tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations.

jeudi, mai 28, 2015

Homo fabulator


Toute notre interprétation de la nature est fabulatoire, de a à z. Toute notre pensée est subjective, ego- et ethnocentrée, fabulatoire. Cela ne signifie pas que l'homo faber est déconnecté de la réalité, inefficient, et finalement déjanté. Bien au contraire, la phénoménologie le souligne, toute notre pensée est intentionnelle et donc adaptée à l'action, à nos besoins matériels, biologiques et psychiques. Rien de plus réel.
Même la science infuse de la nature que nous déchiffrons humblement nous apparaît selon les questions que nous posons, les méthodologies et les instruments quantitatifs que nous élaborons, les besoins que nous avons, les structures psychiques, neuronales, logiques qui sont les nôtres, différentes de celles des autres espèces vivantes.
Le fictionnel ne s'oppose pas au réel, pas même au factuel. Pas plus que le rationnel ne s'oppose au réel. Lorsque celui-ci le dément, le rationnel se réajuste en conséquence, quitte à renier la vérité scientifique d'hier. Mais il demeure que la raison est fabulatoire. En ce sens, la voyance que célébrait Rimbaud, l'imagination poétique sont autant d'approches fabulatoires de la complexité du réel, qui dépasse de loin nos capacités neuronales , de sorte qu'elle demeure insaisissable. Nous le fragmentons, nous le zoomons, nous le sélectionnons, ni l'ignorons en fonction de nos capacités et besoin humains. Que toute notre connaissance soit fabulatoire ne signifie pas que notre interprétation du réel soit fausse, mais seulement qu'elle ne nous en livre qu'un angle de vue, selon un verre grossissant, filtrant et déformant. Elle est "objectivement" déformée. Dans les deux cas il s'agit de déclinaisons de ce que nous devons appeler un "réalisme magique".
Les indiens Guarani ne la voient pas comme nos professeurs au Collège de France. Pour toutes les raisons que nous venons de mentionner. Et les interprétations des uns et des autres sont, du point de vue humain, également vraies et fabulatoires, selon les différences de nos cultures. Nous pouvons mythanalyser la démocratie tout autant que la magie totémique.
Le récit des origines varie de même selon la culture des Guaranis et celle de nos professeurs au Collège de France. Et ces deux cultures tendent à en créer des récits différents, mais déclarés atemporels, achroniques, ou inscrits dans un perpétuel présent: une fabulation évidente dans les deux cas. L'achronie est une fabulation niée par l'évolution, dont nous avons une interprétation tout autant fabulatoire.
Faut-il désespérer? Aucunement. Ce serait sur la base d'une autre fabulation, celle de la vérité en soi. La fabulation n'est pas une erreur, ni un mensonge, mais une condition existentielle. On pourrait l'appeler une pratique partagée, qui tend à la poésie partagée ou à l'instrumentalisation partagée selon la diversité de ses pôles. Mieux: il faut célébrer la vertu cognitive de la fabulation. Dieu est une fabulation dont l'interprétation de sa création ne peut être, elle-même qu'un fabulation mégalomaniaque bien intentionnée. C'est la lumière divine que nous diffusons dans la photographie. Rien de plus réel qu'un cliché photographique. Et pourtant, nous le savons, rien de plus imaginaire. La photographie n'est que l'art de la lumière, ce qui est immense et minuscule tout à la fois.

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