Lors de la Révolution française et de la déchristianisation qui s'en suivit, le Progrès s'est constitué comme un mythe du Bien construit par les hommes et remplaçant le Bien relevant de Dieu. Les récits biographiques et les chronologies ont alors été remplacés par le mythe de l'Histoire, c'est-à-dire de la réalisation du Progrès par l'Homme et non plus par Dieu. Ce sont évidemment les mythes prométhéens de l'Homme créateur qui ont remplacé les mythes bibliques de l'homme soumis à Dieu. On est quasiment étonné que cette métamorphose mythique ait pu être si rapide et symétrique. En fait, les mythes prométhéens étaient antérieurs dans l'histoire de l'Occident aux mythes bibliques et ils ont perduré, voire cohabité avec les mythes bibliques, tantôt s'y opposant, tantôt s'y hybridant.
J'ai analysé en détail cette question dans "L'Histoire de l'art est terminée" (Balland, Paris, 1981), et l'ai reprise dans "Nous serons des dieux" (vlb, 2006).
Le progrès, tel que nous le concevons aujourd'hui, n'est donc ni un effet de la Providence divine, ni un programme inscrit dans les lois de la nature, mais l'affirmation d'une volonté humaine - donc une croyance humaine à sa possibilité, voire à sa nécessité. C'est à nous qu'il appartient de le penser et de le construire. Voilà une vision pas mal plus intéressante! Mais il serait donc naïf de croire à son automatisme. Nous pouvons aussi régresser. Et cela s'est terriblement vu. Cela s'observe tous les jours. Nous retrouvons ici le mythe de Sisyphe, qui remet sur ses épaules chaque matin la lourde tâche du Progrès et recommence à escalader la montagne. Nous voulons croire que le rocher ne retombe pas toujours aussi bas que la veille. Le progrès est un effort individuel et collectif de tous les instants, qui exige persévérance et optimisme.
Les pilules pour le progrès, ce sont, selon les jours, celles qui sont amères et qu'il nous faut bien avaler malgré nous; ou les vitamines du progrès, un placebo dont nous avons bien besoin pour persévérer!Il faut y croire pour qu'il arrive.
hf