c’est le maniement de la souris ou de la console - ou sur l'écran tactile directement le doigt – qui augmente fortement notre sensation de manipulation physique de l'espace écranique. Autrement dit, le réalisme de ce 3D est manuel. Il doit autant à notre dynamique musculaire qu’aux algorithmes et au mouvement des polygones. Il est programmatiquement complexe et prétend nous étonner, mais demeure perceptivement pauvre : il ne fait qu’imiter les perceptions ordinaires de nos vies. Il n'y a rien là qu'une tentative banale de réalisme, et même la performance technique ne nous étonnera bientôt plus. Elle se réduira à une convention et à une utilité, comme dans les simulateurs de vol pour la formation des pilotes, dans l'enseignement de la chirurgie, dans la modélisation architecturale ou urbaine des professionnels, etc. On y perd le pouvoir évocateur de l’image, qui relève avant tout de l’imaginaire. Même la peinture à l’huile du cubisme de Gris, Braque ou Picasso suggérait plus que ces logiciels, car elle prenait en compte les paramètres psychologiques essentiels du regard, que souligne aussi la phénoménologie de la perception : l'intention, la mémoire, le désir, la peur, l'attente ou le projet. Nous voyons ce que nous recherchons et ne voyons pas ce qui nous est inutile ou indifférent. Ce qui est puissant dans la représentation de la troisième dimension, c'est ce dont nous avons besoin, ce que nous désirons ou dont nous avons peur.
Aujourd'hui, c'est avec des logiciels que les infographistes construisent l’espace en trois dimensions. Les designers recourent en outre, comme les peintres de la Renaissance, à des astuces, telles que la dynamique de la lumière et des couleurs, les damiers ou les chemins frontaux qui rétrécissent avec l'éloignement. Comme la perspective euclidienne, ce 3D numérique est géométrique et simpliste. L'image demeure frontale et plate sur l'écran, et c’est le maniement de la souris ou de la console - ou sur l'écran tactile directement le doigt – qui augmente fortement notre sensation de manipulation physique de l'espace écranique. Autrement dit, le réalisme de ce 3D est manuel. Il doit autant à notre dynamique musculaire qu’aux algorithmes et au mouvement des polygones. Il est programmatiquement complexe et prétend nous étonner, mais demeure perceptivement pauvre : il ne fait qu’imiter les perceptions ordinaires de nos vies. Il n'y a rien là qu'une tentative banale de réalisme, et même la performance technique ne nous étonnera bientôt plus. Elle se réduira à une convention et à une utilité, comme dans les simulateurs de vol pour la formation des pilotes, dans l'enseignement de la chirurgie, dans la modélisation architecturale ou urbaine des professionnels, etc. On y perd le pouvoir évocateur de l’image, qui relève avant tout de l’imaginaire. Même la peinture à l’huile du cubisme de Gris, Braque ou Picasso suggérait plus que ces logiciels, car elle prenait en compte les paramètres psychologiques essentiels du regard, que souligne aussi la phénoménologie de la perception : l'intention, la mémoire, le désir, la peur, l'attente ou le projet. Nous voyons ce que nous recherchons et ne voyons pas ce qui nous est inutile ou indifférent. Ce qui est puissant dans la représentation de la troisième dimension, c'est ce dont nous avons besoin, ce que nous désirons ou dont nous avons peur.
Le virtuel est beaucoup plus que cet espace en 3D des logiciels, qui
demeure trivial dans son imitation du réalisme ou dans sa performance
utilitaire. Ce que nous recherchons aujourd'hui dans le virtuel comme jadis
dans la religion, c’est moins une augmentation du réalisme que l'accès à un
ailleurs, à un imaginaire, qu'il soit magique, religieux ou numérique. En fait, le 3D du numérique réside beaucoup plus dans
la lumière bleutée des écrans cathodiques que dans la complexité des
logiciels. Ce 3D est un ailleurs
imaginaire, comme celui de la religion, qui nous attire, nous rassure ou nous
donne l'illusion d'obtenir des gratifications. Le virtuel est une nouvelle déclinaison
numérique de la foi religieuse et de l'idéalisme platonicien.
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