Même si les dictionnaires de langues étrangères nous rendent la vie plus facile, force est d'admettre que les mêmes mots dans les différentes langues, même s'il désignent les mêmes objets, les mêmes jours de la semaine, les mêmes animaux, ne renvoient pas aux mêmes idées, aux mêmes actions, aux mêmes imaginaires. D'ailleurs, ce ne sont pas les mêmes mots. Leur prononciation varie grandement d'une culture à une autre, leur étymologie fait image diversement. Et cela est vrai non seulement pour la diversité des langues et des cultures, mais aussi, comme la phénoménologie le montre, pour la diversité des individus.
Pourquoi? Parce que notre rapport au monde est toujours imaginaire, ou, comme j'aime le dire en mythanalyse, fabulatoire. Le langage parle de nous autant que du monde que nous disons extérieur, et qui ne l'est pas vraiment.
La pensée post-planétaire
Tandis que la préhistoire hante de plus en plus notre culture actuelle,* on nous parle aussi beaucoup ces temps-ci de trans- et de posthumanisme, de post-histoire, de post-rationalisme, de post-vérité, de post-démocratie... et en effet la science-fiction nous accoutume à cet environnement cinématographique. Nous envoyons des sondes spatiales vers les autres planètes du système solaire, nous préparons très concrètement des expéditions sur Mars. Nous découvrons des exo-planètes. Alors pourquoi pas voir émerger aussi une pensée post-planétaire. Et pourquoi pas, tant qu'à faire, une pensée exo-planétaire. Mais, ce qui nous fait encore le plus défaut, c'est manifestement de penser ce que deviendra la planète Terre lorsque nous serons tous devenus (au moins les riches nantis) des transhumains et des post humains. Quelle sera la relation que développeront ces anthropoïdes d'un nouveau genre avec la vieille nature naturelle, avec les animaux, les végétaux de notre planète, puis avec les minéraux des autres planètes sans vie. Sur Terre, sans doute, à supposer que notre planète survive aux entreprises humaines, n'y-aura-t-il alors plus d'oiseaux, ni de fleurs pour poser des questions métaphysiques aux cyborgs. Le problème sera réglé. D'autant plus qu'il n'y aura plus de pensée humaine. Seulement l'intelligence artificielle, qui saura résoudre toutes ces questions hypothétiques et créer des décors agréables aux circuits électroniques et aux humains quantiques que nous serons devenus. Quant aux humanoïdes qui auront migré sur Mars et autres planètes plus attirantes que la Terre, ils auront assurément fort à faire pour ne pas tomber en panne et n'auront de pensée post-planétaire que strictement technologique. La Terre est peut-être une vallée de larmes obsolète, mais la pensée post-planétaire risque fort d'être tout simplement cauchemado-pragmatique. Bel avenir post-planétaire en perspective, qui mériterait une pensée philosophique aigüe. La "pensée post-planétaire": un beau titre de livre aux éditions Vrin, librairie philosophie, Paris, qui auront alors déménagé leur siège social de La place de la Sorbonne au Square postsolaire de la Silicon Valley.
----------------* Voir l'exposition "Préhistoire: une énigme moderne" au Centre Pompidou, mai-septembre 32019.