tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

mercredi, août 27, 2014

Éros, Thanatos et Prométhée


Éros, Thanatos et Prométhé (détail), acrylique sur toile, 114 x 162 cm), 2012


Éros et Thanatos, les deux instincts premiers nommés par Freud, mènent le monde, mais non sans s’allier au 3e instinct, celui de puissance, que j’appelle Prométhée.

Éros and Thanatos
run the world, as Freud did show, but not without the 3rd instinct, the desire of power, whom l named Prometheus

Eros y
Tánatos gobiernan el mundo, como ha dicho Freud, pero en conjunción con el  tercer instinto fundamental, el del poder, que llamé Prometeo.

 Eros und Thanatos leiten die Welt, wie Freud es gezeigt hat, aber nicht ohne dem dritten Naturtrieb, dem für die Macht, den ich Prometheus genannt habe.


弗洛伊德提出的两大基本冲动,生之本能(eros)和死之本能(thanatos),统治着世界,但它们还结合了第三个本能,权力的本能,我称之为普罗米修斯。

dimanche, août 24, 2014

Le sommeil, comme régression fœtale (1)


Le sommeil, qu'on y aspire, qu'on s'abandonne délicieusement, qu'on le redoute comme un simulacre de mort, ou qu'on le recherche en vain, peut être interprété comme une régression fœtale.
Hors du contrôle de la veille, le psychisme archaïque y reprend ses droits et soumet le dormeur aux figures et aux liens synaptiques originels, ceux du carré parental de sa naissance, tout autant qu'à leur incarnation dans le décousu des événements marquants de sa vie adulte. Rêves et cauchemars peuvent donc se répéter d'une  nuit à l'autre, quasiment dans les mêmes séquences, ou se décliner diversement. Ces récits confus qui s'animent dans le sommeil sont la preuve même que les fabulations mythiques originelles qui ont marqué le psychisme de l'infans alors que le monde naissait à lui, sont demeurées inscrites dans son cerveau et sont même devenues les structures mêmes de son fonctionnement psychique. Ainsi s'explique aussi la pérennité de certaines figures, de certaines syntaxes fabulatoires qui vont résonner dans les mythes sociaux actuels et assurer leur puissance imaginative. C'est ainsi que se mêlent et se renforcent entre eux l'oubli et le refoulement des fabulations mythiques originelles et des traumatisme biographiques individuels qui exercent leur puissance dans la vie personnelle autant que sociale de chacun d'entre nous depuis la naissance jusqu'à la mort.
L'affaiblissement de l'état de veille et des contrôles qu'il exerce sur notre vie psychique, alors que nous nous endormons, redonne toute sa puissance au psychisme originel fœtal et postfœtal  (développé pendant les mois d'avant la naissance et pendant la première année de l'infans. Le sommeil est un rythme biologique, qui permet la réactivation régulière des fabulations originelles, livrées à elles-mêmes et nous à elles.

samedi, août 23, 2014

La naissance du chaos - le stade chaotique de l'infans


Le stade chaotique, peinture électronique, 2014

Le fœtus, lorsqu'il est accouché, quitte l'utérus maternel où il s'est développé en sécurité et qui a sans doute été un environnement doux et nourricier - du moins, c'est ce qu'on en prétend après coup -, et ce moment s'impose comme un arrachement douloureux qui peut évoquer l'expulsion du paradis terrestre. C'est le début de ce que j'appelle le stade chaotique du fœtus : une expérience confuse et redoutable de la naissance du chaos qui l'assaille et qui semble menacer sa vie. Les experts postulent qu'il ne distingue pas encore son corps de ce chaos naissant et il est donc soumis à un ensemble de sensations et d'anxiétés intenses, qu'il interprète selon des fabulations émotives de frayeur, qui demeureront inscrites dans sa mémoire originelle du monde qui vient à lui.
Ce stade chaotique, celui de l'angoisse existentielle première, se retrouve dans la plupart des mythologies anciennes, et se répète avec chaque accouchement, aujourd'hui comme toujours. Il faudra des mois pour que l'infans construise un cosmos apaisé et repousse la confusion de cette première étape. Mais cette angoisse resurgira à toute occasion anxiogène de la vie infantile puis adulte. Les figures de cette noirceur, et le désordre de ces fabulations confuses s'incarneront dans les récits de démons, d'apocalypses et autres grandes peurs de la vie individuelle et collective, jusque dans l'inconscient social actuel.

mercredi, août 20, 2014

En bicyclette dans le cybermonde


En bicyclette dans le cyberespace, Biking in the cyberspace, Con bicicleta en el cibermundo, Im Cyberspace Rad fahren, acrylique sur toile, 122 x 183 cm, 2012

Nous migrons dans le cybermonde, qui nous devient familier, mais comme un espace d’évasion plus attrayant, à la fois plus puissant et plus humain que le monde réel. Étrange!
We escape into the cyberworld, which becomes to us more familiar than the real world, more attractive, more powerful and even more humanIsn’t it strange?
Escaparemos en el cibermundo, más atractivo, más poderoso, hasta más humano que la realidad. ¡ Extraño ¡
Wir fliehen in die Cyberwelt, die uns attraktiver, mächtiger und sogar menschlicher scheint.Ist es nicht merkwürdig?

我们在已经熟知的网络空间中游走,网络空间是一个更加吸引人的消遣空间,比真实世界更加强大、更加人性。奇怪!

vendredi, août 15, 2014

Les concepts d'«oubli» en mythanalyse et de «refoulement» en psychanalyse

La mythanalyse postule que les mythes sont des récits sociaux inventés qui réactivent dans l'inconscient collectif des expériences biologiques  fabulées par l'infans au stade fœtal, pendant et après l'accouchement, et qui ont structuré notre psychisme au moment où il était le plus plastique et réceptif, mais que nous avons oubliées.
La psychanalyse postule que chaque individu a refoulé dans son inconscient personnel la mémoire d'événements traumatiques, dont il ne supportait pas le souvenir, avec l'illusion, ainsi, d'en ignorer la souffrance.
La mythanalyse considère tous les mythes, positifs aussi bien que toxiques, tandis que la psychanalyse est principalement tournée vers la pathologie psychique et la douleur, comme la médecine occidentale en général. Mais les deux approches se basent toutes deux sur un enfouissement dans l'inconscient de souvenirs structurants. La psychanalyse travaille donc au niveau biographique et tente de ramener à la conscience individuelle ces événements marquants pour en libérer le patient, tandis que la mythanalyse travaille sur les récits collectifs, les mythes, les métaphores du langage, les rituels sociaux, les valeurs idéologiques et leurs variations sociohistoriques pour se centrer sur l'actualité des mythes sociaux. Et elle se risque aussi à envisager une thérapie mythanalytique des inconscients collectifs, du fait qu'elle démystifie les mythes et les évalue, les jugeant positifs ou négatifs, porteurs d'espoir ou toxiques.
Plusieurs questions surgissent alors, qui demandent toute notre attention.
La première vise à élucider et comparer les processus d'oubli et de refoulement. Dans les deux cas, nous sommes renvoyés à l'inconscient, individuel ou collectif. Mais le refoulement est fondé sur le désir personnel d'ignorer les faits biographiques marquants dont la mémoire nous ferait souffrir, tandis que l'oubli est dû au fait que les figures et fabulations de la matrice familiale ont été constitutifs des structures mêmes selon lesquelles le psychisme va désormais fonctionner. Les poètes qui inventent les mythes réincarnent  les acteurs mêmes du carré familial dans les grandes figures mythiques qu'ils mettent en scène et construisent  la dramaturgie de leurs récits selon la structure même des fabulations de l'infans quand le monde naît à lui. En d'autres termes, ils réinvent et  célèbrent ce que nous avions oublié, mais qui a été le mode même de fabulation dans lequel notre psychisme s'est formaté et qui est demeuré la structure de notre inconscient. Cet inconscient est collectif parce qu'il est le même sociohistoriquement pour tous dans une société et à une époque donnée, du fait de l'influence de l'autre dans le carré familial, qui a formaté la structure du carré parental, dicté les rôles et les rituels parentaux, les valeurs sociofamiliales. Les variations existent certes,du point de vue sociologique et psychiques, mais elles demeurent secondaires par rapport au fonds commun.
La deuxième question concerne le lien entre inconscient collectif et inconscient individuel. Sans doute peut-on estimer que premier se constitue en amont du second, dès la vie foetale et la fabulation du monde qui naît à l'infans, tandis que le second résulte des événements de la prime enfance. Mais ils entrent certainement en résonance du fait des caractéristiques sociologiques et donc fabulatoires communes à chaque société. L'inconscient individuel est un écho individualisé de l'inconscient collectif. Ils ont la même origine sociobiologique spécifique sociohistoriquement à chaque société: famille indivise, famille conjugale, vie rurale ou urbaine, valeurs religieuses ou libertaires, collectivisme ou individualisme, temps de crise ou de paix, solidarité organique ou mécanique, atomisation sociale de masse ou proximité tribale, croyances religieuses, magiques, polythéistes ou monothéistes, ou athées et matérialistes, etc. Tout y est, tout s'y retrouve.
La troisième question concerne la thérapie psychanalytique et ses liens avec la thérapie mythanalytique. Il s'agit là d'un domaine de recherche d'une grande difficulté. Groddeck s'y est aventuré avec sa recherche sur «la maladie, l'art et le symbole». Georges Mendel dans cette pratique persévérante qu'il a appelée la «sociopsychanalyse». Tobie Nathan a développé une ethnopsychanalyse fascinante. Nous avons cherché une voie personnelle avec l'art sociologique et le mythe art. Nous pensons possible de se libérer d'une névrose familiale en se risquant dans une pratique sociale audacieuse qui se fonde sur l'activation élucidatrice d'un questionnement  collectif ou interactif. Nous en avons fait personnellement l'expérience avec un certain succès et en avons parlé dans «La société sur le divan» (1).
Ce ne sont là que des notes de travail préliminaire, mais que la mythanalyse se doit de poursuivre.
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(1) On pourra consulter aussi :
mythanalyse.blogspot.com/.../une-therapie-mythanalytique-est-elle.html
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·       Ou la mythanalyse se limite-t-elle à une science humaine des imaginaires ... Le principe d'une thérapie mythanalytique consiste à mener un ...
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jeudi, août 14, 2014

Le sexe ombilical


Nos pratiques sexuelles sont des réactivations obsessionnelles du lien ombilical qui a été coupé à la naissance.Tant pour la femme que pour l'homme, le lien sexuel, la chaleur qu'il génère par le frottement répétitif et l'afflux du sang, la congestion de la vulve et du pénis, le spasme orgasmique qui en garantit l'accomplissement sont des pulsions et des gestes biologiques, rehaussés par la puissance du psychisme, qui reproduisent physiquement et symboliquement le lien ombilical originel de chaque être humain. On en attend l'apaisement d'un manque, d'une solitude biologique. C'est pourquoi il est au cœur des mythes tout autant que de nos inconscients individuels et prend la force impérative d'une pulsion psychique, parfois violente. Promenades main dans la main, caresses, effleurements, collage, attouchements, baisers profonds, érotisme, frottements, massages, masturbations, excitation des organes génitaux, échanges de fluides, pénétrations, exhibitionnisme, voyeurisme, pornographie généralisée, gadgets sexuels, bordels, métaphores quasi explicites, productions culturelles, rituels sociaux multiples, sont autant de réactivations individuelles et collectives de cette nostalgie fœtale qui nous obsède, autant de répétitions inversées de l'accouchement, qui tendent à en nier la séparation en refusionnant notre corps avec le corps maternel originel et à restaurer le lien organique des entrailles biologiques où nous avons été créés, où nous nous sommes développés, où nous avons connu neuf mois de chaleur originelle dont nous rêvons encore inconsciemment.  Et le comportement qu'il suggère devient même pathologique dans bien des cas.
Ce lien ombilical, qui est tout autant la vulve que le pénis, trouve aussi satisfaction à un niveau plus léger,mais non moins significatif, dans les rituels sociaux, embrassades, accolades, et même dans les rites alimentaires, de danse, dans les séductions multiples à caractère érotique discret ou provoquant.
L'obsession du sexe est biologique et devient chez l'adulte une pulsion psychique qui tourne éventuellement à des excès pathologiques, tant le plaisir qu'elle promet est celui d'une réunion paradisiaque avec l'utérus originel, dont nous supportons parfois très mal d'être séparés, au point d'en devenir mentalement malades. Freud avait pris la mesure de cette douleur, de cette pathologie, tant au niveau biologique que symbolique. Mais il ne faut pas en faire à notre tour, comme dans son cas, une obsession. Il faut nous en défendre, pour assumer notre autonomie psychique, même si elle demeure toujours une conquête impossible de la liberté que nous revendiquons comme être humains, comme adultes sortis de notre âge infantile, et du pouvoir de création qui vient avec cette conscience de notre liberté. Nous demeurons toujours des enfants qui fabulons le monde et nos vies. Mais il nous faut lutter aussi sans cesse pour nous accomplir comme êtres humains autonomes, qui ne crieront pas «maman» au moment de leur mort, et qui voulons poursuivre notre création dans la meilleure plénitude de nos capacités.

mercredi, août 13, 2014

la nostalgie fœtale: un concept fondamental de la mythanalyse


Ce concept de «nostalgie fœtale» est certainement l'un des plus opératoires de la mythanalyse. Il est au cœur de nos mythes, de nos inconscients aussi bien individuels que collectifs. Nous gardons tous de notre formation fœtale et de la sécurité du ventre maternel une nostalgie définitive. Ces neuf premiers mois de vie dans la chaleur et la douceur utérine n'auront jamais plus leur équivalent. Ils ont précédé une séparation brutale et douloureuse  Et toujours, dans la fusion amoureuse, dans la quête sexuelle et son plaisir qui occupe tant notre esprit, dans notre désir d'intégration au corps social selon de multiples déclinaisons, dans nos recherches d'amis sur les réseaux sociaux, dans nos rituels familiaux, embrassades, accolades, baisers, recherche de chaleur humaine, affective, dans nos rituels sociaux, messes, cérémonies, adoubements, nous reproduisons et répétons, parfois obsessionnellement, des gestes qui ne sauraient s'expliquer sans cette nostalgie fœtale. Nous imaginons a posteriori ce premier lieu de vie comme un paradis terrestre dont nous avons été chassés. Car c'est bien aussi dans cette nostalgie fœtale qu'il faut chercher le fondement le plus déterminant du mythe biblique de cette première étape de vie d'Adam et Ève au lendemain de la création divine. Et c'est encore à ce paradis éternel qu'aspirent les croyants après leur mort, au point de pratiquer leur religion et une vie pieuse et austère dans cet espoir. Même les rites anthropophagiques, celui de la messe catholique, qui nous offre de manger et boire le corps du Christ dans la communion, et tant d'autres rites anciens, magiques, de sectes innombrables, appellent à cette interprétation d' une célébration apaisée de la nostalgie fœtale.
Inversement, l'exil, le rejet social apparaissent comme des sanctions et des souffrances difficiles à supporter, qui réactivent la douleur physique et psychique de l'accouchement dont nous gardons inconsciemment  la mémoire pour toujours.

mardi, août 12, 2014

Art et mythe - Documenta 7, Kassel


100 Kunst Mythos Wegweiser in Kassel, im Rahmen der Documenta 7. Hier auf dem Bild vor dem Fredericianum (1982) -  100 Art and Myth signs in Kassel on the occasion of the Documenta 7. Hier in front of the Fredericianum (1982)

Dieser Verhältnis zwischen Kunst und Mythos vorsichtig beachten. Er ist radioaktiv, und nicht ohne Handschuen und Schutzmaske zu betätigen.

The link between Art and Mythos should be prudently considered. It is radioactive, not without protection gloves and mask to be activated.

El vínculo entre arte y mito tiene que considerarse con prudencia. Esta radioactivo. Nunca avivar sine guantes y mascara de protección.

Le lien entre art et mythe doit être abordé avec prudence. Il est radioactif. Éviter toute activation sans gants et masque de protection.

lundi, août 11, 2014

«Mythologies du futur»: entrevue avec Christian Gatard


Entrevue avec Christian Gatard

Questions d’Hervé Fischer :

Votre nouveau livre, Mythologies du futur, que vous avez publié aux éditions L’Archipel, en France, dans la collection « Géographie du futur » que vous dirigez,  me fait penser à un nouveau voyage de Marco Polo au pays du « Mythistan », où vous avez mené une enquête que vous qualifiez de «  buissonnière ». Pouvez-vous préciser votre méthodologie ?
Concrètement je fonctionne avec une sorte de dispositif que je complète et que j’enrichis en permanence. Voyager, écrire, entrer en conversation.  Mes terrains d’étude sont des exercices hautement impliquant pour aller voir de près ce qui se passe,  mes livres sont des pauses pour essayer de mieux comprendre les mutations en cours, et les conférences que je propose sont des sources d’inspiration. Aussi, je voyage dans le monde entier en permanence.  C’est une grande chance. Je mène des missions d’étude pour de nombreuses entreprises, un  travail essentiellement centré sur l’analyse psychosociologique des groupes humains. J’ai la chance de pouvoir m’exprimer devant de nombreux publics et échanger avec eux. Or j’insiste : c’est en écoutant les gens qu’il y a le plus à apprendre du devenir du monde. C’est aussi vrai d’un groupe de citoyens lambda en Chine ou au Togo que d’une audience grand public à la Gaité lyrique à Paris que d’un parterre d’hommes d’affaires à Tanger.
Ma démarche est en décalage avec l’Académie. Je suis toujours un peu étonné quand je reçois un courrier de lecteurs universitaires qui apprécient mon travail et adhèrent à ma démarche. (C’est que je dois avoir une idée assez fausse de l’Académie.) Je pratique sorte de gonzosociologie aux prises avec le siècle. C’est très subjectif, très immersif, souvent intense. Tout contact est toujours une expérience à partager. Un signal faible qui ne brûle pas les doigts ne doit pas signaler grand chose….
Il faut surfer sur la lave des textes, des livres, des pays, des cultures et des gens, surtout des gens. Je dis la lave. Ce qui m’intéresse, c’est le feu, les braises. Les signaux faibles sont des braises. C’est presque comme ce jeu « tu brûles /tu es glacé » selon qu’on se rapproche ou s’éloigne de l’objet caché. Quelque chose me dit qu’il y a ici ou là des escarbilles incandescentes et qu’en soufflant dessus le futur s’y enflammera.

Est-il juste de vous voir comme un cartographe des imaginaires actuels ?
C’est une expression que je reprendrais volontiers à mon compte. A y réfléchir un peu je crois que tous mes livres se sont emparés de cette idée à leur manière : j’ai écrit des romans qui s’inspiraient de réalisme fantastique, des livres sur l’art qui déjà flirtaient avec ce concept de voyage dans les territoires de l’imaginaire. Tout cela préparait mon travail et cette démarche de recherche actuelle que je viens de vous expliquer.
Mon approche de la prospective se situe entre l’intérêt culturel (prendre de l’avance sur l’avenir, s’y préparer) et le légendaire (comprendre les rouages profonds de l’histoire des hommes, interroger les mythes, émouvoir, repérer notre place dans la longue durée).
Je m’intéresse à « l’horizon des attentes », c’est à dire  à des scenarios dont on perçoit dès aujourd’hui les prémices. C’est un futur proche, parfois déjà là, parfois dans un horizon plus lointain mais qu’on sent en devenir. On  peut, pour partie, prolonger les courbes du présent.  Pour partie seulement car le futur nous réserve aussi des surprises de taille. Il faut donc être vigilant. Le suspense est en embuscade.

Vous laisser souvent apparaître un fond d’optimisme qui vous incite à dénoncer des excès de pensée apocalyptique, si fréquents dans la pensée actuelle. Est-ce votre instinct de survie, par des temps difficiles ?
Je suis un indécrottable optimiste, oui.
Sans être niais !  La mode est à une description apocalyptique du futur. C’est la mode du jour, pas celle de demain, pas la mienne. Je ne crois pas aux dystopies annoncées. La dystopie s'oppose à l'utopie : au lieu de présenter un monde parfait, la dystopie propose le pire qui soit. Pas mon genre, pas ma tasse de thé. Mon approche est plus « créative» qu’ « académique ». Pour autant je ne suis pas le seul, bien entendu, à prôner une vision positive de l’avenir.
Pour répondre plus directement à votre question, ce n’est pas tellement de mon propre instinct de survie qu’il s’agit mais plutôt celui de nous tous. Je ne fais que traduire ce qui se trame dans les couches profondes de la conscience humaine. Les chantres de l’apocalypse travaillent à un niveau beaucoup trop superficiel.

Mais mentionnant votre Plan C, vous écrivez aussi : Où croyez-vous qu’il soit, sinon dans le regard que je porte sur mon propre visage, sur sa lente désagrégation, sur son destin ultime de défiguration ? Comment vous situer ?
Sur un promontoire largement fréquenté par des gens très bien qui savent qu’au delà de la déconfiture du monde et de sa cruauté il y a la joie de l’existence même, la certitude que la vie vibre et se renouvelle en permanence.

Vous semblez vous refuser à des jugements catégoriques, respectant chacun, aimant rencontrer tous les hamans, mais il semble que vous explorez un Mythistan pris dans un brouillard mythologique épais, qui ne laisse apparaître aucun relief dominant, aucune figure phare. Vous mentionnez   les plans A, B et C,  des options, ou des tendances tout en questionnant chaque fois les certitudes. Vous demeurez le plus souvent un sceptique et parfois un démystificateur satirique. Et vous semblez y prendre un immense plaisir. Etes-vous un mythanalyste postmoderne, comme semble l’accréditer la préface de Michel Maffesoli ?
Dans Mythologies du Futur je dis d’abord que les mythes sont des récits que l’humanité se raconte pour affronter les temps difficiles. Il y a toujours eu des temps difficiles et il semble que tout le monde de tout temps ait pensé que le futur serait difficile. Dans le plan A on invente des religions et on s’indigne de l’état du monde. Ça tient lieu de mythologie. On essaie de se tenir les coudes pour ne pas chavirer dans les mers déchaînées. On ne sait pas où on va, ni comment, mais on y va ensemble. On coule ensemble. Ça n’est pas une solution.
Dans le plan B on découvre qu’on a écrit des choses très intelligentes, très belles sur l’avenir de l’humanité. Les mythes en question sont superbes, grandioses, émouvants. Ils expliquent tout. Ils viennent des Grecs, des Romains, des Egyptiens, des Scandinaves ou des Amérindiens. Il ne leur manque qu’une chose : le mode d’emploi pour soi, ici et maintenant.
D’où le plan C.
Celui qui commence par la question : et moi là dedans ? c’est le what’s in it for me ? Un peu charité bien ordonnée commence par soi même. Si on veut avancer il faut s’impliquer, comprendre qu’on fait partie pleinement de l’histoire de l’espèce humaine… avec des droits et des devoirs comme dirait le politiquement correct actuel… mais c’est sans doute un peu ça. Le plan C c’est de se confronter soi-même aux grands récits qui se construisent… C’est ce que j’essaie de faire toucher du doigt dans mon bouquin. J’essaie de le faire sans trop me prendre au sérieux, ni prendre le monde trop au sérieux, avec cette position fabuleuse du trickster, ce fripon divin, ce petit dieu qu’on rencontre dans toutes les  mythologies et qui est l’empêcheur de tourner en rond à la fois méchant et tendre…Le trickster a le rire puissant.
Alors suis-je un mythanalyste post-moderne ?
Je n’en sais rien mais je suis sûr d’une chose : cette notion de post-modernité me paraît aujourd’hui assez dépassée. Et pourtant j’ai beaucoup de tendresse pour Maffesoli qui m’a offert une superbe préface alors que je le taquine pas mal dans le chapitre sur son nœud papillon dans mon livre et qu’il a en brillamment inauguré la soirée de lancement. Le concept de post-modernité – dans sa formulation même – laisse entendre que notre époque soi-disant post-moderne ne serait que la fin de la précédente, la fin de quelque chose sans visibilité sur la nouvelle. Le concept de post-modernité ferme. Il est temps de penser ouverture, renaissance, nouveau souffle.

Vous semblez cependant prendre parti à bien des reprises, dénonçant par exemple « le monde qui est cruel et injuste » (p.158).
Bien sûr ! Le monde est cruel et injuste. Mais s’il faut être inquiet, il ne faut pas pour autant faire attendre le poulet rôti et le vin clair…

Il y a dans ce voyage au pays de l’imaginaire une grande liberté de pensée, mais aussi une part intimiste, où vous vous mettez en scène personnellement dans vos rencontres et beaucoup d’empathie. Pouvez-vous préciser quel est l’engagement émotif ou personnel qui a motivé ce voyage au grand cours ?
C’est l’application du Plan C, d’une façon résolue, engagée, entêtée.

Vous racontez nos rencontres de la Ligue des mythologues extraordinaires et semblez donner du crédit à l’idée de mythanalyse et d’une Société internationale de mythanalyse que j’y ai proposée. Dans votre livre, vous demeurez toujours sur vos gardes, avec raison. Je suis moi-même relativiste, comme vous et comme Michel Maffesoli le revendique aussi. Mais seriez-vous prêt, à partir de votre posture buissonnière, à contribuer  à la construction plus théorique à laquelle je m’attelle avec la mythanalyse ?
Oui. J
 Et pour aller plus loin j’aime bien l’idée de renouveler l’idée même de construction théorique. Chaque épisode de notre réflexion/construction de ce que peut être la mythanalyse pourrait faire l’objet d’une performance à la fois artistique, littéraire et sociologique. Il nous faut imaginer une mise en scène/mise en mots – dans un lieu ludique et festif… des rendez-vous dans le monde réel où vont pouvoir fusionner nos textes, nos créations, nos mythes…
Je planche sur tout ça et vous en parle bientôt.



dimanche, août 10, 2014

Prometheus,the Devil and the mythanalyst


Prometheus, the Devil and the mythanalyst, acrylic on canvas, 114 x 162 cm, 2013
When Prometheus meets the Devil, the mythanalyst creates the storytelling and the music. It is about rebellion against Zeus and God in favor of humankind’s consciousness, creativity and freedom. They question if it will be successful or end badly. (Updating old myths). 

mercredi, août 06, 2014

L'angoisse existentielle première


Nous sommes tous hantés, chaque homme, chaque femme, sans doute sans exception aucune, est hanté par toutes sortes de démons qui l'assaillent dans son sommeil, si non dans sa vie diurne et "réelle". Ils sont dissimulés dans les replis de la psyché. Ils sortent la nuit, provoquant nos cauchemars. Ils sortent le jour et excitent nos instincts primaires, individuellement, ou dans des mouvements de foule, se battent par groupes humains interposés, violent, assassinent, torturent, bombardent à qui mieux mieux.
Enfant, j'avais peur du noir et du bruit de la chasse d'eau, j'avais peur des ombres et des lueurs qui passaient à travers les barreaux de la fenêtre. D'où venaient-ils, ces "voleurs", ces "méchants" qui me cherchaient ? De la guerre ? De l'étrangeté du monde ?
Un vieux proverbe chinois dit que "la violence ne règle aucun problème". On imagine les effets pervers et durables de la guerre actuelle sur les enfants arabes du Proche-Orient. On imagine les terreurs persistantes des enfants haïtiens depuis le terrible tremblement de terre de 2010. Mais nul n'échappe, même le plus protégé des enfants, aux cauchemars qui libèrent les démons.
Nous les retrouvons aussi au cœur des mythes et des inconscients collectifs, dans toutes les religions, dans toutes les cultures. Et même dans les tentations des Saints dont nous parle l'Eglise. Ni bon, ni méchant, homme ordinaire, moi-même, je ne leur échappe pas souvent, même aujourd'hui, à 72 ans. Ils sont dans mon inconscient refoulé, dans ma névrose familiale, dans la mythanalyse à laquelle je consacre tant de travail avec l'espoir de m'en libérer. Car c'est bien le harcèlement répété des démons qui m'a motivé à m'engager dans cette aventure intellectuelle, que je poursuis avec l'espoir de chasser ces ombres qui me poursuivent. Seule la lumière les fait disparaître de mes nuits tourmentées; et c'est la lucidité que je recherche dans la mythanalyse. Les nuits étoilées me fascinent par la spiritualité qu'elles appellent. Les nuits noires respirent le mal qu'habitent les démons.
La mort est-elle une nuit noire? Beaucoup d'humains le craignent. Et les croyants espèrent voir alors apparaître cette grande lumière dans laquelle la mort semble les accueillir.
Ni le bien, ni le mal ne sont des dieux ni des démons. Entre le bien et le mal, il n'y a rien d'autre que la nature, la matière. Devrais-je en faire aussi un dieu ou un démon ? La mythanalyse répond non. Et elle explique la puissance du bien et du mal par les émotions que nous avons ressenties et les fabulations que nous avons inventées dans la matrice familiale, entre la mère et le père, dans la situation d'extrême angoisse existentielle première et biologique que nous éprouvions lorsque le monde naissait à nous. Et avec lui, tous les démons du monde. Nous ne surmontons jamais cette insécurité initiale.

vendredi, août 01, 2014

Lien, seuil et divergence


A l'âge du numérique nous développons la métaphore des réseaux en liens. Nous configurons notre pensée par associations, nous interprétons la nature comme un hypertexte. La rationalité construite par liens, y compris,mais non seulement par causalité linéaire établit des relations de sens, qui supposent que nous sommes dans une cohérence.
A l'opposé, comment se construit une incohérence ou une rupture ? Comment penser et nommer l'opposé des liens ? Rupture? Rejet ? Un aimant comporte deux pôles, l'un positif et l'autre négatif. Et conséquemment une attraction et un «repoussoir».
Nous élaborons beaucoup sur la notion de lien, mais l'univers doit pouvoir se penser aussi par ruptures, catastrophe, rejet, divergence, qui n'implique pas nécessairement une situation de chaos. Voilà la question que nous voulons aborder.
Le concept de liens nous vient de la sphère familiale et amicale: les liens humains. Et nous avons élargi ce mode de pensée à la société et à la connaissance en général, notamment à la logique (qui demeure, selon la mythanalyse, d'origine familiale/familière). Nous rejoignons implicitement la civilisation chinoise qui se fonde sur l'harmonie de la nature et de la société, dont l'empereur est personnellement responsable et qu'a orchestrée Confucius. Pourtant, tous les liens ne sont pas nécessairement harmonieux. Il y a aussi des rivalités, des hostilités, des combats, des guerres, des crimes, qui constituent des déclinaisons des liens; nous devons prendre en compte une dramaturgie des liens qui inclut les liens négatifs, les tensions destructrices.
La pensée en arabesque ne configure pas seulement des formes harmonieuses, mais prend en compte aussi bien des tensions et des conflits.
Nous faisons l'expérience, notamment dans nos cauchemars, par nature "décousus", il est vrai, mais aussi dans la vie réelle de menaces; Nous cherchons alors à créer une protection contre ces menaces, à fermer une porte devant des personnes menaçantes et à consolider cette séparation. Dans la sphère de la morale comme dans l'inconscient, nous instituons un seuil, qu'il ne faut pas franchir, transgresser ou qui sépare deux espaces, celui qui est normal ou protégé de celui qui nous menace ou qui est sacré. Un seuil est à la fois un lien et une rupture, un lieu de passage entre deux espaces, qui peut ou non se franchir, tandis qu'un lien est constitutif de proximité, de contact et, par définition ne peut se franchir, puisqu'au contraire il lie, réunit déjà.
Bref, nous avons beaucoup pensé et célébré le lien. Mais il nous faut aussi apprendre à formuler, nommer et penser le "non-lien". A moins de choisir d'en nier totalement l'existence, ce qui va à l'encontre de la structure même de la pensée binaire . Sans doute excessivement. Car dire que tout est lien, que tout est lié, c'est ne plus rien dire qui en vaille la peine. C'est ne plus penser distinctement. Notre prochain livre sur "la loi de la divergence" tente précisément de penser cette problématique. Peut-être devrions-nous opposer lien et divergence, plutôt que lien et seuil.
L'accouchement du nouveau-né est l'exemple même, et sans doute plus que cela: le fondement de cette dialectique entre lien, seuil et rupture. La vie et la psyché elle-même se structurent selon ce double mouvement de lien (ombilical à la mère), de seuil (l'accouchement) et de rupture: la construction de l'autonomie. Il faut revenir à cette expérience matricielle pour penser cette dynamique divergente.