La signalétique sociale
Puisque
nous avons choisi l'art plutôt que la science, la politique ou la religion,
c'est avec le langage visuel que nous voulons tenter d'élaborer cette représentation
du monde et ce culte de la vie dont nous redécouvrons la nécessité urgente.
Parmi
les divers domaines de la communication sociale, où l'artiste peut intervenir
dans le langage mass-médiatisé, la signalétique urbaine et routière nous paraît
depuis longtemps un médium important pour l'artiste et nous le citerons ici à
titre d'exemple.
Nous
vivons en effet dans la civilisation de l'automobilisme. Les panneaux signalétiques
du code routier nous proposent une symbolique liée au rythme social (vitesse),
à la pédagogie de l'attention (série de panneaux annonçant un stop, un passage
ou un danger (carrefour, priorité, verglas, etc.) et au respect de la vie
(animaux, danger de feu en forêt, danger d'approche, etc.), à la nature, au
bruit, à la nourriture, à l'hébergement, au tourisme, au travail, etc.
Paris-père
- Angoulême-fille. C'est l'« intervention
» du sociologue Hervé Fischer, qui a fait placer sur les places et aux
carrefours ces faux panneaux de signalisation pour concrétiser les rapports de
dépendance incestueuse qui existent entre les deux villes. L'Angoulême selon
Freud grignote l’Angoulême. C'est plus dangereux, Monseigneur, que les boulets
de l'amiral Coligny. Des poids lourds
espagnols se sont égaillés dans toutes les directions. Ils n'étaient pas aucourant,
semble-t-il, des travaux de M. Fischer. C'est un tort de traverser Angoulême un
jourde symposium
sans s’être informé auparavant des derniers progrès de la sociologie d'art. Onrisque de se
casser la gueule.
(François
Caviglioli, Le Nouvel Observateur, 12 juillet 1980.)
Il semble que nous retrouvions dans la
signalétique sociale le langage symbolique et opératoire où nous pourrions
repérer une représentation du monde. Nous pouvons aussi y recourir, en
développant ses possibilités symboliques, perceptives et pédagogiques, pour
élaborer une rhétorique du questionnement mythique, voire idéologique.
Métaphore, métonymie, substitution,
condensation, etc., pour citer quelques concepts linguistiques, y sont
présents
et peuvent mettre en jeu l'inconscient social par le biais des images symboliques,
sans verser dans l'allégorie ou le kitsch. Car c'est là un langage opératoire
qui, tout en utilisant l'image plutôt que le concept (pas toujours) parle sans
délai des règles de la vie et de la conduite, selon un processus non pas
d'identification, mais d'annonce ou d'avertissement, donc selon une dynamique
et une urgence très éloignées de la consommation décorative ou kitsch.
La
signalétique sociale met aussi en jeu un code de la route et de la conduite qui
est langage de la contrainte sociale ou langage du respect de la vie (au seuil
de l'éthique).
Elle
est en plein accord avec notre sensibilité contemporaine d'automobilistes. Ces
signes sont aussi des marquages du lieu, du corps de la nature, à la limite des
signes magiques opératoires dont les ordres et les interdits, tel un téléguidage
du conducteur, médiatisent socialement son comportement, ses perceptions, le
rythme et les événements de son vécu.
D'autres
secteurs de la communication visuelle, tels le conditionnement et la
signalétique des marchandises, ou la publicité, des rébus d'images peuvent nous
proposer des points de départ à la fois pour repérer et pour mettre en scène le
mythe et le culte de la vie, en élaborant un langage artistique contemporain et
social. Ces possibilités du mythe art ne font aucun doute. Il y a là encore des
chefs-d'œuvre qui nous attendent et dont nous avons un besoin vital. Ils
devront condenser la force du mythe et le mettre à nu dans un langage actuel
interrogatif.
Les
grands thèmes mythologiques sont peut-être appelés à renaître de leurs cendres.
Aujourd'hui, la mère, la nature, la vie, sans doute plus que le père, tant que
l'État est dans une phase de pouvoir omniprésent et surrépressif. Mais si
l'État dépérissait demain le thème du père redeviendrait peut-être essentiel et
la mode le réactualiserait.
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