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Signalisation imaginaire dans une rue lors de l'enquête sur l'identité québécoise (réelle, imaginaire, surhumaine) que j'ai menée dans le cadre d'une exposition rétrospective sur ma pratique d'art sociologique au Musée d'art contemporain de Montréal, 1981-1982.
MYTANALYSE ET SOCIÉTÉ
(Ce
texte a été publié dans L’oiseau-chat,
roman enquête sur l’identité québécoise, éditions La Presse, Montréal,
1983. Épuisé. Le texte qui suit en constituait la quatrième et dernière partie,
p. 271 à 281.)
271-
Apparaît sur la scène la jeune déesse
Mythanayse. Elle n’est sans doute pas la plus belle, mais nous séduit d’emblée.
N’est-il pas vrai que les sciences humaines sont parmi les divinités les seules
que nous ayons vu naître, et dont nous sachions déjà qu’elles ne sont pas éternelles ?
La
Mythanalyse s’entretient avec la Sociologie, bientôt rejointe par l’Histoire.
Puis la Sociologie s’écarte, au passage de quelques francs-tireurs, et va
flirter avec le Roman. Ils s’asseyent sous un parasol rose.
Tandis
que les structuralistes jouent à la marelle, au premier plan arrive le
commissaire de police, qui se met au garde-à-vue pour présenter son rapport à
un supérieur hiérarchique.
Le
commissaire tourné vers le public : « On a trouvé dans la poche de
pantalon du cadavre le document photocopié que voici (il lit d’une voix
monocorde) :
« Les théories sont des romans, lyriques
ou policiers. La Physique n’est qu’une fiction romanesque : amours fatales
entre la matière et l’énergie. La Dialectique doit tout son charme et sa
nécessité au mystère de la naissance… des enfants. La Communication fait écho
au désir de renouer avec la mère. Le mythe de l’âge d’or (ancré
à ; »origine et au but ultime de l’Histoire) résonne du souvenir du
fœtus dans le sein maternel (espace de quiétude circulaire, hors temps). Le
vocabulaire est mythique : les principes sont l’héritage du premier
prince ; les organisations sont les organes du corps social ; seul le
maître les maîtrisera en y jetant un peu de lumière pour en élucider les
obscurs secrets ; si le phallus – géométrie, droit, rectitude, histoire –
a dominé l’humanité jusqu’à nos jours, quel sera le vocabulaire du mythe
maternel ? Et celui de la femme ? L’étymologie nous en apprend plus
sur notre image du monde, que toutes les théologies et les physiques réunies. –
Les mots sont des concepts-images. Car « c’est poétiquement que l’homme
habite » affirmait Hölderlin à un journaliste du « Star
Magazine ». L’origine du monde est un irrationnel. Le monde est un
irrationnel. Sans qu’on puisse esquiver le principe de réalité, ni savoir
quelle réalité est réelle.
p. 272
- Il faut classer (tout se classe, même la
société) dans le tiroir des rationalités imaginaires : aussi bien la magie
ou les religions que la philosophie et le rationalisme. Il n’y a pas tant de différence
qu’on le dit (au sens psychanalytique où la société « rationalise »
ses fantasmes et les moyens techniques d’action sur le monde qui leur sont
liés). Certains y ont vu des « âges de l’humanité » ; or ils
sont souvent simultanés, comme on peut l’observer dans la civilisation
occidentale actuelle. Ces trois modes de pensée et d’action semblent
sous-tendus par le même mythe originel.
- Quand Jean-François Lyotard en appelle aux
flux énergétiques, seuls capables de déborder tous les appareils langagiers et
institutionnels, toutes les cristallisations qui bloquent la dynamique
créative, a-t-il conscience qu’il convoque au retour le « Chaos », le
désordre et les ténèbres, ce flot noir amorphe et ravageur qui régnait à
l’origine, selon le mythe, avant que le langage n’instaure l’ordre d’un cosmos
apparemment si désiré ?
- Qu’est-ce que la mythanalyse ? Disons
simplement qu’elle tend à repérer, déchiffrer et reformuler en un langage
critique les mythes collectifs qui déterminent les processus inconscients,
individuels et sociaux : ces histoires toutes faites avec lesquelles nous
pensons, nous vivons.
- Par « origine », nous ne désignons
pas un point zéro d’une histoire linéaire du monde, mais un lieu mythique de
référence explicative, contemporain à chaque individu, à chaque culture, à
chaque société. Et cela même si l’exemple crucial de la naissance individuelle
suggère la naissance du monde lui-même. C’est par analogie avec la biographie
individuelle, que nous identifions le plus souvent cette origine au point de
départ imaginaire d’une « histoire de l’humanité ». Mais l’origine
est toujours contemporaine. Elle est comme le point de fuite de l’espace
pictural inventé par le Quattrocento : elle se déplace avec nous. Elle est
l’image intense, ici et maintenant, où s’ancrent nos explications imagées du
monde. Nous sommes là, ex-istants à chaque instant, sortant de l’origine,
venant au monde continuellement. L’origine est un imaginaire. Comme la ligne
d’horizon.
- Les mythes sont des explications imagées des
origines du monde. Ils sont le plus souvent déjà là dans les mots, comme
Heidegger nous invite à le découvrir pas à pas. Ils sont largement exprimés dans les contes,
légendes et religions, dans les structures de la langue, dans l’imagerie banale
et les stéréotypes de la vie quotidienne, dans l’aménagement de l’espace public
et privé, dans ce qui s’érige, circule, se love, dans l’échange symbolique,
dans les cultures populaire et savante, dans les sciences,
273
dans le positivisme, dans la logique. Partout.
Les mythes ne sont pas pour autant explicités comme tels : ils nous
déterminent à notre insu. Les mythes ont des transparences auxquelles nous
sommes aveugles, même et surtout s’ils fonctionnent comme références
explicatives : « par la vertu » des histoires que met en scène
le savant ou le politique (quand bien même les histoires sont quantifiées ou
systématisées). Car nous ne prêtons pas attention à leur mode de constitution
et à leur contenu essentiel. Nous les prenons, quand ils sont étiquetés
« mythes », pour des histoires d’enfants, des légendes naïves ou des
fables. Dans l’immense majorité des cas, nous sommes inconscients de leur
résonance, de leur présence actuelle, sous d’autres formes implicites de notre
culture contemporaine, fût-elle rationaliste, positiviste ou cybernétique. Ce
sont
274
les métamorphoses cachées, camouflées de ces
mythes, que la mythanalyse tente d’élucider, de mettre à nu, de révéler,
d’expliquer, de comprendre, d’expliciter : autant de variations du
vocabulaire courant, qui montrent aussitôt que la mythanalyse baigne elle-même
dans le mythe, qu’elle ne saurait s’en extraire assez pour le distancer et nous
émanciper : qu’elle ne pourra jamais montrer du doigt ses objets de
connaissance : le doigt ne se montre pas lui-même.
- La mythanalyse ne peut que déstabiliser les
clichés de la connaissance, délacer quelques masques, derrière lesquels ne se
cache aucun visage nu.
- Je rêve d’écrire la critique de la raison
mythique.
- Le
mythe élémentaire
- Si la question est ambitieuse, la réponse,
en revanche, sera très modeste. Le mythe se constitue par implication réelle de
chaque individu, qui lors de sa « venue au monde » attribue au père
et à la mère toutes les vertus explicatives et agissantes pour sa satisfaction
ou sa douleur (son bien ou son mal, son plaisir ou sa frustration, pour le
plein ou le vide, pour l’accomplissement de sa vie ou son manque, etc.). Telle
est la situation concrète vécue par chacun de nous, avec son intensité extrême
et sa force inéluctable de constitution de l’image du monde (de son origine, de
son existence et de sa finalité), qui sera à jamais pour chacun de nous la
référence « originelle » définitive. La conscience de son rapport au
monde et aux forces positives, négatives ou conflictuelles, que se fabrique
alors chaque « nouveau-né », est à la fois image originelle du monde,
explication originelle du monde et structure originelle de son rapport au
monde, au masculin, au féminin, à l’autre, au chaud, au froid, au dur, au mou,
etc.
- C’est le mythe élémentaire (image,
explication, structure), dont tous les autres mythes paraissent n’être que des
effets secondaires. Mais quel mythe nous incite-t-il à insister sur
l’élémentaire et à lui soumettre des effets seconds ? Quelle structure
parentale induit-elle cette logique ?
- Ce mythe élémentaire est plus encore
structure (orientée par le désir et le rejet) qu’image. Car il n’est pas vécu
comme image à regarder « objectivement » ou extérieurement à soi,
mais comme situation relationnelle au père, à la mère, à son propre corps, à
l’étranger, à l’espace-temps, etc., avec des modes d’action de type magique,
polythéiste, monothéiste, ou technico-rationnel selon les situations et les
moments.
- Ce vécu n’est pas explicité avant que la
société ne lui prête ses formulations langagières et culturelles, les histoires
qui circulent partout.
- L’éducation sociale et familiale se chargera
de donner aux
275
souvenirs de ce vécu originel les formes
dominantes de sa civilisation et de son idéologie.
-Tous nos mythes, toutes nos rationalisations,
tous nos rapports au monde se sont constitués en référence originelle à ce
moment exceptionnel de la « venue au monde » et des premiers temps de
la vie, même si, bien évidemment, la suite de la biographie individuelle et des
imprégnations culturelles viennent modifier, brouiller ou refouler cette
« conscience originelle » dans le subconscient de l’adulte. Mémoire
originelle qui remonte à la surface quand vient la vieillesse de l’adulte et
que se relâchent les filtres de l’autocensure. Moment si exceptionnel que le
souvenir en resurgit quand sur le tard l’adulte perd la mémoire !
- pour le nouveau-né, père, mère, tierce
personne sont TOUT ce qui existe, tout ce qui crée, tout ce qui donne ou prend,
tout ce qui aime ou rejette. Monothéisme ou polythéisme, par exemple, en
découlent comme une conséquence de la structure familiale où apparaît le
nouveau-né.
- Cette pseudo image/structure explicative de
l’origine de tout connaîtra aussitôt des variations individuelles (génétiques
ou culturelles). Mais elle constitue notre référence « absolue ».
Chaque être humain l’a connue/vécue. Son interprétation culturelle explicite
constituera une « formation mythique » ; mais son effet
inconscient sur les individus et les groupes demeure le plus souvent implicite
ou cachée. Elle a une sorte
d’universalité : celle de la venue au monde de chaque être humain, avec sa
conscience (relativement) vierge – dans un rapport parental au monde
(relativement) universel. (Cela étant admis, on pourra d’ailleurs apporter toutes
les nuances relativistes souhaitables.)
- De façon générale, nous ferons remarquer que
cette interprétation de la formation mythique originelle est modeste,
psychogénétique, matérialiste et simple au point que les esprits sophistiqués
pourront la compliquer à loisir pour tenir compte de tous les effets
secondaires, perturbateurs, relativistes, et l’enrichir aussi pour mieux rendre
compte de la diversité humaine et culturelle, sans que cela nuise – au
contraire – à cette interprétation fondamentale. Toutes ces recherches
complémentaires, c’est précisément ce qui pourra constituer le corps déchiffré
et le regard perçant de la mythanalyse.
- L’Histoire
et la répétition. La mort de Prométhée
- Qu’on en finisse donc avec la conscience
historique, hégélienne ou prométhéenne. Prométhée est mort enfin. Revient le
temps vertical de la répétition, toujours pareille et différente comme la vie.
Qu’on en finisse avec l’aliénation de l’Histoire.
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L’Histoire sacrificielle. Pour retrouver la
plénitude accomplie de l’instant, de l’homme contemporain à lui-même, centre de
lui-même, centre du monde, doué de mémoire, dans un temps événementiel, un
monde anecdotique, une structure répétitive. Discours de la méthode : il
faut nier l’Histoire pour sauver l’Homme. Le concept d’Histoire est un concept
d’État et de pouvoir manipulateur. La répétition est aussi pareille et
changeante que la vie. Bien plus vivable que l’Histoire. L’Histoire n’a pas de
mémoire, ni de dimension contemporaine : c’est son paradoxe, elle existe
et s’écrit en fonction du seul futur. L’Histoire est la grande effaceuse,
mangeuse d’être et de temps, obsédée de son propre avenir. L’Histoire est une
chimère qui nous enchaîne et qu’il faut fusiller.
- Prométhée mort, enfin après un si long
supplice, délivré des aigles qui lui dévoraient le foi, délivré de ses
angoisses, délivré par un surhomme et demi-dieu. Il a pu jouir d’une longue
retraite au vert, dans la paix de l’âme et du corps. Baroudeur d’occasion,
toujours prêt sans doute à renaître…
- Les
signes de l’échange symbolique
- Si les images liée du père et de la mère, de
l’autre et du corps constituent donc la forme (structure et image) du mythe
élémentaire, en tant que pseudo-explication de l’origine de la vie et du monde,
ce n’est cependant pas à ce moment initial de la vie que nous pouvons le
repérer, l’analyser, le rationaliser ou le démystifier. C’est ici et
maintenant, dans la situation d’implication sociale et imaginaire, où parle
l’adulte (mot bizarre, à questionner…).
- La plupart du temps la plupart des gens
parlent naïvement ou inconsciemment le langage du mythe élémentaire (discours
de la quotidienneté, discours politique ou scientifique, discours de
l’affectivité).
- Le repérage interrogatif ou la mise à nu du
mythe élémentaire et de ses variations et effets secondaires dans le discours
social (individuel et collectif), relève d’une méthodologie d’observation et
d’intervention (mise en place de dispositifs interrogatifs ou analyseurs
institutionnels) sur le terrain social réel. Comme souvent, on trouve ce que
l’on cherche ; la théorie du mythe élémentaire sert de référence à
l’intervention pratique, dont l’analyse pourra éventuellement confirmer,
infléchir ou réfuter l’hypothèse théorique. L’attention se porte sur le
repérage des signes culturels évoquant la présence du mythe. Par exemple
l’image paternelle d’un chef d’État, les mots-images du discours écologique,
etc.
- Quelle que soit l’admiration qu’inspirent
Mircea Eliade et Lévi-Strauss, et quelle que soit la difficulté de
l’entreprise, nous éprouvons un besoin existentiel de travailler sur la
277
société contemporaine où nous sommes
impliqués, plutôt que dans l’exotisme historique ou ethnologique des religions
et des mythes du passé ou d’ailleurs. Encore que l’artiste et le sociologue
doivent aussi se faire une méthode du nomadisme, qui leur permet la
distanciation, l’étonnement, et même au retour un regard plus aigu sur leur
propre tribu, parisienne par exemple. Car le poisson doit sortir de l’aquarium
pour voir son eau et sa vitre familières.
- L’accomplissement du « désir dans la
valeur d’échange » selon l’analyse de Jean Baudrillard, renvoie à un
système symbolique de signes étroitement codés dans le langage social. Tout
parle ou bavarde, même quand on ne l’écoute pas. Tout émetteur de langage
(conceptuel, visuel, affectif ou gestionnaire) sélectionne les signes de
son discours et les charge d’intentions et de sens socialement codés,
explicitement ou à son insu. Aucun objet ni personne ne bavarde pour ne rien
dire, ni ne peut s’exprimer hors langage. Et il est clair que nous échangeons
plus de signes symboliques que de valeurs d’usage. C’est donc dans
« l’échange symbolique » que nous tenterons de repérer les structures
et les signes reproducteurs des mythes.
-
Mythanalyse et sociologie
La sociologie est une physique de la société.
Depuis ses débuts, car elle est née dans le choc des armes et sous le signe du
chemin de fer et de la thermodynamique. Avec un zeste de sciences naturelles.
Elle rend compte de la mécanique sociale, idéologique et institutionnelle, de
ses leviers et de ses forces. Quand elle a flirté avec la biologie et les
analyses organicistes, elle n’a pourtant ni su ni voulu mettre en scène la vie,
mais seulement des mécanismes corporels.
- Les analogies cybernétiques contemporaines,
qui nous proposent l’image d’une société comme système traitant de
l’information, ont épousé l’évolution de la physique elle-même des machines,
sans mettre davantage le nez dans la fameuse « boîte noire ».
- Quand elle s’est mariée avec le structuralisme
la sociologie a rencontré plus que jamais la mécanique arithmétique et
bureaucratique qui domine notre société gestionnaire ; voire « des
symboles d’allure logico-mathématique qu’on aurait tort de prendre trop au
sérieux » (Lévi-Strauss). La gestion : fantasme exorbitant de notre
société moderne !
- Faut-il donc croire que la vie sociale est
comme la boule terrestre qu’Archimède proposait de soulever avec un point
d’appui et un bras de levier ? Archimède : un fier-à-bras plus
calculateur qu’Hercule et Superman. Ce mécanisme
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et ses mauvais génies Production et Quantité
n’ont fait pourtant qu’empirer jusqu’à nos jours. Car la sociologie de
Saint-Simon, d’Auguste Comte, de Fourier, de Marx, de Proudhon, de Bakounine
s’animait de souffles révolutionnaires, utopistes et romantiques. Le
positivisme lui-même était un élan prométhéen avant-gardisme comme un fantasme,
que seule l’application besogneuse, consciencieuse, rationnelle et gestionnaire
a transformé en plaie sociale. Évoluant au fil des logiques du capitalisme
d’organisation, la sociologie s’est mécanisée, quantifiée pour mieux gérer à la
demande les achats et les votes. Triste vie conjugale ! Il aura fallu une
maîtresse un peu libidineuse pour lui rendre le goût de vivre : la
psychanalyse avec laquelle la sociologie prend bouche parfois de 5 à 7. De ces
nouveaux rapports encore si clandestins (l’université française n’a encore
créé, si je puis dire, aucune chaire de psychanalyse… ) sont nés de beaux
enfants naturels : sociologie institutionnelle, socio-analyse entre
autres, qui ont du mal à se faire une petite place au soleil. Il est vrai aussi
que la psychanalyse avait fait les premiers (faux) pas vers la sociologie, sous
la pression du Professeur lui-même, analyste des tabous, des religions et des
malaises de civilisation.
- Mais une redoutable difficulté hypothéquait
constamment l’idylle naissante. Car la psychanalyse freudienne travaille des
biographies individuelles, traumatismes de naissance et d’enfance, rapports à
un père et une mère. La société quant à elle n’a pas de biographie, pas de
naissance, quoiqu’en ait dit l’évolutionnisme du XIXe siècle : de père et
de mère inconnus, et sans enfance. Les enfants ont un père et une mère. Leur
biographie intéresse la psychanalyse, mais il ne naît pas de père ni de
mère : la mythanalyse tente d’élucider les structures et les valeurs de la
société. Cela résume la différence.
- Ce n’est pas la psychanalyse qui expliquera
le passage du polythéisme au monothéisme, ni la force inconsciente de ces deux
religions dans la société. Ni le fait que l’idéologie avant-gardiste ait été
monothéiste. En revanche, la sociologie nous montre la coïncidence entre
société indivise (où groupe et famille large sont indistincts) et
polythéisme ; elle peut suivre l’évolution parallèle de la structure
familiale et de la structure religieuse. Car la généralisation du monothéisme
coïncide avec le développement de la famille conjugale (père, mère et enfants
directs). Même le développement du culte de la Vierge coïncide avec l’émancipation
féminine. La dimension sociologique ne peut procéder par simple induction
généralisatrice à partir de la psychanalyse. Il faut considérer d’emblée la
dimension collective du langage social où s’informe l’expérience individuelle
de la naissance au monde ; donc les histoires qui circulent nous
intéressent plus comme pseudo-explications
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mythiques et source de nos sentiments, que les
biographies individuelles. De mon apprentissage sociologique, j’ai gardé
l’habitude d’aller du général au particulier, comme le veut aussi la
mythanalyse, et non pas de l’individu au collectif, comme le tentera toujours
en vain la psychanalyse sociologisante.
- Ce n’est pas une question de méthode dans la
collecte des signes, mais d’hypothèse théorique et de regard.
- Il me semble que si la mythanalyse quitte
les bavardages de salon et travaille sur le terrain, celui de la société
contemporaine au mythanalyste, elle a de grandes chances de nous permettre de
dépasser les débats freudo-marxistes et de répondre à notre désir actuel
d’émancipation. Encore faudra-t-il aussi qu’on dépasse cesse de la confondre
avecle journalisme ou le moralisme sur « les grandes illusions de notre
temps » du genre « le bronzage en 24 h. c’est un mythe ! »
- Si nous en venons maintenant à l’exemple de
la société québécoise, telle qu’elle ressort de cette enquête, la mythanalyse
nous invite à y considérer le thème de l’origine comme mythe central. Un mythe
qui renvoie certes à une chronologie précise et fondatrice, mais qui détermine
encore les comportements individuels et sociaux contemporains.
- Il est vrai que les sociétés du Nouveau
Monde offrent des cas d’espèces particulièrement fascinants pour le
mythanalyste. Car aussi bien il existe une origine historique de ces sociétés
conquérantes, des premiers fondements et des drames qui résultèrent de la
rencontre avec les populations indigènes. Naissances difficiles, armées et
sanguinaires ou conciliatrices, qui ont laissé dans la mémoire collective les
traces de traumatismes aigus. Naissances préparées par de longues traversées
sur les flots de la mer et à travers des contrées inconnues et hostiles.
L’accouchement manu militari des
sociétés américaines et les luttes fraternelles ont marqué l’origine de leur
vie. Ces sociétés ont une date de naissance et des pères (et une mère
océanienne) statufiés sur les places publiques, dans les légendes et les
chansons.
- On pourrait en déduire que la mythanalyse
sera de ce fait facilitée. Voire,
- (Dans
ce livre) nous avons évoqué les diverses variantes selon lesquelles
semblent s’exprimer si fortement au Québec le mythe de l’origine, qui s’appelle
en l’occurrence : mythe du Nouveau Monde. Nostalgie de l’époque des
trappeurs, des pionniers, particulièrement forte chez les nouvelles
générations, goût du voyage, des langues étrangères (au niveau de l’intention),
référence à l’oiseau, à l’île à découvrir, au voyage sidéral vers de nouvelles
planètes apparaissent fréquemment dans les réponses reçues. L’île, au milieu de
la mère, comme un lieu protégé, isolé du monde extérieur évoque le sein
maternel où l’on pourrait renouer avec le bonheur perdu. Le goût aussi du
retour fusionnel à la nature, les signes d’eau et d’air peuvent signifier
l’innocence retrouvée et la redécouverte d’une nécessité vitale et fondatrice. Mais
le mythe du Nouveau Monde s’exprime encore pour les vacances dans la nostalgie
contemporaine du paradis océanien, nature primitive et chaleureuse des
tropiques où le soleil brille sur le bonheur originel.
Le
mythe du Nouveau Monde à conquérir et à créer, c’est de même la demande souvent
mentionnée de fonder une nouvelle société, plus juste, plus altruiste, plus
pacifique, harmonieuse, égalitaire. Il me semble que c’est encore dans ce même
mythe que le féminisme québécois puise aujourd’hui son énergie réformatrice en
vue d’une société où les femmes trouveraient une place plus équitable et
harmonieuse dans le partage des pouvoirs avec les hommes : un deuxième
mouvement d’espoir et de libération renouvelant l’élan qui avait conduit les
pionniers quittant la vieille Europe à travers la mer vers le Québec.
- Naissance/libération : comment ce
mouvement vital pourrait-il s’accommoder durablement de se soumettre aux
descendants de la vieille Angleterre ? Comment pourrait-il se laisser
durablement castrer ? Le mouvement indépendantiste québécois puise son
énergie encore dans le mythe du Nouveau Monde. Les mythes ont la vie dure et
celui-ci, au Québec, est en phase manifeste de réactivation.
- La
mer. Comme je l’ai suggéré déjà, il me semble
important que l’origine du Québec soit liée à un voyage sur la mer. La mer est
originelle. Tout en sort, tout y retourne. C’est un lieu de naissance : l’esprit
plane sur les eaux de la genèse. Eaux dangereuses, amorphes ou chaotiques, qui
précèdent la création du cosmos. La traversée de la mer ressemble à un voyage
initiatique : séparation, mort et renaissance. C’est aussi l’espace
indéterminé, immense, annonciateur des étendues infinies du Nouveau Monde. Le
signe d’eau, origine de la vie, est omniprésent dans l’existence et l’imaginaire
québécois. Et la mer relie encore au souvenir de la mer patrie.
- L’oiseau. L’oiseau est signe d’air, signe d’esprit, de message, de voyage. L’oiseau
québécois est souvent maritime. Les oiseaux annoncent la côte, évoquent la
création, l’innocence du jardin paradisiaque. L’oiseau signifie l’âme et la
religion, la nature primitive.
- Le
chat. Du chat, on n’est jamais très sûr. C’est un
animal ambivalent, libre ou casanier, bénéfique ou maléfique, un ami fidèle ou
sournois. Un ami pour l’hiver.
- Le
couple oiseau-chat. L’oiseau est libre. Il voyage vers
de nouveaux espaces, tandis que le chat, animal domestiqué, ne s’écarte ni
loin, ni longtemps du foyer. Le couple oiseau-chat marque cette ambivalence du
désir conquérant et du désir nostalgique ou attaché. Il marque cette difficulté
existentielle d’une attraction et d’un empêchement, du désir du chat auquel l’oiseau
échappe sous peine de mort, de l’union impossible ou destructrice de deux faux
amis, de deux ennemis qu’on associe volontiers, suivant le regard fasciné du
chat vers l’oiseau dévorable. Le couple oiseau-chat signifie cette attirance
dangereuse, ce désir irréalisable d’harmonie paradisiaque, cette séduction
menaçante, cette identité conflictuelle québécoise et sa réconciliation
impossible qui semblent caractériser les idéologies, les individus et les rôles,
et que j’ai partagées et vécues aussi à mon corps défendant comme Européen au
Québec.
Le chat a la queue en perchoir…
Il a la queue en point d’interrogation…
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