tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

vendredi, novembre 25, 2011

Le Diable et Prométhée


Prométhée et le Diable, ce sont les deux figures fondatrices de la conscience occidentale. Tous deux nous ont invités à prendre notre destinée en main, en nous offrant la conscience. Dans la mythologie grecque, c'est le feu, volé à Zeus, que Prométhée nous donne, qui symbolise la connaissance. Dans la Bible, c'est la pomme dans laquelle Adam et Ève mordent, à l'invite du Diable, qui leur donne la conscience. Mais au-delà, les deux mythes sont opposés. Dans la Bible, c'est Dieu qui domine l'Homme, qui le chasse du Paradis terrestre, et qui le punit en le condamnant à travailler pour vivre. Dans le mythe grecque, c'est l'homme qui vainc Zeus, et qui s'engage glorieusement à changer le monde grâce à la maîtrise du feu. La Bible nous condamne à la soumission. Le mythe grec nous libère de la soumission.
Les deux récits fondateurs s'opposent. Et de la naît toute l'ambiguïté, mais aussi la puissance de l'Occident. Notre histoire se présente comme une tentative constante de concilier ces deux visions.
Aujourd'hui même, nous retrouvons ces deux mythes fondateurs dans les deux industries du cinéma et des jeux vidéos. Le cinéma opère sous le regard de Dieu. Les jeux vidéos dans la main de Prométhée. Le cinéma est biblique, le jeu vidéo est grec.
Le cinéma développe des récits, avec une dimension psychologique et des implications morales. Beaucoup de films jouent sur l'émotion et aimeraient nous faire pleurer. Nous y assistons passivement, sans pouvoir changer l'histoire. Les films sont souvent doloristes et fatalistes, comme le catholicisme et la Bible.
Inversement les jeux vidéo se passent facilement de scénarios.Ils nous proposent plutôt de vaincre les méchants et de gagner. Nous offrant l'interactivité, ils nous invitent à l'action. L'issue dépendra de nous. Ils ne jouent pas dans le registre psychologique, ni dans la mauvaise conscience. Ils roulent les mécaniques. Ludiques, ils nous proposent des moments joyeux. Même lorsque nous perdons, ce n'est pas bien grave. On peut recommencer la partie. Rien de tel dans la vie, ni dans le cinéma.
Dans le cinéma, le Diable est présent. Le mal et le bien nous dominent. Nous perdons. Les jeux vidéo, au contraire, sont d'inspiration grecque. Nous vainquons les démons. Pas de mauvaise conscience. Le mal est là pour que nous le dominions. Nous tuons les dragons. Nous décidons de notre sort à chaque instant. Nous gagnons.
On nous parle aujourd'hui de plus en plus de convergence entre le cinéma et les jeux vidéo. Mais il ne s'agit pas seulement d'un défi technologique. Les différences sont beaucoup plus profondes, au niveau de l'imaginaire. La rencontre du Diable et de Prométhée, des deux mythes fondateurs de l'Occident, demeure improbable. Elle serait difficile à maîtriser.Je ne crois pas au film interactif, même avec des téléphones intelligents dans les mains des spectateurs. On explorerait mieux cette voie avec des jeux vidéos de qualité cinématographique (scénario, direction, qualité esthétique, etc.) Mais l'arrimage des mythologies grecque et biblique demeurera problématique. Ce sont les imaginaires qui ne ne convergent pas.