L’illusion
qui nous berce aujourd’hui tient à la sensation conviviale et affective que
nous procure le web, tel un liquide
nourricier, doux et tiède, où nous évoluons sans effort. C’est à se
demander si la couleur de la prochaine génération de nos écrans cathodiques ne
va pas virer du bleu azuré au rose chair de la tendresse. Nous y retrouvons des
« amis », nous y attirons des « abonnés », les membres de
Facebook passent leur temps à cliquer obsessionnellement l like comme autant de caresses pour se faire aimer. Nous nous y
confions, photographies de notre vie privée à l’appui. Les adolescents aiment
cette intimité numérique. L’interactivité crée la chaleur des échanges humains
et du frottement des messages. Les utilisateurs, qui étaient au début des
receveurs passifs, sont devenus proactifs ; ils y investissent de la
créativité, donc de l’énergie. La métaphore thermique célébrée par McLuhan pour
caractériser les médias électriques persiste dans l’humanité du numérique. La
grande célébration de l’interactivité à laquelle nous assistons de nos jours,
l’emphase mise sur le web 2.0 et sur l’idée de l’utilisateur-producteur de
messages correspondent manifestement à des utilités, mais aussi à une
survalorisation imaginaire de la chimie virale des échanges. Nous sommes
transportés par une nouvelle sensibilité, celle du contact tactile numérique,
de l’expérience virtuelle ou virtuexpérience : le biovirtuel vécu comme une
intensité de l’esprit et de la peau – la peau
électronique que décrit Derrick de Kerckhove. L’interactivité crée de
l’émotion, des sentiments, de la fébrilité qui excitent les utilisateurs,
rapprochent les amis, fidélisent les abonnés.
Il
ne faut pas chercher ailleurs le succès de Facebook, qui est avant tout
psychique, presque biologique. Nous sommes rendus à une pratique sociale où
l’important n’est pas d’avoir quelque chose à dire, mais de communiquer – d’avoir
l’illusion de communiquer, d’être en contact, de coller. Là encore, McLuhan
semble avoir été malheureusement trop perspicace.
La
puissance imaginaire du numérique tient au mythe de l’abondance communicationnelle,
de la fluidité des liens et de l’échange fusionnel qu’il exploite. Cette
technologie, qui est capable de réactiver, voir de bouleverser intimement nos
vies, est décidément sentimentale. Les liens interindividuels que nous
développons si facilement grâce à l’internet nous offrent l’euphorie d’un
échange ombilical de fluides; ils nous rassurent en nous reconnectant au corps
maternel de la société. Nous pouvons désormais clavarder en temps réel à
distance, nous croire en téléprésence, ou nous rencontrer à travers nos avatars
dans un espace collaboratif de jeu ou de vie artificielle tel que Second Life, et nous activer sur des
plateformes numériques de socialisation comme Facebook, Google + et tant
d’autres plus explicites de rencontre, d’échanges intimes, voyeuristes et
sexuels. Sommes-nous dans la vie réelle en manque de cette Seconde Vie que nous offrent les jeux multi-usagers de rôles et de
compensations ? Il semble bien que oui. Ces nouvelles possibilités interpellent
évidemment les philosophes, les psychologues, les psychanalystes, les
sociologues et les phénoménologues : toutes les sciences humaines. Et plus
que tous, les artistes, qui créent ces espaces virtuels, leur donnent forme et
les animent. Dans tous les cas, nous voilà dans ce qu’il faut bien appeler le web amniotique, ou dans cet utérus
numérique qu’on a appelé La matrice
et qui a donné son nom à la célèbre production cinématographique et de jeux
vidéo des frères Andy et Larry Wachowski (1999-2003).
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