tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.
lundi, avril 13, 2009
La dynamique constructive des rêves
Comment ne pas être interpellé par le désordre des rêves, qui surprennent sans cesse le dormeur. C’est bien notre cerveau, le même cerveau, qui improvise les story-board de nos rêves, ses effets de surprise et nos réactions d’acteur. D’où tient-il ce pouvoir évident de se prendre lui-même au dépourvu à chaque instant par des rencontres, des épisodes, des dénouements qui nous paraissent totalement inattendus, incongrus ou puissamment créatifs? Nous vivons nos rêves comme la vie, selon des scénarios qui surgissent sans préavis et auxquels nous tentons de nous adapter. Mais les rêves apparaissent encore plus indépendants de notre contrôle. Nous avons le sentiment qu’ils sont créés par un autre que nous-même, comme si le rêveur se dédoublait en un metteur en scène habile à nous surprendre et un acteur désemparé.
Sommes-nous aliénés à nous mêmes dans nos propres songes, manipulés par des esprits malins? Il ne faut pas s’étonner que la tradition humaine les ait donc souvent interprétés comme des messages des dieux, qui profitent de notre sommeil pour communiquer avec nous. Comment notre propre cerveau peut-il disposer d’une telle autonomie inventive par rapport à nous-même et inventer deux rôles simultanés? D’où tient-il cette dynamique infatigable de construction narrative? Comment se construit l’écart entre notre conscience de rêveur et les événements qui nous assaillent dans le sommeil?
Ces questions m’ont longtemps laissé sans réponse. Au-delà de la littérature ésotérique, je n’ai pas trouvé d'explication dans mes lectures. Mais j’ai toujours eu le sentiment que la compréhension de ce phénomène si étrange serait de grande importance pour analyser aussi notre fonctionnement cérébral diurne.
Et peut-être l’insistance que j’y ai mis a-t-elle favorisé une intense activité de rêveur, que je me suis plu à interrompre souvent par des réveils intempestifs qui me plongeaient chaque fois dans cette même stupeur : le sentiment absurde qu’un autre que moi-même se jouait malignement de moi dans mes rêves.
Les psychanalystes invoquent une syntaxe et des « logiques de l’inconscient », hétérogènes à notre logique rationnelle de vie diurne, qui fonctionneraient à notre insu dans le rêve, en fonction de notre mémoire, de nos inquiétudes, de nos désirs, et nous soumettraient donc à une rencontre onirique, voire à une confrontation avec nous-mêmes (moi et surmoi. Ils appuient donc leurs interprétations du subconscient sur le récit des rêves. Encore faut-il pouvoir expliquer la gestation cérébrale des rêves, son autonomie spontannéiste et ses effets de surprise conçus en amont et aux dépens de la conscience du dormeur. Devrait-on dire que lorsque le chat n'est pas là, les souris dansent?
L'apparente autonomie du rêve
Sans même recourir à une pratique clinique, plusieurs déductions s’imposent d’elles-mêmes.
La première, c’est que la conscience du rêveur ignore à quelles surprises le cerveau va le soumettre subrepticement. Autrement dit, la conscience humaine, de même que la mémoire ou la perception, dissimule, ignore ou censure beaucoup plus d’informations qu’elle n’en donne à connaître. Une conscience intégrale de tout ce qui entoure un être humain, une mémoire immédiate de tout ce qu’un être humain peut se rappeler, rendrait la vie impossible. On le sait : ne remonte à la conscience que ce qui est utile à la survie ou pertinent par rapport à la psyché. C’est manifestement ce même mécanisme de sélection et d’obturation de la conscience qui opère dans le rêve, mais beaucoup plus flexiblement.
La seconde déduction, c’est que les structures associatives et les règles syntaxiques de la conscience ont un pouvoir de construction du rêve beaucoup plus rapides et inventives que la conscience que nous en avons. Ce fonctionnement autonome est manifestement le même pour le cerveau que pour les autres organes du corps humain : le cœur, le foie, l’estomac, les poumons, etc. La gestation des idées, les connections qui se nouent, les conceptualisations qui se précisent en amont ou indépendamment de notre conscience sont non seulement sont très rapides, mais aussi beaucoup plus foisonnantes et multiples que le résiduel que nous en retenons. Nous sommes loin d’être conscients de toutes les idées, intuitions, associations d’idées et d’images que notre cerveau génère. À cet égard encore, les arguments d’utilité pour la survie ou de sélection selon nos intérêts psychiques prévalent.
La troisième déduction, c’est que les structures élémentaires d’association ou d’enchaînement des idées et d’agrégation des images constituent une matrice puissante du cerveau, en constant fonctionnement, à l’état de veille comme dans le sommeil, qui activent sans cesse des connections neuronales, que nous sélectionnons dans la vie diurne consciemment, et dans le rêve inconsciemment.
De ce moulin à images et à idées, mu par la centaine de milliards de neurones (10 puissance 11) stimulant les synapses du cerveau, notre conscience ne capte qu’un mince affleurement filtré par la grille sélective de nos besoins et de nos sentiments les plus immédiats. Toutes ces connections se sont construites durablement au moment où l’enfant élabore sa perception et son interprétation du monde. Elles sont donc élémentaires et puissantes comme une matrice biologique du cerveau humain. Le cerveau, comme nos autres organes, ne cesse de fonctionner, quasiment dans un état neurovégétatif, et de produire des milliers de connections synaptiques toujours disponibles pour être réactivées par la mémoire, par l’intelligence ou par le rêve. Ce bouillonnement souterrain – je choisis ici la métaphore de la profondeur – est puissant et chaotique, comme le continent irrationnel sur lequel surfe notre conscience diurne. C’est ce que nous suggère le processus du rêve. En recourant à une autre métaphore, celle de la lumière, je dirai que le rationnel est un léger glacis lumineux de la plus grande importance vitale, stratégique et humaniste sur un océan neuronal obscur et en constant remous.
La conscience ne sait pas qu'elle rêve
La quatrième déduction, c'est que face au surgissement des associations obscures d'images et d'idées que lui présente le cerveau, la conscience du rêveur se présente comme une conscience semi-diurne, comme un semi-éveil, favorisant le réflexe de tenter de reprendre le contrôle sur le spontanéisme pulsionnel, qui nous apparaît comme un désordre de connections existantes.
Allons plus loin. Le rêveur a le sentiment d'être éveillé. Sa conscience ne sait pas qu'il rêve lorsqu'il est confronté à diverses situations de routine, agréables ou cauchemardesques dans ses rêves. Comment est-il possible que la conscience se trompe elle-même? Comment se fait-il qu'elle soit à ce point trompée par l'irréalité du rêve? Faudrait-il croire que la conscience en veille soit elle-même trompée au même degré par la réalité et que la vie n'est qu'un rêve - ou un cauchemar? "Mords-moi pour que je sois sûr de ne pas rêver..." La différence entre le rêve et la réalité peut paraître infra-mince. Comment établir la distinction avec certitude? Cela semble impossible! Au coeur du rêve le rêveur croit tout autant que l'homme éveillé à la réalité de ses sensations, de ses émotions, des ses stratégies d'action. Les rétroactions et les surprises semblent tout aussi réelles dans les deux situations. Cette problématique a souvent été évoquée dans la littérature philosophiques aussi bien qu'onirique. On notera cependant que les émotions, les angoisses, si non les plaisirs sont plus forts, se bousculent à un rythme plus rapide dans le rêve que dans la réalité habituelle. Peut-être pourrait-on dire que dans le rêve les émotions créent une réalité plus intense, plus dramatique. Tandis que dans l'état de veille la réalité usuelle crée plus lentement des émotions. La gestation est inverse et son rythme différent.
Peut-on dire que ce qui distingue le rêve de la réalité ce serait la forte contrainte de la logique et la stabilité des perceptions dans la réalité ordinaire, alors que dans le rêve ordinaire la logique est constamment bousculée, surprise, dans des situations successives volatiles. Logique et stabilité seraient deux attributs usuels de la réalité, que le rêve ne respecte pas. Il y aurait finalement une différence de degré et non de nature entre l'éveil et le rêve? Comme dans le cas de la maladie mentale par rapport à la lucidité du principe de réalité? De l'effet d'une drogue par rapport la conscience "normale"?Nous savons bien que non. Mais en quoi finalement consiste cette différence et sa crédibilité? Quelles "normes" définissent la "normalité" et toutes ses variations? Devrait-on se résoudre à se contenter d'un descriptif? D'un cahier des charges? Le policier demande au conducteur dont il soupçonne l'ivresse de marcher sur une ligne droite. Ne peut-on pas faire mieux dans la distinction entre la conscience que nous avons de la réalité et la conscience qui croit son rêve réel?
Il y a là une problématique qui appelle à des recherches persévérantes.
L'écrivain Jean-Paul Rolland, en traitement dans un Centre de soins psychiatriques de La Chesnaye, près de Paris, écrit dans la Lettre à Mathilde, ou LA MAIN DE DIEU:
Je cherche l'escalier de marbre blanc et mon imagination fiévreuse monte pas à pas jusqu'au
premier étage; silencieusement j'ouvre les mille portes prestement...
QUELLE DÉCONVENUE !
Que les Indiennes sont frigides et peu loquaces, j'ai rencontré quelques entrejambes,
quelques formes intéressantes... mais tout ça n'étais pas sérieux... je cache encore quelques
dessins dans mes tiroirs de fabrication artisanale... *
L'auteur écrit, il choisit ses mots; il est conscient du pouvoir de son imagination et des mots qui en créent l'illusion. Mais ce sont des expériences réelles de situations irréelles qu'il évoque. Comment fait-il, comment faisons nous ce que nous pourrions appeler "la part des choses"? Peut-on comparer les mécanismes du rêve, ceux de la maladie mentale et ceux de l'intoxication par une drogue? Je n'en doute pas. Mais le rêve n'est pas l'effet du molécule chimique. La maladie mentale l'est-elle? Les psychiatres le pensent. Les psychanalystes non.
Ce sont là des observations et des questions de la plus grande importance sur le fonctionnement du cerveau humain.
Hervé Fischer
* Jean-Paul Rolland, La Lettre à Mathilde, ou LA MAIN DE DIEU, 2009, édition Petite Capitale, Paris, p. 116
Libellés :
activité cérébrale neurovégétative,
désordre,
irrationalisme,
rationalisme,
rêve,
synapses
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