tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

samedi, avril 30, 2011

Le corps sociologique

Gina Pane et Michel Journiac s'accordaient à souligner la dimension sociologique de l'art corporel, dont ils ont été les principaux représentants en France dans les années 1970. Il est vrai que François Pluchart, critique d'art engagé personnellement dans l'art corporel et fondateur du magazine ARTITUDES tendait à penser de même. Il a d'ailleurs soutenu avec beaucoup de détermination l'art sociologique. Nous voici donc ici, en 1974, chez lui à Saint-Jeannet, où il nous avait réunis pour débattre des liens que nous pourrions développer entre nos deux mouvements. J'étais très ouvert à l'idée. Cependant nous nous sommes rapprochés, souvent rencontrés, mais sans fusionner, préférant notre liberté d'action aux stratégies de pouvoir du micro milieu.
Il demeure que Gina Pane et Michel Journiac, à la différence de beaucoup d'autres artistes de l'art corporel aux Etats-Unis et en Europe, considéraient le corps comme un matériau social, intime et biographique, certes, mais surdéterminé par la culture et l'idéologie collectives. Et c'est pour cette raison qu'ils en firent aussi un matériau d'expression, dont nous pouvions partager socialement le langage, même selon ses inflexions les plus individualistes.
Le carré parental qui constitue la structure élémentaire de nos identités, est bâti sur les liens entre l'individu naissant, la mère, le père et l'autre - c'est-à-dire le langage social, comme l'a souligné Lacan. Art sociologique et art corporel étaient donc fondamentalement liés, encore plus liés que nous n'en avions conscience à l'époque. Et c'est pour cela, pour cette raison théorique, que je regrette aujourd'hui de n'avoir pas insisté pour nous rapprocher davantage. hf

vendredi, avril 29, 2011

Père et fille



Lors d'une signalisation imaginaire à Angoulême en 1980, j'ai multiplié dans la haute ville les écriteaux "Père" (flèche directionnelle) et "Fille" (rectangle), en les accolant souvent aux panneaux existants "Paris" et Angoulême", pour suggérer une projection du rapport familial "Père"/"Fille" sur les relations entre la capitale et une ville régionale de France.
Dans les grands carrefours routiers en bas de la ville, des panneaux isolés "Père" ont immanquablement été lus par des chauffeurs de gros camions de fruits et légumes se dirigeant vers la capitale comme l'indication à suivre pour rejoindre Paris. Comme ces panneaux "Père" conduisaient en fait vers la haute vielle ville d'Angoulême, ces poids-lourds ont rapidement bloqué les petites rues anciennes, créant un désordre inextricable. La police appelée au secours pour remettre les camions dans la bonne direction, eut beaucoup de mal à comprendre la cause et à remédier aux effets pervers de cette petite expérience pratique de mythanalyse.
hf

jeudi, avril 28, 2011

Art et mythe

Devant la façade du Museum Fredericianum où se tient régulièrement la Documenta de Kassel, en Allemagne, cet écriteau triangulaire jaune avec masque et gants de protection rappelle que l'art et les mythes sont une matière dangereuse, qu'on ne saurait manipuler sans protection. A vrai dire, ce sont les mythes, par leur puissance, qui peuvent être les plus redoutables et pernicieux, ou bénéfiques. L'art est puissant et il peut lui aussi changer le monde. Mais rarement en mal.
En cette années 1982, j'avais installé une cinquantaine de panneaux de ce type dans la ville de Kassel et organisé avec Klaus Staeck, Richard Martel et Horst Wegman un atelier franco-québéco-allemand sur l'engagement politique de l'art, qui se tenait précisément dans le grenier du musée, derrière ce fronton néoclassique.
hf

mercredi, avril 27, 2011

La divergence

Pourquoi ce besoin fondamental d'échapper à la permanence, à la stabilité, à la sécurité physique et mentale, et d'opter pour la divergence, son incertitude, ses risques physiques et mentaux. Qu'en espère-t-on de plus? Faut-il que nous ayons une si forte frustration au coeur même de notre condition humaine? C'est ce que j'ai tenté de démontrer dans CyberProméthée et dans La société sur le divan, éléments de mythanalyse.
La divergence est emblématique de notre instinct de puissance sur le monde. Présente au sein même des mécanismes d'évolution de la nature, elle est devenue le moteur, le symbole de notre évolution humaine, qui repose beaucoup plus sur la divergence que sur la simple adaptation.
C'est la divergence qui creuse l'écart entre l'animal humain et les autres espèces vivantes, beaucoup plus inertes et lentes que nous dans leur évolution.
L'homme diverge parce qu'il n'est jamais satisfait. Il veut du nouveau, plus de puissance. Tel est le troisième instinct. Freud à l'époque où il a vécu, n'aurait pas dû se limiter à Éros et Thanatos. Prométhée compte autant qu'Éros et plus que Thanatos.

mardi, avril 26, 2011

L'humanité


Ainsi soient-ils! (Acrylique sur toile, MNAV, Montevideo, Uruguay, 2004).

vendredi, avril 22, 2011

les sociétés ludiques

Nous vivons dans la société de l'information et du divertissement. Du moins est-ce ce qu'on raconte dans les pays riches, ceux où les industries du jeu vidéo et d'Hollywood ont beaucoup de succès, où Disneyland est en compétition avec Las Vegas. Et c'est en effet aux Etats-Unis, pas dans les pays pauvres, que sont nées les crises économiques et financières de 2000, puis de 2008. Nous serions enfin dans des sociétés ludiques... Des sociétés où l'on s'amuse dans l'irresponsabilité absolue des jeux électroniques où l'on peut tuer gratuitement sur écran cathodique, et parfois dans les écoles aussi ou dans les réunions publiques.
L'économie numérique s'est crue en apesanteur financière et sociale. Elle a largué les amarres qui la retenaient au réel et développé ses propres logiques ludiques. Les bourses internationales sont devenus de grands casinos où les spéculateurs jouent avec des jetons, des consoles et des robots calculateurs en temps accéléré.Le jeu serait devenu le meilleur moyen de gagner vite de l'argent: un véritable métier.Un travail stressant...
Nous avons connu depuis une dizaine d'années de plus en plus de cas graves de propagation du virus de l'économie imaginaire à l'échelle internationale. La souche origine cette fois des États-Unis. Elle s'est rapidement développée sous l'effet combiné de l'abus de déréglementation publique, du numérique et de la concupiscence humaine, qui ont régné sans retenue dans les salles de jeu des grandes Bourses américaines. Mais les banques européennes ont manifestement adopté elles aussi des pratiques à risque, qui ont favorisé la multiplication du virus à grande échelle. Il n'existe pas encore de vaccin et la recherche pour endiguer cette épidémie mondiale se heurte au refus évident des spéculateurs de changer leurs comportements et d'avaler les pilules que voudraient leur prescrire plusieurs gouvernements.
On pense confier ce dossier à l'Organisation mondiale de la santé, qui a su faire preuve de la plus grande énergie face à la grippe N1H1, sans céder ni à la panique, ni à la corruption.
Hervé Fischer

mercredi, avril 13, 2011

la mémoire iconise

La mémoire est certes une fonction vitale basique - nécessaire à la survie, comme on le constate dans la maladie d'Alzheimer -, mais elle est aussi le constant catalyseur de l'imaginaire, tant individuel que collectif. Elle est la clé qui donne un accès permanent aux mythes qui structurent notre organisation sociale, nos peurs, nos désirs, et les projets qui nous situent dans le monde. En quelque sorte, la mémoire joue un rôle nourricier incessant de notre psyché profonde autant que de notre énergie active à la surface des choses. Notre intégration bio-culturelle dans le processus éducatif parental et social où nous nous développons nous donne le sentiment qu'il y a deux mémoires: l'innée et l'acquise. Il est évident que le petit mammifère qui à peine né cherche la téton de sa mère n'en a pas encore la mémoire acquise, mais l'instinct biologique. Mais ce sont ensuite ses parents qui lui apprendront à se nourrir par l'exemple de leur propre comportement.
La mémoire est culturelle, sociale, collective autant qu'individuelle. Et nous pouvons observer qu'elle recherche des connexions neuronales, les sélectionne, les filtre, puis en condense ou iconise le contenu. Pour assurer son efficacité et nous permettre d'agir ou de réagir rapidement, il est nécessaire qu'elle structure et simplifie le magma de nos souvenirs, qu'elle en hiérarchise les éléments, qu'elle en organise les liens selon des associations utiles ou narratives, qu'elle crée des récits - des mythologies comme celle de l'Olympe ou de la Bible -, qu'elle personnifie ou hypostasie des comportements, des valeurs, des explications, des références selon lesquelles nous pouvons organiser les choses et notre rapport aux choses.
Et c'est pour cela que j'insiste constamment sur l'importance des icônes; pas seulement dans la religion bizantine ou dans la publicité, mais beaucoup plus généralement dans notre fonctionnement mental, dans notre vie quotidienne autant que dans nos élaborations littéraires, artistiques, philosophiques ou scientifiques. L'iconisation nous donne les briques de toute édification mentale. Mais bien plus encore: elle nous en impose les acteurs, les deus ex machina auxquels nous attribuons l'efficace de la Nature, de l'Economie, de la Fatalité, des causes, des idées, des concepts, des images, des dieux ou des chefs politiques, militaires, des stars de la culture, etc. Et c'est pour cela que la mythanalyse recherche dans le carré parental les structures élémentaires de l'imaginaire: le père, la mère, puis l'autre (la société)sont les premières causes de toute chose dans la cosmogonie infantile).
Le substrat de la pensée est iconique. Tout art est iconique. Je l'ai souligné dans "L'avenir de l'art", j'explore les icônes de l'âge du numérique dans ma peinture, dans le tweet art et dans la tweet philosophie. Il s'agit pour moi d'éclairer les icônes, de les montrer, non pour s'agenouiller devant elles, mais pour les démystifier.
hf

mardi, avril 12, 2011

le futur

Le futur est toujours dans le lointain. Mais il est une projection du présent. Même s'il est déterminé par le désir de changement, on voudrait que le futur ne perde pas la mémoire du passé. Penser le futur, c'est donc avant tout penser le présent, en s'y résignant ou en s'en distançant. Le futur colle au présent.
Et il est pétri de tristesse. Soit celle des tenants du "no future", qui sont désespérés, soit celle des insatisfaits du présent qui aspirent au changement. Mais au paradis terrestre, il n'y avait pas non plus de futur. Le bonheur, lorsqu'il est là, ne pense pas au changement, si ce n'est comme une menace de sa perte. L'ivre-mort qui chante en joyeuse compagnie ne pense pas à la mort, pas même au lendemain qui déchantera. C'est la conscience du malheur et de l'inachèvement qui inspire la pensée du futur. A quoi pensaient donc Adam et Ève en croquant la pomme? Au futur? Étaient-ils donc si frustrés ou insatisfaits de leur paradis éternel? La mythanalyse du futur nous renvoie-t-elle aujourd'hui à un désir de retour dans ce paradis originel? Ou dans un meilleur paradis?
hf

vendredi, avril 01, 2011

tweet philosphie

Bien entendu, on ne saurait dire que penser vite, c'est penser mieux! Le philosophe n'est pas un logiciel de Microsoft. La méditation se doit, bien au contraire, de prendre son temps. Alors comment justifier la valeur de la tweet philosophie? Penser en 140 caractères, est-ce une vertu philosophique? Voilà sans aucun doute un exercice difficile, mais qui n'exclut pas, bien au contraire, d'y avoir pensé longtemps avant de s'exprimer. La formule synthétique a ses vertus!
Le tweet philosophique n'est pas de la pensée rapide, superficielle et immédiate. Sa deuxième vertu est plutôt la rapidité et la facilité de diffusion, qui n'implique aucunement la vitesse de la pensée, ni de la formulation.
Alors pourquoi exclure la pensée philosophique de ce média électronique si efficace et stimulant? Aucune vertu philosophique ne le justifie.
En outre, il est important que la philosophie s'intéresse à l'age du numérique, à ses enjeux, ses structures et ses valeurs, sans la frilosité qui semble dominer. C'est pour ces raisons et pour l'efficacité symbolique du geste, que j'ai lancé la tweet philosophie. Actuellement, en ce mois de mars 2011, alors que nous célébrons le cinquième anniversaire de la création de twitter, on nous annonce 145 millions d'usagers de ce média à 145 caractères. Voilà un self média bref et puissant!
Hervé Fischer