tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

jeudi, juillet 17, 2008

Le Québec 250 ans après une victoire

dessin conçu par Richard Lauzon

Les fêtes du quatrième centenaire de la fondation de Québec ont éclipsé le 250e anniversaire de la victoire de Montcalm sur les Anglais le 8 juillet 1758 à Carillon (aujourd'hui Ticonderoga dans l'État de New York). Heureusement! s'écrieront ceux que la grandiloquence des commémorations fait sourire. Carillon évoque pourtant la résistance, ce mythe identitaire qui nous aide à comprendre l'inconscient collectif du Québec actuel.

À partir de l'enquête qu'il a menée pendant l'automne 2007 auprès des lecteurs du Devoir sur l'identité québécoise, le philosophe Hervé Fischer a écrit un livre intitulé Québec imaginaire et Canada réel. Les 7000 réponses qu'il a reçues l'ont incité à réfléchir sur les rapports historiques et symboliques entre un peuple de langue française et l'Amérique du Nord anglophone qui enserre le territoire où il vit.

Fischer souligne qu'une nation se définit «avant tout, et généralement pour des siècles», par «ses mythes fondateurs». En s'appuyant sur les contributions des lecteurs du Devoir, textes qui, en majeure partie, témoignent d'une sensibilité souverainiste, il constate que le Québec a des mythes fondateurs mais que le Canada anglais en est dépourvu.

Qui oserait le nier? L'Amérique du Nord britannique a emprunté à la langue française de la vallée du Saint-Laurent les noms mêmes de Canada et de Canadien dont les anglophones sont si fiers. Leur hymne national, Ô Canada, et le symbole de la feuille d'érable proviennent d'une vieille culture, celle du Québec, devant laquelle tant d'entre eux, d'Halifax à Vancouver, se sentent malgré tout étrangers.

Jadis très connu chez nous, le poème Le Drapeau de Carillon, d'Octave Crémazie, publié en 1858, 100 ans après la fameuse bataille, leur apparaîtrait comme du pur charabia. À leur décharge, il faut dire que ces vers, empreints d'un romantisme pathétique et suranné, resteraient également incompris d'un grand nombre de Québécois d'aujourd'hui.

Au milieu de l'amoncellement des clichés de Crémazie, une idée défie le temps: ce qui s'associe le mieux à la victoire de Carillon, c'est étrangement la mort, celle d'un vieux soldat canadien, porte-drapeau de l'armée de Montcalm. Après la Conquête
britannique, il s'est rendu jusqu'à Versailles pour implorer en vain l'aide de la France. Il ne lui reste plus qu'à finir ses jours sur la terre glorieuse et enneigée de Carillon.

«Pour mon drapeau je viens ici mourir», murmure le soldat, déjà devenu le fantôme qui mendie la revanche futile de l'histoire. Que nous ayons pu, jusqu'à la Révolution tranquille, cultiver un tel mythe, épouvantablement triste, cela en dit long sur le thème qu'Hervé Fischer développe avec beaucoup d'à-propos: la force cachée et sans doute inépuisable de notre imaginaire.

Michel Lapierre
Le Devoir, 19 juillet 2008