tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

mercredi, avril 15, 2015

Le Mythos précède et englobe le Logos


La pensée grecque antique a dégagé progressivement le Logos, comme pensée juste, réelle, pragmatique, exacte du Mythos, la pensée imaginaire. A l'origine, mythos et logos étaient d'égale valeur, indissociables pour constituer la pensée. Aujourd'hui, l'usage courant est d'opposer le mythe, considéré comme pensée fausse typique, et le langage de la raison qui recherche la vérité.
Les mythographes ont souvent proposé l'idée selon laquelle les mythes seraient un mode opératoire pour penser et tenter de résoudre les contradictions que la pensée rationnelle ne parvient pas à concilier. Pour Gilbert Durand, un mythe réconcilie "les antithèses et les contradictions traumatisantes ou simplement embarrassantes sur le plan existentiel". Bien qu'on doive à Gilbert Durand une véritable réhabilitation de l'imaginaire par rapport à l'ostracisme qu'avait imposé le rationalisme classique, il n'en demeure pas moins que le mythe apparaît encore ainsi comme un mode de pensée de second rôle par rapport au rationalisme. Il s'agirait d'une sorte de mode imaginaire, non linéaire de la pensée rationnelle, un pis-aller très significatif, légitime, mais qui vient combler un manque du logos, bref un faute de mieux du rationalisme, par rapport auquel le rationalisme logique apparaît comme supérieur.
Cette interprétation est manifestement erronée, en ce sens que le mythe est antérieur à la pensée rationnelle et conceptuelle, et non pas un sous-produit du logos. Il origine du premier stade de fabulation de l'infans, celui qui ne parle pas encore et imagine selon ses perceptions et ses sensations confuses le monde qui naît à sa conscience. C'est seulement par la suite qu'il commencera à parler, à désigner par des mots les objets du monde extérieur et ses perceptions, ses désirs et ses peurs. Au début, l'infans n'est que sensations, émotions, désirs, sourires, peurs, cris et larmes, bref drames et apaisements, qui sont la matière et la trame même des mythes.
De cette évolution du mythos au logos résulte la nature métaphorique du logos, dont les concepts ne sont que des mots-images, des représentations chargées d'imaginaire. De là résulte aussi le caractère fabulatoire du rationalisme lui-même, que Gilbert Durand reconnaît paradoxalement aussi. Jamais le logos ne deviendra un mode opératoire objectif producteur de La vérité sur le prétendu modèle des mathématiques. Ce fut là l'illusion étonnamment ingénue du positivisme.
Il ne faudrait cependant pas conclure de ce relativisme incontournable que la mythanalyse rejette l'élucidation rationnelle comme mode de pensée. Le mythe de la Raison, si ses limites sont reconnues, demeure un mythe positif, porteur de lucidité et d'espoir, par rapport à la toxicité des mythes qui cultivent la superstition et l'aliénation religieuse. Comme à l'époque de la Grèce antique, le rationalisme, aussi illusoire soit-il, demeure un outil fondamental de lutte contre la superstition. Ce que tente la mythanalyse, c'est d'expliquer l'origine de la superstition, jusque y compris dans le rationalisme et  la modernité. En particulier aujourd'hui dans les complaisances à la mode de la postmodernité.